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736. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) «  Œuvres et correspondance inédites de M. de Tocqueville — I » pp. 93-106

On y rencontre à chaque page un esprit ferme, exact, sensé, fin, moral, ami des considérations, qui raisonne à l’occasion de chaque incident, mais qui raisonne bien, d’une manière solide et élevée, et qui, quand il décrit, nous rend en fort bonne prose ce dont Chateaubriand le premier nous a donné la poésie en traits hasardeux et sublimes, — Et il a lui-même jugé en termes excellents cette poésie un peu arrangée et toute chateaubrianesque du désert, quand il a dit (non pas dans cette relation, mais dans une de ses lettres) : « Les hommes ont la rage de vouloir orner le vrai au lieu de chercher seulement à le bien peindre. […] M. de Chateaubriand lui-même a peint le véritable désert, celui du moins que je connais, avec des couleurs fausses.

737. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ALFRED DE MUSSET (La Confession d’un Enfant du siècle.) » pp. 202-217

D’autres ont essayé de peindre tous les maux affaiblissants et le relâchement de la volonté, produits par un abandon tortueux et secret : lui, il s’est attaché à peindre le mal orgueilleux, ambitieux, d’une curiosité insatiable, impie, le mal du Don Juan renouvelé : « Il y a, dit-il, de l’assassinat dans le coin des bornes et dans l’attente de la nuit, au lieu que dans le coureur des orgies bruyantes on croirait presque à un guerrier : c’est quelque chose qui sent le combat, une apparence de lutte superbe : « Tout le monde le fait, et s’en cache ; fais-le, et ne t’en cache pas. » Ainsi parle l’orgueil, et, une fois cette cuirasse endossée, voilà le soleil qui y reluit. » Trois endroits, sans parler de celui auquel cette citation appartient, expriment et ramènent à merveille le sujet, le but du livre, qui disparaît et s’évanouit presque dans une trop grande partie du récit : ce sont, le discours nocturne de Desgenais à son ami, la réponse éloquente d’Octave à quelques mois de là, et, au second volume, certaines pages sur la curiosité furieuse, dépravée, de certains hommes pour ces hideuses vérités qui ressemblent à des noyés livides.

738. (1874) Premiers lundis. Tome II « Hippolyte Fortoul. Grandeur de la vie privée. »

Au milieu d’un remarquable soin d’écrire et de peindre, une certaine précision de ligne et une certaine gloire de couleur lui manquent. […] Il repart de chez ses amis, pour revenir de nouveau à quelque prochaine saison ; chaque retour est peint à ravir, et comme l’unique accident qui projette une émotion intermittente et croissante dans l’heureuse et monotone existence des amants : « A la fin de l’hiver de 1741, par un beau jour, Simiane venait de greffer ses poiriers ; il tenait encore sa serpette, et s’était jeté sur l’herbe.

739. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre I. Les mémoires »

Mais pour le reste il s’est peint au naturel : noir, sec, vif, sobre, brave, cela va sans dire, mais d’une ardeur réglée par la finesse et la prudence, connaissant à fond le soldat, et sachant le prendre, très appliqué à son métier, très au courant de toutes les questions techniques, très attentif aux progrès de l’armement, un peu « Gascon » et vantard, frondeur et souple, honnête en somme autant que la guerre d’alors le permettait, dur par nécessité, homme de consigne et de discipline, dont le service du roi fut l’unique loi. […] En parlant de lui, ce Gascon nous peint l’homme, comme Montaigne, autre Gascon : avec toute la différence qui doit séparer un magistrat érudit d’un rude aventurier, il y a entre eux quelque parenté d’imagination et de style.

740. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Leconte de Lisle, Charles-Marie (1818-1894) »

Leconte de Lisle l’ait vu surtout à travers le livre de Victor Hugo, qui s’est peint lui-même sous les traits prodigieux du vieux tragique grec. […] Ce poète impersonnel, qui s’est appliqué avec un héroïque entêtement à rester absent de son œuvre, comme Dieu de la création, qui n’a jamais soufflé mot de lui-même et de ce qui l’entoure, qui a voulu taire son âme et qui, cachant son propre secret, rêva d’exprimer celui du monde, qui a fait parler les dieux, les vierges et les héros de tous les âges et de tous les temps, en s’efforçant de les maintenir dans leur passé profond, qui montre tour à tour, joyeux et fier de l’étrangeté de leur forme et de leur âme, Bhagavat, Cunacepa, Hy-pathie, Niobé, Tiphaine et Komor, Naboth, Quai’n, Néféroura, le barde de Temrah, Angantyr, Hialmar, Sigurd, Gudrune, Velléda, Nurmahal, Djihan-Ara, dom Guy, Mouça-el-Kébyr, Kenwarc’h, Mohâmed-ben-Amar-al-Mançour, l’abbé Hieronymus, la Xiraéna, les pirates malais et le condor des Cordillères, et le jaguar des pampas, et le colibri des collines, et les chiens du Cap, et les requins de l’Atlantique, ce poète, finalement, ne peint que lui, ne montre que sa propre pensée, et, seul présent dans son œuvre, ne révèle sous toutes ces formes qu’une chose : l’âme de Leconte de Lisle.

741. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Une soirée chez Paul Verlaine » pp. 18-33

Sur les murs, des estampes et des lithographies : un portrait du poète enfant ; celui de sa mère en jupe à volants, dans l’épanouissement de la trentaine ; un Christ, peint par Germain Nouveau, d’après l’original de l’église de Saint-Géry d’Arras et, dans l’alcôve, une image ancienne, épave du luxe d’antan : une jeune fille de Greuze, pressant une tourterelle sur son sein nu ; mais ni ces enjolivures ni les fleurs en pots de la fenêtre n’arrivaient à masquer la détresse du logis. […] Parfois l’imagination affolée, comme dans la ballade de Zedlitz, croit assister sous les gonflements d’invisibles étendards à une tumultueuse revue de fantômes. » Forain peignait, à ce moment, un plafond commandé par je ne sais plus quelle Altesse.

742. (1899) L’esthétique considérée comme science sacrée (La Revue naturiste) pp. 1-15

Hugo la connaissait aussi, il savait encore dessiner, peindre et sculpter. […] Des pages descriptives et lyriques sont égales aux paysages mêmes qui y sont peints.

743. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 35, de l’idée que ceux qui n’entendent point les écrits des anciens dans les originaux, s’en doivent former » pp. 512-533

Les peuples septentrionnaux peuvent-ils être aussi sensibles à toutes les autres figures qui peignent la douceur de l’ombre et de la fraîcheur, que le sont les peuples qui habitent des païs chauds, et pour qui toutes ces images furent inventées. […] Ils auroient peint le plaisir vif que sent un homme pénetré du froid en s’approchant du feu, ou bien le plaisir plus lent, mais plus doux qu’il éprouve en se couvrant d’une fourure.

744. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « L’Empire Chinois »

Huc, dont on sent la charité indulgente à travers l’ironie, comme à travers celle de Tacite on sent l’amertume du mépris, nous peint cet abaissement de l’âme sous toutes les faces de l’abjection et dans son luxe d’infamies. […] Que les poètes et les amateurs du genre chinois se consolent donc en le lisant, mais qu’ils le lisent, et, le dégât fait par notre voyageur dans beaucoup de préjugés traditionnels, ils verront que si le peuple qu’il a peint n’est pas un grand peuple, c’est encore une curiosité.

745. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « V » pp. 19-21

L'antique modestie des matrones romaines admirablement peinte en vers simples, fidèles, une grande et vraie connaissance de l’Antiquité ; à tout moment d’heureuses réminiscences ou même des traductions, mais heureusement amenées à l’état de moyens dramatiques.

746. (1874) Premiers lundis. Tome II « Achille du Clésieux. L’âme et la solitude. »

Le volume que nous avons sous les yeux laisse certainement à désirer pour l’art, pour la composition et l’expression ; souvent, quand il parle du Jour des Morts, quand il nous peint sa paisible et assise existence sous le toit qui est à lui, quand, dans le silence de son vallon, il entend et nous raconte la voix de son cœur, en ces endroits, tout en étant lui-même, le poète nous rappelle un peu trop le maître harmonieux dont l’inspiration l’a éveillé.

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