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450. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres de Voiture. Lettres et poésies, nouvelle édition revue, augmentée et annotée par M. Ubicini. 2 vol. in-18 (Paris, Charpentier). » pp. 192-209

Voiture suffisait à tout, mais il n’allait pas au-delà et pensait guère à nous autres gens du lendemain, ni à la postérité. […] Quels que fussent les motifs de Voiture en composant cette pièce, et quoiqu’il ait pu avoir intérêt à faire par là sa paix particulière (s’il en avait eu besoin) avec le cardinal, il n’est pas douteux qu’il exprime ce qu’il pense et l’on n’écrit pas de la sorte, avec cette simplicité et cette fermeté, sans être convaincu. […] Il écrivait en prose et en vers fort agréablement, et d’une manière si galante et si peu commune, qu’on pouvait presque dire qu’il l’avait inventée : du moins suis-je bien que je n’ai jamais rien vu qu’il ait pu imiter, et je pense même pouvoir dire que personne ne l’imitera jamais qu’imparfaitement ; car enfin, d’une bagatelle il en faisait une agréable lettre, et si les Phrygiens disent vrai lorsqu’ils assurent que tout ce que Midas touchait devenait or, il est encore plus vrai de dire que tout ce qui passait dans l’esprit de Callicrate devenait diamant, étant certain que du sujet le plus stérile, le plus bas et le moins galant, il en tirait quelque chose de brillant et d’agréable. […] Ce sont les vers improvisés à la reine Anne d’Autriche dans une promenade à Ruel : Je pensais que la destinée Après tant d’injustes malheurs… C’est surtout l’épître à M. le prince, après son retour d’Allemagne où il avait failli mourir de maladie (1645), pièce charmante, philosophique et de la plus douce veine. […] Delille n’eût jamais écrit ni pensé la belle page sur le cardinal de Richelieu.

451. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Ernest Renan »

Il lui semble que cette aberration laborieuse de l’esprit humain, qu’on a pu comparer à un cauchemar pesant, a été fructueuse et féconde : « Le sentiment de l’infini a été, pense-t-il, la grande acquisition faite par l’humanité durant ce sommeil apparent de mille années. » Il lui est arrivé, à certains jours, en même temps qu’il jugeait sans grande estime ce que nous appelons notre ère immortelle de 89, et où il ne voyait, en haine des badauds, qu’un fait purement français de vulgarisation égalitaire, de regretter, tout à l’opposite, je ne sais quelle époque du haut Moyen-Âge où, derrière les mille entraves et sous leur abri peut-être, l’intelligence des forts s’exerçait et se développait avec plus de vigueur et d’élévation solitaire. […] J’ai voulu une fois dans ma vie dire ce que je pense d’une race que je crois bonne, quoique je la sache capable, quand on exploite sa droiture, de commettre bien des naïvetés. […] — Autre exemple : si les diverses races humaines se sont produites sur ce globe successivement et par des générations distinctes comme la science peut être amenée à le reconnaître et comme il incline à le penser, comment alors sauver le grand dogme sacré de l’unité humaine, cette croyance :« que tous les hommes sont enfants de Dieu et frères ?  […] Royer-Collard n’était pas plus jaloux de penser à part et avec un petit nombre que ne l’est d’instinct M.  […] Renan, ayant su qu’on voulait bien penser à lui pour une chaire, répondit qu’il ne pourrait en accepter d’autre que celle de M. 

452. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe et d’Eckermann (suite) »

En religion, en politique, dans les sciences, on m’a partout tourmenté, parce que je n’étais pas hypocrite et parce que j’avais le courage de parler comme je pensais. […] Mais, dans l’état actuel, il faut qu’il se maintienne toujours dans un certain milieu ; il faut qu’il pense que ses œuvres iront dans les mains d’un monde mêlé, et il est par là obligé de prendre garde que sa trop grande franchise ne soit un scandale pour la majorité des esprits honnêtes. […] Ils ont une manière de blâmer fine et galante : au contraire, nos savants allemands croient toujours qu’il faut se dépêcher de haïr celui qui ne pense pas comme nous. […] Je mets tous mes soins à me faire une idée nette de l’état de la littérature française contemporaine, et si je réussis, je veux un jour dire ce que j’en pense. […] Mais, si on l’interrogeait sur les vrais talents, sur Béranger, sur Mérimée, auteur dès lors du théâtre de Clara Gazul, Gœthe faisait aussitôt la distinction, et il reconnaissait en eux la vraie marque, l’originalité : « Je les excepte, disait-il : ce sont de vrais talents qui ont leur base en eux-mêmes et qui se maintiennent indépendants de la manière de penser du jour. » Avoir sa base et son fondement en soi, c’était la chose qu’il estimait le plus ; il a parlé quelque part de ces faux talents, qui n’en ont que le semblant et le premier jet : « Nous vivons dans un temps, disait-il, où il y a tant de culture répandue qu’elle s’est, pour ainsi dire, mêlée à l’atmosphère qu’un jeune homme respire.

453. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Méditations sur l’essence de la religion chrétienne, par M. Guizot. »

Maret pense comme M.  […] Guizot a recueilli et reconquis, on le sent, toute cette piété filiale et maternelle avec les années ; mais de plus, et en dehors du sentiment pur, sa raison et sa prudence interviennent à tout instant pour compléter son principe de foi, pour l’appuyer et le corroborer par de puissantes considérations politiques et sociales : « Y a-t-on bien pensé ? […] Il est enclin à penser qu’il en est de l’humanité en masse comme de bien des hommes en particulier : elle voudrait bien se faire passer pour ce qu’elle n’est pas. […] J’admets comme un droit naturel et universel la liberté de la pensée ; mais, parce qu’elle est essentiellement libre, elle n’est pas indifféremment vraie, et ceux-là seuls qui pensent comme moi sont, pour moi, dans la vérité et appartiennent à la même société intellectuelle, c’est-à-dire à la même Église que moi. […] Il ne serait pas exact de penser, comme paraît l’avoir cru l’illustre écrivain, d’après une autre lettre de lui écrite à la même date et dont j’ai eu communication, que ce « philosophe critique, sans femme, sans enfants, sans affaires, spectateur curieux et douteur, ce soit moi-même », et que j’aie mis là mon portrait en regard du sien.

454. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — III. Franklin à Passy. (Fin.) » pp. 167-185

Pensez seulement quelle figure je fais avec une petite bourse à cheveux et avec mes oreilles découvertes. […] Pensez ce que cela doit paraître parmi les têtes poudrées de Paris. […] Les Espagnols passent communément pour être cruels, les Anglais orgueilleux, les Écossais insolents, les Hollandais avares, etc. ; mais je pense que les Français n’ont aucun vice national qu’on leur attribue. […] Il le disait de l’Angleterre : comment ne l’eût-il point un peu pensé de la France ? […] Parmi les philosophes en renom du xviiie  siècle, je ne vois que Montesquieu qui aurait pu penser ainsi ; mais Franklin s’exprime d’une manière plus affectueuse et plus émue, plus paternelle, que ne l’eût fait Montesquieu.

455. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre I. De l’intensité des états psychologiques »

Et non seulement nous employons le même mot, mais soit que nous pensions à une intensité plus grande, soit qu’il s’agisse d’une plus grande étendue, nous éprouvons une impression analogue dans les deux cas ; les termes « plus grand », « plus petit », évoquent bien dans les deux cas la même idée. […] Pourquoi pensons-nous à une plus grande quantité ou à un plus grand espace ? […] Mais vous ne vous rendez distinctement compte de ces mouvements concomitants qu’à la condition d’en être averti ; jusque-là, vous pensiez avoir affaire à un état de conscience unique, qui changeait de grandeur. […] Mais la conscience, habituée à penser dans l’espace et à se parler à elle-même ce qu’elle pense, désignera le sentiment par un seul mot et localisera l’effort au point précis où il donne un résultat utile : elle apercevra alors un effort, toujours semblable à lui-même, qui grandit sur la place qu’elle lui a assignée, et un sentiment qui, ne changeant pas de nom, grossit sans changer de nature. […] Oubliez ce que la physique vous a appris, examinez avec soin l’idée que vous avez d’une note plus ou moins haute, et dites si vous ne pensez pas tout simplement au plus ou moins grand effort que le muscle tenseur de vos cordes vocales aurait à fournir pour donner la note à son tour ?

456. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « Remarques finales. Mécanique et mystique »

Nous savons ce qu’il faut penser de la transmissibilité des caractères acquis. […] Quand on formule la première, on pense à quelque compatriote. […] Nous ne le pensons pas. […] Plus simplement : sans négliger le nécessaire, il a trop pensé au superflu. […] En vérité, si nous étions sûrs, absolument sûrs de survivre, nous ne pourrions plus penser à autre chose.

457. (1894) Écrivains d’aujourd’hui

Aussi je ne pense pas que M.  […] Comme suprême argument à leur subjectivisme, et aussi je pense afin de taquiner M.  […] Je le pense, et M.  […] Mais j’admets qu’un autre pense autrement que moi. […] Je ne le pense pas.

458. (1891) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Quatrième série

Rigal pensera de ces considérations. […] Hardy n’a pas d’intérêt par lui-même, et, du ton qu’il en parle, je ne pense pas que M.  […] Le Breton n’a pas pensé que cela pût suffire à nous intéresser. […] On peut se le demander, puisque Bossuet le pensait, et l’a dit. […] Je veux dire par là que, s’il est intéressant de savoir ce que Descartes a pensé, il l’est bien plus encore de savoir ce que ses contemporains ont cru qu’il avait pensé.

459. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. de Rémusat (passé et présent, mélanges) »

Cette tiédeur d’opinion, cette paresse et presque cette peur de penser, du moment qu’il s’en rendit compte, devint une des antipathies du jeune homme et l’ennemi principal qu’il se plut tout d’abord à harceler. […] Tout en suivant ses études, le jeune homme, on le pense bien, ne s’y astreignait pas. […] C’est de cette époque, dit-il, qu’il commença à penser, à contracter un goût constant pour la philosophie, et qu’il prit l’habitude d’employer pour son propre compte les procédés analytiques recommandés dans l’école expérimentale. […] Il y a en un seul plusieurs hommes qui pensent, qui jouent, qui s’animent, qui se prennent à partie, qui se répondent, (chose plus rare !) […] Au reste, il aura beau se soustraire par portions et vouloir se dérober, il est de ceux qui laisseront plus de trace qu’ils ne se l’imaginent et que les contemporains eux-mêmes ne le pensent.

460. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre I. Le Roman. Dickens. »

Il pense incessamment et en frissonnant à la chambre où on le croit endormi. […] Ces gentillesses de cuisine et ces mièvreries d’imagination font penser (par contraste) aux tableaux d’intérieur de George Sand. […] Le lecteur sera ému ; il pensera voir les amours innocents et les gentillesses vertueuses d’un petit garçon et d’une petite fille de dix ans. […] La vertu moderne et la piété anglaise pensent autrement ; il ne faut pas mépriser ce monde en vue de l’autre ; il faut l’améliorer en vue de l’autre. […] Ce ne sont pas seulement les femmes qui, comme chez nous, se réfugient dans l’idée d’un autre monde ; les hommes y pensent.

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