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871. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Edgar Allan Poe  »

Il est permis de soupçonner qu’un psychologue si habile à disséquer minutieusement des états d’âme inconnaissables n’a peut-être point usé non plus d’observations et de documents pour deviner les personnages ailleurs moins hypothétiques. […] En un ensemble d’œuvres, les plus étranges de notre siècle, nous avons noté un ensemble de caractères d’abord externes, puis intérieurs Ces caractères associés selon leur similitude, analysés selon leur signification, nous ont permis de conclure chez celui dont ils marquent les écrits, à certaines propriétés mentales, dont l’existence et les modifications réciproques expliquent pourquoi l’œuvre de Poe est telle que nous l’avons vue. […] Poe se marie ; et les circonstances lui ayant ainsi permis d’augmenter le rayon de ses souffrances, voici les désastres qui reviennent et se suivent, que chassé de ville en ville et de rédaction en rédaction, restant besoigneux, lent à travailler, querelleur, aigri, affolé par le spectacle de la maladie qui minait sa femme, semblait l’abandonner et la ressaisissait, il se jeta dans le vice qui consomma sa ruine, se mit à boire les redoutables liqueurs que l’on débite en Amérique, ces délabrants mélanges d’alcool, d’aromates et de glace ; et toujours luttant contre sa tentation et toujours succombant, reportant l’amour enfantin qui purifiait sa pauvre âme, de sa femme morte à sa belle-mère, quêtant un peu de sympathie auprès de toutes les femmes qu’il trouvait sur un chemin et ne recevant qu’une sorte de pitié timide, ayant tenté de se suicider pour une déconvenue de cette espèce, atteint enfin de la peur de la bête pourchassée, du délire des persécutions, multipliant ses dernières ivresses qui le menaient de chute en chute à la mort, — il en vint, l’homme en qui se résumaient la beauté, la pensée, la force masculine, à avoir cette face de vieille femme hagarde et blanche que nous montre un dernier portrait, cette face creusée, tuméfiée, striée de toutes les rides de la douleur et de la raison chancelante, où sur des yeux caves, meurtris, tristes et lointains, trône, seul trait indéformé, le front magnifique, haut et dur, derrière lequel son âme s’éteignait. […] Poe conserva intacte à peu près, sinon entièrement, la partie intérieure, précieuse et inutile de son être, le délicat et magnifique mécanisme cérébral, qui lui permit de fleurir son tronc rabougri de corolles resplendissantes.

872. (1913) La Fontaine « I. sa vie. »

Mais encore, me permettez-vous d’être un peu sceptique ? […] Mais La Fontaine s’honora singulièrement dans ces circonstances, et comme, en vérité, c’est la seule bonne action que La Fontaine ait faite dans sa vie, vous me permettrez d’y insister un peu. […] A partir de 1668, La Fontaine entrelaça le travail des Fables et le travail des Contes, de telle manière que tantôt il paraissait un recueil de Contes et tantôt un recueil de Fables, et ceci jusqu’à la fin, ce qui lui a permis d’insérer dans les Fables un certain nombre de poèmes qui sont des Contes, qui ne sont pas autre chose que des Contes. […] Il paraît  on a beaucoup étudié cette question, elle est intéressante jusqu’à un certain point  il paraît que le bon La Fontaine fit des démarches auprès de Boileau pour que Boileau voulût bien retirer sa candidature afin de lui permettre de passer.

873. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Balzac » pp. 17-61

Le traité de Balzac devait embrasser la vie élégante tout entière, avec ses faces multiples et ses développements, et il n’en a touché que la première partie, mais d’une main si sûre, si juste, si habile, si raffinée, et, qu’on me permette le mot ! […] Lévy n’ont fait précéder d’aucun avant-propos qui justifie la conception quelconque, s’il y en a une, et il doit y en avoir une, d’après laquelle ils se sont permis de changer l’ordre de La Comédie humaine de l’édition de Furne. Ces volumes, typographiquement assez bien exécutés, autant du moins que le permet l’abaissement général et honteux de la confection matérielle du livre moderne, ont, en effet, dans la distribution qu’ils ont changée des romans composant l’Œuvre de Balzac, renversé l’ordre établi par lui-même, c’est-à-dire toute son architecture ; car c’était un architecte que Balzac dans sa Comédie humaine ! […] L’homme, le cerveau de l’homme, les développements successifs de ce cerveau, intéressent peut-être encore plus les lecteurs que ses ouvrages, et c’est pourquoi il n’est jamais permis de rien changer à l’ordre chronologique des œuvres d’un homme ; car le temps est l’accoucheur de la pensée !

874. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Agrippa d’Aubigné. — II. (Fin.) » pp. 330-342

Dans ces parties accessoires de son ouvrage, et où il se permet toutes sortes de fleurs de rhétorique et de licences oratoires, il laisse bien voir aussi le sentiment d’élévation et d’enthousiasme qu’il y porte ; et pour revenir à un rapprochement que bien des endroits justifieraient, il y a en lui, chroniqueur et historien, quelque chose d’un Froissart passionné. […] Sa femme disait de lui, dans une lettre qui nous le peint le même jusqu’à la fin : La grande promptitude de Monsieur n’est point amoindrie avec l’âge, ni son excellent esprit, à qui il donne quelquefois plus de liberté que les affaires de ce temps ne permettent.

875. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) «  Œuvres et correspondance inédites de M. de Tocqueville — I » pp. 93-106

Il ne serait pas juste de juger la pensée, de l’auteur sur une première partie qui attendait son développement ; il est permis pourtant de dire que cette vue des deux sociétés et des deux régimes fut conçue trop exclusivement sous une inspiration de circonstance. […] Lanjuinais : « Vous appartenez, et je me permets de dire, nous appartenons à une famille intellectuelle et morale qui disparaît. » Je reconnais le droit de le dire à celui qui parle ainsi, comme je le reconnaissais à M. 

876. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ALFRED DE MUSSET (La Confession d’un Enfant du siècle.) » pp. 202-217

La résistance de Mme Pierson, la tristesse résignée d’Octave, les sons de la voix aimée qui n’éveillent plus en lui ces transports de joie pareils à des sanglots pleins d’espérance, sa pâleur, qui réveille au contraire en elle cet instinct compatissant de sœur de charité ; puis, au premier baiser, l’évanouissement, suivi d’un si bel effroi, cette chère maîtresse éplorée, les mains irritées et tremblantes, les joues couvertes de rougeur et toutes brillantes de pourpre et de perles ; ce sont là des traits de naturelle peinture qui permettraient sans doute de trouver en cet épisode la matière d’une comparaison, souvent heureuse, avec Manon Lescaut ou Adolphe, si une idée simple et un goût harmonieux avaient ici ménagé l’ensemble, comme dans ces deux chefs-d’œuvre. […] Avant de laisser le brillant et nouveau témoignage de force et de talent donné par M. de Musset, aux limites et presque en dehors de la critique littéraire sur laquelle nous avons trop insisté peut-être, que l’auteur, que l’ami nous permette un vœu encore.

877. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « HOMÈRE. (L’Iliade, traduite par M. Eugène Bareste, et illustrée par M.e Lemud.) —  premier article .  » pp. 326-341

Mais, dans l’état actuel de nos connaissances, est-il bien permis encore de nommer de la sorte Homère comme un seul poëte, comme une personne, et n’est-on pas tenu d’ajouter immédiatement qu’on ne le nomme ainsi que par forme provisoire et comme qui dirait, sous bénéfice d’inventaire ? […] On alla d’emblée plus loin que n’avaient cru pouvoir se le permettre les plus hardis des Anciens ; on ne se borna pas à attribuer l’Iliade et l’Odyssée à deux auteurs différents, comme quelques Alexandrins l’avaient pensé et comme plusieurs considérations tendraient à le faire concevoir : on ne laissa subsister à l’intérieur de chaque poëme aucune unité primitive, aucune inspiration personnelle et dirigeante.

878. (1858) Cours familier de littérature. V « Préambule de l’année 1858. À mes lecteurs » pp. 5-29

IV Cependant, qu’ils me permettent une seule observation sur la différence des temps et des procédés entre la Némésis et leur diatribe. […] Que le lecteur juge de ce grand crime commis en badinant ; il y a des gens auxquels il n’est permis ni de pleurer ni de sourire !

879. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre I. Les mémoires »

Souvent les œuvres littéraires furent des actes politiques, quelquefois des actes décisifs : mais surtout l’état politique créa des conditions qui permirent à certains genres de grandir, ou de se transformer, ou d’éclore. […] Mais pour le reste il s’est peint au naturel : noir, sec, vif, sobre, brave, cela va sans dire, mais d’une ardeur réglée par la finesse et la prudence, connaissant à fond le soldat, et sachant le prendre, très appliqué à son métier, très au courant de toutes les questions techniques, très attentif aux progrès de l’armement, un peu « Gascon » et vantard, frondeur et souple, honnête en somme autant que la guerre d’alors le permettait, dur par nécessité, homme de consigne et de discipline, dont le service du roi fut l’unique loi.

880. (1925) Méthodes de l’histoire littéraire « I. Leçon d’ouverture du Cours d’éloquence française »

Il se permettait d’être charmant, d’être tout à fait lui, dans le journal, dans la courte chronique improvisée au coin d’une table, parce qu’au fond il ne faisait pas grand cas de cette besogne. […] Ils sont faits, toutes les fois que le sujet le permet, sur le type que voici ; Qu’est-ce que l’écrivain ?

881. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Leconte de Lisle, Charles-Marie (1818-1894) »

Don magique de réflexion objective, puissance étonnante d’impersonnalité créatrice, telles sont les deux qualités principales qui lui ont permis d’élever ce monument poétique dont le caractère est sans précédent dans notre littérature, sans analogue nulle part. […] Tout est permis quand la sincérité fait le fond, d’autant plus que ce que vous avez conseillé aux poètes nouveaux de faire, vous l’avez commencé vous-même, résolument, patiemment.

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