/ 2350
842. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre premier »

Enfin, à une certaine époque unique éclatent dans le même peuple la perfection du génie particulier de ce peuple, et la perfection de l’esprit humain. […] Vous n’appellerez pas l’esprit français, l’esprit de certaines époques où soit à la suite de conquêtes, soit par les fautes d’un mauvais gouvernement, la France a copié, avec l’ardeur qui lui est propre, tantôt les défauts du peuple conquis, tantôt ceux de la nation étrangère dont elle subissait l’influence. […] C’est le temps où, plus barbare que le peuple conquis, elle s’affublait, comme d’une mode, de la civilisation qu’elle avait visitée, et prenait je ne sais quel travestissement de subtilité puérile et de vaine galanterie. […] L’inversion sied bien aux peuples chez qui l’imagination et la sensibilité dominent la raison.

843. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — V. — article » pp. 457-512

La magie des Grands Maîtres a toujours consisté dans ces puissans ressorts ; c'est en les maniant avec habileté, qu'ils se sont élevés au dessus de la sphere des Esprits ordinaires, & ont donné à leurs Ouvrages ce germe d'immortalité qui les rend précieux à tous les Peuples & à tous les Siecles. […] Comment, après cela, la Raison & le Goût pourroient-ils avouer les acclamations prodiguées à ces tirades philosophiques, applaudies d'abord par la surprise de la nouveauté, aujourd'hui par habitude, & encore sont-elles abandonnées au peuple des Spectateurs ? […] On y a démontré des milliers d’erreurs, qui n’ont été défendues que par d’autres erreurs, plus absurdes & plus multipliées ; d’où il est aisé de conclure, qu’en voulant peindre l’esprit des Peuples, il n’a peint véritablement que son propre esprit, c’est-à-dire, un esprit asservi à toutes les bizarreries d’une imagination déréglée, aveuglé par les travers d’une raison inconséquente & sans suite, emporté par les inquiétudes d’un caractere audacieux & sans frein. […] Les Anglois mêmes, si souvent loués dans ses écrits, sont devenus, comme les autres Peuples, le jouet de ses plaisanteries. […] Tel est cependant l'Homme, dont la plus grande partie de la Nation a fait son Idole, & qu'on a encensé, sur ses derniers jours, au point de ne pas craindre de le rendre ridicule, en le couronnant & lui décernant sur un Théatre public, les honneurs de l'Apothéose ; tel est cependant l'Homme qu'on a préconisé, célébré, honoré avec enthousiasme, & à qui on s'est proposé très-sérieusement d'élever des statues, sans songer que dans l'Antiquité, & chez tous les Peuples sages, cet honneur n'a jamais été que le prix des vertus héroïques, ou des services rendus à la Patrie.

844. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Μ. Ε. Renan » pp. 109-147

Seulement, par exception, par grande exception à l’usage sur le flot coulant de cette pensée en détrempe surnagent, çà et là, de ces énormités comme les bons sophistes des sociétés en décadence en lâchent quelquefois au nez des peuples blasés, et ennuyés auxquels ils ont affaire, pour les tirer de leur engourdissement… L’auteur des Dialogues philosophiques d’ordinaire, le courage de la sottise et la bravoure de la folie impudente. […] Pour dire simplement, comme tout le monde : l’instinct religieux des peuples, M.  […] Mais c’est justement parce qu’il était empereur qu’il pouvait le faire sans danger… parce que l’opinion de l’empereur — de ce détenteur absolu du pouvoir suprême — pouvait tout sur un peuple sénile, corrompu et dégénéré, usé au frottement des tyrannies, comme était le peuple romain même quand ce détenteur du pouvoir suprême était un monstre, à plus forte raison quand il s’avisait d’être un sage !… Mais l’opinion d’un peuple qui n’en avait plus, n’avait pas besoin d’être subjuguée.

845. (1896) Le IIe livre des masques. Portraits symbolistes, gloses et documents sur les écrivains d’hier et d’aujourd’hui, les masques…

Trop intelligent pour se soucier de ce qu’on appelle la justice sociale, trop finement égoïste pour songer à détruire des privilèges où il voulait entrer, il se fit ouvrir par le peuple la porte de la forteresse que le peuple, alors, crut avoir prise. […] Peut-être, car il ne faut pas oublier qu’un homme, même supérieur, s’il demande toujours les faveurs du peuple, finit par penser en même temps que le peuple. […] René Ghil n’avait pas faussé comme à plaisir son talent et son instrument, il aurait pu être ce poète, celui qui dit au vaste peuple sa propre pensée, qui clarifie ses obscurs désirs. […] Dès que le nom argotique de l’argent avait passé dans le peuple les voleurs en imaginaient un autre. […] On dit que le peuple d’Athènes avait cette notion.

846. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome IV pp. -328

« Ce peuple a conservé près de deux mille ans la connoissance du vrai Dieu. […] Le peuple, qui s’allarme aisément, craignit d’aller contre cette défense. […] Hors les temps de guerre, elle n’exerce presque ses fonctions que sur le peuple. […] Les peuples les plus barbares l’ont goûté. […] L’incontinence est consacrée chez ce peuple.

847. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre III. — Du drame comique. Méditation d’un philosophe hégélien ou Voyage pittoresque à travers l’Esthétique de Hegel » pp. 111-177

Ce petit peuple, bouffi d’ineptie et de mauvaises passions, qui déblatère et se démène contre la saine politique et contre l’ordre social, ces enfants qui insultent à la majesté paternelle, sont réellement en guerre contre le Divin et non contre son apparence. […] Bon citoyen, bon patriote, conservateur de l’ordre social et de la paix, il donne au peuple le spectacle hardi de sa corruption morale, de sa turbulence étourdie, de sa faiblesse crédule et de son imbécile confiance en ceux qui le perdent. […] Les peuples se rangeaient autour des hommes forts qui les avaient délivrés de la main de quelque géant ennemi ou de la griffe des bêtes féroces, et la bonne volonté de ces libérateurs puissants devenait leur loi. […] Ni les peuples, ni les rois ne sont libres. […] Et, ainsi, ces tableaux où respire encore le bien-être, une sérénité naïve, sont en réalité les derniers grands résultats que produit la poésie du peuple grec.

848. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCVe entretien. Alfred de Vigny (2e partie) » pp. 321-411

« Cette porte est ouverte à présent, et le peuple le plus impatient a écouté les plus longs développements philosophiques et lyriques. […] il n’y en a point dans l’obéissance volontaire aux crimes d’un peuple ou d’un homme. […] Voilà l’instinct des peuples, voilà la loi des lois, l’unité de l’armée et sa discipline. […] D’ailleurs le joug de l’armée se brise et rend la liberté relative au peuple après une éclipse d’une certaine durée ; rien n’est éternel, surtout en France. […] Le récit est touchant, nous vous conseillons de le lire et de le faire lire à ce peuple plus inconsidéré que cruel.

849. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Figurines »

On est d’accord aujourd’hui pour croire au récit de son fils Louis, à ce Mémoire sur la misère du peuple, confié par Racine à Mme de Maintenon. […] Il a la haine des grands, qu’il connaissait trop, et, déjà, l’amour du peuple. […] Relisez les pages sur les deux extrémités du vieil ordre social, le peuple et la cour (« L’on parle d’une région… » etc., et « L’on voit certains animaux farouches… » etc.), et sur la guerre (« Petits hommes, hauts de six pieds… » etc.). […] Assurément, les institutions jacobines et napoléoniennes sont artificielles et oppressives ; mais, en quatre-vingt-dix ans, n’ont-elles pu modifier le peuple qu’elles enserrent dans leurs cadres et lui faire une autre nature ? […] Enfin il se préoccupe extrêmement des humbles et des petits ; il se penche sur le peuple.

850. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — I. » pp. 325-345

Il prenait part à tous les sujets sérieux, traités ou proposés par l’Académie de Metz, dont il était un des membres dirigeants ; il pensait à concourir pour l’Éloge de Louis XII, proposé par l’Académie française, et se prenait dès lors pour ce roi, père du peuple, de cette prédilection presque paradoxale qui, dans ses heures de loisir, dominera désormais tous ses points de vue sur l’histoire et la société française des derniers siècles. […] Dans mes rapports avec la Commune de Paris, je reconnus que c’était un énorme contresens de faire conférer par le peuple aux administrateurs l’investiture de fonctions instituées pour l’exécution des ordres du gouvernement, comme si on avait voulu que les ordres venant du centre aux extrémités heurtassent pour l’exécution contre les oppositions naturelles aux extrémités contre le centre. […] Roederer veut démontrer que, dès 1792, l’autorité n’était nulle part ailleurs que dans le peuple ; qu’à force de se mettre en garde contre le pouvoir arbitraire, de le battre en brèche, de le mater et de le mutiler, l’Assemblée constituante obéissant à l’esprit du temps avait laissé grandir autour d’elle et en dehors une puissance formidable d’une tout autre nature, non moins arbitraire et mille fois plus tyrannique. […] Il s’était élevé en France une multitude d’hommes d’une éloquence forte et barbare, tels que notre fabuliste nous représente le Paysan du Danube, qui avaient bien mieux découvert que les orateurs des Assemblées nationales les voies de la persuasion et de l’entraînement, qui entraient bien plus avant dans les pensées, dans les passions, dans les préjugés, dans les intérêts imaginaires ou réels des dernières classes du peuple, qui sont les plus nombreuses.

851. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Ces pauvres Anglais avaient beau rappeler les droits de l’hospitalité ; rien n’était compris par ce peuple ours. […] qu’est devenue son aimable réputation de peuple hospitalier ? […] Peuple de titis ou messieurs à gants paille, ne retombent-ils pas exactement dans le même procédé ? […] et beaucoup d’autres gentillesses, auprès desquelles le peuple est resté calme, ce qui a fort déjoué les turbulents.

852. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIIe entretien. Sur la poésie »

Le jeune homme ne tarda pas à devenir prêtre, resta à Paris, et fut employé, pendant trois ans, à expliquer les mystères aux enfants du peuple, les jours de fête et les dimanches, dans la sacristie de l’église Saint-Sulpice. […] Fénelon reprit à Sarlat sa passion d’apostolat lointain et poétique pour la conversion des peuples. […] Ce cri des victimes commençait à importuner la cour ; on voulait l’apaiser, non par des libertés rendues à la conscience des peuples, mais par des ministres plus insinuants et plus humains. […] — Continuez à faire venir des blés, écrit-il ailleurs aux ministres du roi, c’est la controverse la plus persuasive pour eux… Les peuples ne se gagnent que par la parole.

/ 2350