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2145. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre II. De la multiplicité des états de conscience. L’idée de durée »

Ainsi, quand j’entends un bruit de pas dans la rue, je vois confusément la personne qui marche ; chacun des sons successifs se localise alors en un point de l’espace où le marcheur pourrait poser le pied ; je compte mes sensations dans l’espace même où leurs causes tangibles s’alignent.

2146. (1903) La renaissance classique pp. -

On ne connaît pas le monde des mines quand on a passé quinze jours à Anzin ou à Decazeville, fût-ce à bourrer de notes des carnets entiers ; et il faut à nos intellectuels toute leur ignorance livresque pour s’imaginer qu’ils connaissent le fond de l’ouvrier parce qu’ils ont causé dix minutes avec un menuisier qui venait raccommoder le pied de leur bibliothèque !

2147. (1891) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Quatrième série

À un côté du théâtre, il faut une forteresse… Autour de ladite forteresse doit avoir une mer haute de deux pieds huit pouces, et à côté de la forteresse, un cimetière… Une fenêtre d’où l’on voit la boutique du peintre, qui soif à l’autre côté du théâtre, et, à côté de la boutique, il faut jardin ou bois, où il y ait des pommes, des grignons, des ardans et un moulin. » Cela fait en tout cinq compartiments, comme on voit, ou cinq mansions, ainsi qu’on disait au moyen âge ; et, à la vérité, si le décor est multiple, il ne resterait plus, pour s’assurer qu’il est simultané, qu’à connaître la pièce qui s’y jouait3. […] « Montrer toutes les déconvenues dont serait victime un homme assez fou pour prendre au pied de la lettre les romanciers à la mode, et pour se conduire dans la réalité comme tous leurs personnages, tel est le but du Berger extravagant » ; et ces longs romans d’amour dont il est ainsi la parodie, contentons-nous d’ajouter que l’Histoire comique de Francion, qui lui est antérieure, en était déjà la plus grossière et plus obscène que spirituelle contrepartie. […] Assez et trop longtemps, sous le prétexte « d’imiter le Créateur de l’univers », les hommes, obéissant on ne sait à quels « dégarnis de bon jugement et de sens commun », ont marché « les pieds en l’air, la tête en bas », et vécu comme à contresens de la Nature et de la vérité. […] La vie de bohème, l’existence aventureuse du comédien de campagne, ainsi qu’on l’appelait, courant l’aventure au long d’une grande route, jouant les rois dans une grange, à Pézenas ou à Fontenay-le-Comte, voyageant dans une « roulante », quand ce n’était pas à pied, sous le costume de ses emplois, vêtu en tyran, ou tantôt en nourrice, rappelons-nous donc que Molière l’a menée pendant plus de douze ans. […] Nos troubles l’avaient mis sur le pied d’homme sage, Et pour servir son prince il montra du courage.

2148. (1890) Le massacre des amazones pp. 2-265

Je me suis amusé de cette harmonie : A déchirer tes pieds dans mon sentier pierreux. […] Par ses efforts et par leurs soudaines défaites, par la lenteur de ses solennités voulues et par la brusquerie de sa vie spontanée, par la grâce flottante de ses phrases et par la fièvre de ses mots, elle se manifeste comme une nerveuse qui contient ses frémissements, et qui redresse sa taille, et qui se hausse sur la pointe des pieds ; comme une frêle Michelette qui s’applique à imiter l’ampleur de Chateaubriand. […] Mais, parmi les approbations qui me vinrent, nombreuses aussi, quelques-unes me répugnent et je veux les repousser du pied.

2149. (1892) Essais sur la littérature contemporaine

Ida, j’adore Ida, la légère bacchante, Ses cheveux noirs, mêlés de grappes et d’acanthes Sur le tigre, attachés par une griffe d’or, Roulent abandonnés ; sa bouche rit encor En chantant Évohé ; sa démarche chancelle, Ses pieds nus, ses genoux que la robe décèle, S’élancent, et son œil, de feux étincelant, Brille comme Phœbus sous ce signe brûlant. […] Ils montent, étreignant la Mort qui les entraîne Là-haut, là-haut où germe une lueur sereine : Et tout le peuple astral que l’homme a dénombré, Ce qu’il nommait le ciel, sous leurs pieds a sombré. […] Aussi longtemps que l’individu attend un jugement au-delà de ce monde, il est plus grand que la société qui n’en attend point… L’immortalité de l’âme détrône la société et la met aux pieds, non de l’individu sans doute, mais de l’individualité. » Je n’aime pas voir ainsi les droits de l’individu mis dans la dépendance et au hasard d’une hypothèse métaphysique. […] La première est de savoir si le vers de douze pieds, l’alexandrin français et l’hexamètre grec, ne serait pas peut-être, comme l’a soutenu M. Becq de Fouquières — en son curieux Traité de versification française — la limite extrême de la durée d’expiration normale de la voix humaine, auquel cas des vers de quatorze ou seize pieds ne seront donc jamais des vers.

2150. (1914) Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne pp. 59-331

Il n’avait pas pris au pied de la lettre cette rédargumentation de la lettre. […] Il faut qu’ils soient apportés loyalement et séparément aux pieds du Créateur. […] Il est déjà l’homme de pied, le fantassin, pedes, et de cette race pour qui la cavalerie n’a jamais été que l’infanterie montée. […] Quant à Daniel, il posait négligemment sur la croupe de ces lions un pied familier que je n’oserais pas poser, moi, sur la croupe d’un modeste terre-neuve).

2151. (1813) Réflexions sur le suicide

L’autre force, c’est-à-dire, celle qui renverse les obstacles opposés à nos désirs, a le succès pour récompense aussi bien que pour but, mais il n’est pas plus admirable de faire usage de son esprit pour asservir les autres à ses passions, que d’employer son pied pour marcher ou sa main pour prendre ; et dans l’estimation des qualités morales, c’est le motif des actions qui seul en détermine la valeur.

2152. (1893) Du sens religieux de la poésie pp. -104

La Nature s’irrite autour de mes pensées, Autour du solitaire espoir de mon orgueil : Comme l’océan bat de ses vagues pressées Le pied perpétuel d’un phare ou d’un écueil, La Nature s’irrite autour de mes pensées.

2153. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 avril 1885. »

Soudain, dans ce site musical, dans ce fluide et fantastique site, l’orchestre éclate, peignant en quelques traits décisif, enlevant de pied en cap, avec le dessin d’une héraldique mélodie, Tannhaeuser qui s’avance ; — et les ténèbres s’irradient de lueurs, les volutes des nuées prennent des formes tourmentées de hanches et palpitent avec d’élastiques gonflements de gorges ; les bleues avalanches du ciel se peuplent de nudités ; des cris de désirs incontenus, des appels de stridentes lubricités, des élans d’au-delà charnel, jaillissent de l’orchestre et, au-dessus de l’onduleux espalier des nymphes qui défaillent et se pâment, Vénus se lève, mais non plus la Vénus antique, la vieille Aphrodite, dont les impeccables contours firent hennir pendant les séculaires concupiscences du Paganisme, les dieux et les hommes, mais une Vénus plus profonde et plus terrible, une Vénus chrétienne, si le péché contre nature de cet accouplement de mots était possible !

2154. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 13, qu’il est probable que les causes physiques ont aussi leur part aux progrès surprenans des arts et des lettres » pp. 145-236

Durant trente-quatre ans, l’Italie, pour me servir de l’expression familiere à ses historiens, fut foulée aux pieds par les nations barbares.

2155. (1753) Essai sur la société des gens de lettres et des grands

Si les talents sont justement choqués de ce partage, c’est à eux seuls qu’ils doivent s’en prendre ; qu’ils cessent de prodiguer leurs hommages à des gens qui croient les honorer d’un regard, et qui semblent les avertir par les démonstrations de leur politesse même qu’elle est un acte de bienveillance plutôt que de justice ; qu’ils cessent de rechercher la société des grands malgré les dégoûts visibles ou secret qu’ils y rencontrent, d’ignorer les avantages que la supériorité du génie donne sur les autres hommes, de se prosterner enfin aux genoux de ceux qui devraient être à leurs pieds.

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