Chaque instant de la durée des peines morales me fait peur, comme les souffrances physiques épouvantent la plupart des hommes, et s’ils avaient d’avance, je le répète, une idée également précise des chagrins de l’âme, ils éprouveraient le même effroi des passions qui les y exposent. […] Le législateur prend les hommes en masse, le moraliste un à un ; le législateur doit s’occuper de la nature des choses, le moraliste de la diversité des sensations ; enfin, le législateur doit toujours examiner les hommes sous le point de vue de leurs relations entre eux, et le moraliste considérant chaque individu comme un ensemble moral tout entier, un composé de plaisirs et de peines, de passions et de raison, voit l’homme sous différentes formes, mais toujours dans son rapport avec lui-même. […] Il ne serait pas juste de vanter autant la puissance intérieure de l’homme, si ce n’était pas, par la nature et le degré même de cette force qu’on doit juger de l’intensité des peines de la vie. […] Sous le rapport de la morale, sous le rapport de la politique, il existera beaucoup de distinctions à faire entre les passions viles et généreuses, entre les passions sociales et antisociales ; mais, en ne calculant que les peines qu’elles causent, elles sont presque toutes également funestes au bonheur. […] Je ne sais pas une délibération plus importante que celle qui conduirait à se faire un devoir de causer une peine, ou de refuser un service en sa puissance ; il faut avoir si présent à la pensée la chaîne des idées morales, l’ensemble de la nature humaine ; il faut être si sûr de voir un bien dans un mal, un mal dans un bien.
Les peines de cette passion sont assez peu connues, parce que ceux qui les ressentent en gardent le secret, et que tout le monde étant convenu de mépriser ce sentiment, jamais on n’avoue les souvenirs ou les craintes dont il est l’objet. […] Dans la plupart des situations, le bonheur même fait partie du faste des hommes vains, ou s’ils avouaient une peine, ce ne serait jamais que celle qu’il est honorable de ressentir. […] Cette passion qui n’est grande que par la peine qu’elle cause, et ne peut, qu’à ce seul titre marcher de pair avec les autres, se développe parfaitement dans les mouvements des femmes : tout en elles, est amour ou vanité. […] que de peines causées par les moyens sans nombre que l’envie prend pour la persécuter ! […] La peine se multiplie par la peine, et le but s’éloigne par l’action même du désir ; et dans ce tableau qui semblerait ne devoir rappeler que l’histoire d’un enfant, se trouvent les douleurs d’un homme, les mouvements qui conduisent au désespoir et font haïr la vie ; tant les intérêts s’accroissent par l’intensité de l’attention qu’on y attache ; tant la sensation qu’on éprouve, naît du caractère qui la reçoit bien plus que de l’objet qui la donne.
. — La Peine de l’Esprit, drame philosophique (1891). — Le Chemin du Mensonge, légendes, nouvelles et contes (1896, réédité 1898). — Le Diable marchand de goutte, pièce en trois actes (1895). — Morteville, drame en trois actes (1896). — Le Sotrè de Noël, farce rustique en trois actes, en collaboration avec Richard Auvray (1897). — Liberté, drame en trois parties. — Le Lundi de la Pentecôte, comédie en un acte (1898). — Chacun cherche son trésor, comédie en trois actes, en vers et en prose, musique de Lucien Michelot (1899). — Le Théâtre du Peuple, renaissance et destinée du théâtre populaire (1899). — L’Exil d’Aristide, conte (1899). — Le Chemin du repos, poèmes (1890-1900) [1900]. […] Émile Faguet C’est un poème encore, quoique écrit presque entièrement en prose, que la Peine de l’esprit, par M. […] La Peine de l’esprit, c’est notre histoire à tous, l’histoire de l’homme entre les séductions de l’idéal et les attractions de la réalité. […] Henry Gauthier-Villars La Peine de l’esprit raconte le tourment d’un Faust contemporain, et c’est un bonheur que le mal du Rêve soit incurable.
Je me suis efforcée pourtant de cacher ma sensibilité, de crainte d’augmenter la peine de Mlle Levasseur. […] Je vous avouerai que, lorsque je pense à votre situation, j’éprouve la peine la plus sensible. […] J’ai de la peine à croire qu’on eût pu aller si loin sur la qualité d’étranger. […] Je crains que vous n’ayez besoin d’argent, et cette appréhension est pour moi une peine des plus grandes. […] C’est la confiance, c’est l’amitié qui diminuent les peines de la vie, qui les entremêlent de plaisir et d’agrément.
Sans un pareil motif l’homme, qui n’aime pas le jeu, plaindra seulement le joüeur d’avoir contracté l’habitude dangereuse de mettre à la disposition des cartes ou des dez la douceur de son humeur et la tranquillité de sa vie ; c’est parmi ceux qui sont tourmentez de maux pareils aux nôtres que l’instinct nous fait chercher des gens qui partagent nos peines, et qui nous consolent en s’affligeant avec nous. […] Elle avoit senti les mêmes peines qu’éprouvoit énée, comme Virgile le lui fait dire. […] Peu mortifiez, peu surpris même des préferences les plus bizarres, ils sont mal disposez à entrer avec affection dans les peines d’un personnage que la promotion d’un concurrent fait sortir de son bon sens. […] C’en est assez pour s’interesser avec affection aux peines de ceux qu’elle tyrannise.
Les peines attachées à cette passion sont d’une autre nature que celles de l’amour de la gloire ; son horizon étant plus resserré, et son but positif, toutes les douleurs qui naissent de cet agrandissement de l’âme, en disproportion avec le sort de l’humanité, ne sont pas éprouvées par les ambitieux. […] Les peines donc qui naissent de l’exaltation de l’âme, ne sont point connues par les ambitieux ; mais si le vague de l’imagination offre un vaste champ à la douleur, elle présente aussi beaucoup d’espace pour s’élever au-dessus de tout ce qui nous entoure, éviter la vie, et se perdre dans l’avenir. […] Les peines de la carrière de l’ambition commencent dès ses premiers pas, et son terme vaut encore mieux que la route qui doit y conduire. […] La pensée d’un ambitieux est constamment tendue à la recherche des symptômes d’un talent supérieur ; il éprouve tout à la fois et les peines de ce travail et son humiliation ; et pour arriver au terme de ses espérances, il doit constamment réfléchir sur les bornes de ses facultés. […] L’opinion, blâmant les peines de l’ambition trompée, y met le comble en se refusant à les plaindre : et ce refus est injuste, car la pitié doit avoir une autre destination que l’estime ; c’est à l’étendue du malheur qu’il faut la proportionner.
Les prisonniers crurent que c’était un faux pas contre les dalles du cloître qui avait causé l’accident ; personne, heureusement, n’y prit garde ; j’eus le temps de revenir à moi, de sentir le danger et de réfléchir au moyen d’entrer dans la loge du meurtrier sans que le saisissement trop soudain lui fît révéler involontairement qui j’étais aux oreilles de ses compagnons de peine. […] Nous convînmes ensemble que tel ou tel air de ma zampogne, pendant la nuit, du haut de ma tour, voudrait dire telle ou telle chose : peine, consolation, espérance, bonne nouvelle, absence ou présence du bargello et toujours amour ! […] Toi, tu lui attacheras un fil à la patte pour me dire : Je pense à toi, je t’ai comprise, je suis content ou je suis en peine. […] dis-je avec peine, tant le désespoir me serrait la gorge, le meurtrier a été jugé ? […] Non, je ne pense pas, quoi qu’on en dise là-haut au couvent quand on y prêche sur les peines de l’enfer aux pèlerins, que les peines mêmes de l’enfer puissent dépasser nos peines dans notre esprit.
C’est de donner, comme étant de nous, des vers entiers que nous n’avons eu aucune peine ni aucun mérite à transplanter d’un poëme étranger dans le nôtre. Je dis que nous avons transplanté sans peine dans notre ouvrage, car lorsque nous prenons les vers dans un poëte, qui a composé dans une langue autre que la langue dans laquelle nous écrivons, nous ne faisons pas un plagiat. […] Il y a du mérite à faire un pareil larcin, parce qu’on ne sçauroit le faire bien sans peine, et sans avoir du moins le talent de l’expression. […] Fulvius-Ursinus auroit pris une peine fort inutile, s’il n’avoit recüeilli tous les endroits que le poëte latin a imitez du poëte grec que pour diminuer la réputation du poëte latin. […] Comme il n’y a point de mérite à dérober une tête à Raphaël ou une figure au Dominiquin : comme le larcin se fait sans grand travail, il est défendu sous peine du mépris public.
Ces mouvements se sont associés ensuite avec ceux de l’effort en général, et, de là, avec les émotions où la peine entre comme élément. […] Ajoutez enfin l’idée de l’objet qui cause la peine ou le plaisir, vous aurez la répulsion consciente et le désir. […] Maintenant, passons à l’expression immédiate de la peine. […] Si la volonté peut consentir au plaisir, elle ne peut consentir à la peine : elle se défend, elle lutte. […] Spencer, nous l’avons vu, l’explique par un reste des habitudes de combat ; Mosso, lui, dit que ce mouvement fut, à l’origine, un mouvement d’attention, qu’il s’est associé ensuite avec le sentiment d’effort et avec les émotions où la peine entre comme élément : ces deux explications, selon nous, n’ont rien de contradictoire : toute peine est un combat, sinon avec d’autres hommes, du moins avec des ennemis intérieurs : on comprend donc que toutes les manifestations de la lutte, et aussi du travail, accompagnent la peine.
La gradation des souffrances en raison des fautes passées, ces âmes, plus ou moins heureuses, plus ou moins brillantes, selon qu’elles approchent plus ou moins de la double éternité des plaisirs ou des peines, pourraient fournir des sujets touchants au pinceau. […] Que de peines ingénieuses réservées à une mère trop tendre, à une fille trop crédule, à un jeune homme trop ardent ! […] Poètes chrétiens, les prières de vos Nisus atteindront un Euryale au-delà du tombeau ; vos riches pourront partager leur superflu avec le pauvre ; et pour le plaisir qu’ils auront eu à faire cette simple, cette agréable action, Dieu les en récompensera encore, en retirant leur père et leur mère d’un lieu de peines !
Il est vrai que beaucoup de juristes, aujourd’hui, protestent contre le caractère mécanique de l’administration de la justice et réclament l’individualisation de la peine. […] Ceux qui légitiment le châtiment par son exemplarité n’ont que faire de l’individualisation de la peine. Ensuite l’individualisation de la peine n’est jamais qu’une approximation, par suite de l’impossibilité où est le juge de pénétrer dans le secret des cœurs. Ajoutons que l’individualisation de la peine se fait trop souvent à rebours. […] L’effort contemporain vers l’individualisation de la peine est la manifestation la plus libérale de cette tendance devenue pleinement consciente d’elle-même. — Une autre cause qui tient en échec l’absolutisme juridique est la tendance naturelle des hommes à désobéir aux lois ; c’est la pratique incessante, directe ou indirecte, ouverte ou sournoise, de l’illégalité.