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593. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Lettres inédites de Michel de Montaigne, et de quelques autres personnages du XVIe siècle »

Nous avons vu Montaigne en voyage, ajoutant chaque jour par sa curiosité à ses connaissances et à ses plaisirs : et en général, il semble n’avoir voulu prendre de chaque état nouveau, de chaque profession ou fonction accidentelle où il entrait, que ce qu’il en fallait pour compléter son éducation personnelle, pour perfectionner son outil intérieur par une application fréquente et variée. […] C’est songer à sa réputation personnelle plus qu’au bien de la chose, que « d’attendre à faire en place publique ce qu’on peut faire en la chambre du Conseil, et de venir étaler en plein midi ce qu’on eût mieux fait la nuit précédente. » Il n’est pas de ceux qui pensent « que les bons règlements ne se peuvent entendre qu’au son de la trompette. » Et puis il s’exagère si peu l’honneur de ces postes secondaires !

594. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

Le résultat atteint, et à peine sorti d’un régime d’ambition et de conquête, il put vite s’apercevoir qu’il allait avoir affaire à des opposants d’un autre genre, et non pas les moins opiniâtres ni les moins dangereux : il retrouvait sur son chemin, après vingt-cinq ans, comme au premier jour, l’entêtement dans le passé, les préventions personnelles et l’humeur, l’ornière de la routine, les hauteurs du droit divin, un favoritisme exclusif et inintelligent, la méconnaissance de l’esprit d’un siècle. […] S’il avait eu, comme Chateaubriand, le goût des contrastes, son imagination aurait eu beau jeu à se déployer par la comparaison de son succès personnel à Londres en 1830 et de la souveraine considération dont il jouissait, avec l’accueil si défavorable (pour ne pas dire pis) qui lui avait été fait trente-huit années auparavant en janvier 1792, lorsqu’il y était venu chargé d’une mission secrète de la part d’un gouvernement décrié que le choix qu’on faisait de lui décriait encore davantage41.

595. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [III] »

Et puis, il faut l’avouer, un chef d’état-major qui a, à chaque instant, un avis personnel, peut à la longue devenir contrariant et incommode, surtout si l’on ne réussit pas. […] … Je me tais par prudence, et plutôt pour vous que pour moi… » Berthier, ce grand chef d’état-major dont je ne prétends point méconnaître les mérites appropriés au génie du maître, mais « à qui il fallait tout dicter » ; Berthier, « à qui vingt campagnes n’avaient pas donné une idée de stratégie », et qui n’en avait que faire sans doute dans son rôle infatigable d’activité toute passive ; Berthier, qui, au début de la dernière guerre d’Allemagne (1809), dépêché d’avance à Ratisbonne pour y rassembler l’armée, avait signalé son peu de coup d’œil personnel, son peu de clairvoyance dans l’exécution trop littérale des ordres en face d’une situation non prévue ; Berthier, qui pourtant s’était vu comblé de toutes les dignités, de toutes les prérogatives, et finalement couronné et doté jusque dans son nom de cette gloire même de Wagram, — un tel personnage avait certes beau jeu contre un simple officier en disgrâce, dont il ne prévoyait pas les titres distingués et permanents auprès de tous les militaires instruits et des studieux lecteurs de l’avenir.

596. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — Note »

Je désirerais bien vous parler pour une affaire qui ne m’est pas personnelle, mais qui m’intéresse et à laquelle vous pouvez quelque chose.  […] Je ne promets pas de me rendre aveuglément à toutes vos critiques (quoique vous en soyez trop avare avec moi) : nous avons tous une partie de nous-même en jeu dans nos œuvres, et nous tenons souvent autant à nos défauts qu’à nos qualités ; mais un lecteur éclairé voit mieux que nous, quand nous rendons bien ou mal nos idées les plus personnelles, et nous empêche de donner une mauvaise forme à nos sentiments.

597. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « QUELQUES VÉRITÉS SUR LA SITUATION EN LITTÉRATURE. » pp. 415-441

Une plaie moins matérielle, et en même temps plus saisissable, plus ostensible, qui tient de près à l’ambition personnelle des hommes de talent et à leur prétention d’être chacun un roi absolu, c’est la façon dont ils s’entourent, dont ils se laissent entourer. […] Mais quand les grandes doctrines sont taries, qu’on ne peut plus que les simuler encore par simple gageure et jeu, quand les questions d’ambition personnelle et d’amour-propre débordent, que la popularité à tout prix est la conseillère, on devient facile et de bonne composition ; les acceptions distinctes s’effacent ; tous les efforts de l’Académie, bien loin de pouvoir rétablir les nuances entre les synonymes, ne sauraient maintenir leur sens moyen au commun des mots ; les termes d’homme de talent, d’écrivain consciencieux, se prodiguent pêle-mêle à chaque heure, comme de la grosse monnaie effacée.

598. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre V. Des ouvrages d’imagination » pp. 480-512

Souvent il fallait, sous la monarchie, savoir concilier sa dignité et son intérêt, l’extérieur du courage et le calcul secret de la flatterie, l’air de l’insouciance et la persistance de l’intérêt personnel, la réalité de la servitude et l’affectation de l’indépendance. […] Il faut signaler de certaines formes derrière lesquelles tant d’hommes se retirent pour être personnels en paix, ou perfides avec décence.

599. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Jules de Glouvet »

. ; on fait aller les substantifs et les adjectifs deux par deux et l’on supprime le plus de pronoms personnels et d’articles possible ; puis on y fourre la chevalerie de la Chanson de Roland, l’amour mystique du cycle d’Artus, la dévotion des Mystères et la gaillardise des Fabliaux. […] Un dieu personnel qui saurait tout et pour qui l’univers serait parfaitement clair n’en jouirait que comme d’une machine bien agencée ; il savourerait des rapports de nombre ; il n’aurait qu’un plaisir de mathématicien : il ne rêverait jamais.

600. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série «  Paul Bourget  »

Nisard et Sainte-Beuve, qu’entre…, mettons entre Corneille, Racine et Molière, et qu’enfin la critique est une représentation du monde aussi personnelle, aussi relative, aussi vaine et, par suite, aussi intéressante que celles qui constituent les autres genres littéraires. […] Ainsi, dogmatique ou scientifique, la critique littéraire n’est jamais, en fin de compte, que l’œuvre personnelle et caduque d’un misérable homme.

601. (1894) Propos de littérature « Chapitre II » pp. 23-49

Un livre rare et personnel de M.  […] Elle ne reporte guère chez lui à la chose présente, car elle n’arrête que rarement à un détail particulier et son apparition est trop rapide et trop intermittente pour faire retomber l’illusion évoquée ; mais, s’alliant avec le rythme personnel et la couleur d’esprit de ce poète, elle donne souvent à la strophe une puissance dont l’énergie inattendue ne permet point de sentir qu’elle rompt la trame de l’harmonie : elle est la sœur et la fille de cette morale de l’action qu’elle accompagne.

602. (1890) La fin d’un art. Conclusions esthétiques sur le théâtre pp. 7-26

Nos idées, qui sont le plus intime et le plus personnel de nous, ne sont élaborées que grâce à la matière fournie par notre sensibilité. […] Oserons-nous maintenant demander si notre vie a droit à ces épithètes, alors qu’il n’y a pas d’exemple d’une conduite plus personnelle que celle de nos contemporains ?

603. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XX. La fin du théâtre » pp. 241-268

Nos idées, qui sont le plus intime et le plus personnel de nous, ne sont élaborées que grâce à la matière fournie par notre sensibilité. […] Oserons-nous maintenant demander si notre vie a droit à ces épithètes, alors qu’il n’y a pas d’exemple d’une conduite plus personnelle que celle de nos contemporains ?

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