/ 2118
401. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite.) »

C’est le même homme qui, quelques années après, étant allé en Russie pour y peindre de hauts personnages et des batailles, disait à propos du progrès factice et forcé dont il était témoin : « On est ici comme en Egypte, sur une boursouflure qui, tôt ou tard, s’enfoncera. » J’appelle cela du bon sens d’observation. […] La vérité aussi est que, si infatigable qu’il soit en voyage, il en a assez pour cette fois ; il a sa dose ; son sac est plein : « Quant à moi, je n’éprouve plus qu’un seul besoin, c’est celui de peindre. […] Ce ne fut qu’au retour qu’il put être question de peindre. […] Comment peindre ? 

402. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « LE COMTE XAVIER DE MAISTRE. » pp. 33-63

On surprend les lectures, les goûts du jeune officier, son âme candide, naturelle, mobile, ouverte à un rayon du matin, quelques rimes légères (nous en citerons plus tard), quelque pastel non moins léger, sa passion de peindre et même au besoin de disserter là-dessus : « C’est le dada de mon oncle Tobie, » se dit-il. Dante peignait déjà comme on le pouvait faire en son temps ; André Chénier peignait aussi : quoi de plus naturel qu’on tienne les deux pinceaux ? […] Quelle folie de peindre des choses qui n’ont jamais existé, comme s’il en manquait de véritables ! 

403. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Madame de Krüdner et ce qu’en aurait dit Saint-Évremond. Vie de madame de Krüdner, par M. Charles Eynard »

On a peint ta grâce enchanteresse191, mais qui peut peindre ce qui te fait remarquer ?  […] Mais, tout en disant qu’on avait peint son talent pour la danse, il ne faut pas dire simplement on, mais dire : Un pinceau savant peignit ta danse, tes succès sont connus, tes grâces sont chantées comme ton esprit, et tu les dérobes sans cesse au monde : la retraite, la solitude, sont ce que tu préfères.

404. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre III. L’Histoire »

La chronique de Villehardouin n’est pas une histoire, ce sont des Mémoires : l’homme s’y peint, mais aussi, en regardant l’homme, on connaît le livre. […] Il se raconte en racontant saint Louis ; il se peint, avec ses goûts, son humeur, ses vertus, ses faiblesses, ses saillies : mais en se peignant, il a peint l’homme, ou du moins l’homme du xiiie  siècle, en un de ses plus aimables exemplaires. […] Après cinquante ans, il voit encore la toile peinte en bleu, qui revêtait le pavillon du soudan d’Égypte, la cotte vermeille à raies jaunes d’un garçon qui est venu en Syrie lui offrir ses services : quand il s’attendait à avoir la tête coupée, il entend la confession de son compagnon sans qu’il lui en reste un mot dans la mémoire, mais il voit le caleçon de toile écrue d’un Sarrasin, et ce caleçon toute sa vie lui restera devant les yeux.

405. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mademoiselle de Scudéry. » pp. 121-143

L’écriture, l’orthographe, la danse, à dessiner, à peindre, à travailler de l’aiguille, elle apprit tout, nous dit Conrart, et elle devinait d’elle-même ce qu’on ne lui enseignait pas : Comme elle avait dès lors une imagination prodigieuse, une mémoire excellente, un jugement exquis, une humeur vive et naturellement portée à savoir tout ce qu’elle voyait faire de curieux et tout ce qu’elle entendait dire de louable, elle apprit d’elle-même les choses qui dépendent de l’agriculture, du jardinage, du ménage, de la campagne, de la cuisine ; les causes et les effets des maladies, la composition d’une infinité de remèdes, de parfums, d’eaux de senteur, et de distillations utiles ou galantes pour la nécessité ou pour le plaisir. […] Elle s’est à demi peinte dans le personnage de Sapho, au tome Xe du Grand Cyrus, et ce nom de Sapho lui est resté. […] Ce costume de mascarade était d’emprunt : ce qui lui était essentiel et propre, c’était la façon d’observer et de peindre le monde d’alentour, de saisir au passage les gens de sa connaissance, et de les introduire tout vifs dans ses romans, en les faisant converser avec esprit et finesse. […] Une fille d’un si grand mérite et sans grâce, c’est pourtant désobligeant à peindre, et c’est pénible à montrer ; on aimerait tant à y mettre ce qui lui manque !

406. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1881 » pp. 132-169

Dimanche 16 janvier Aujourd’hui, au milieu d’une bronchite tournant à la fluxion de poitrine, de Nittis est soudainement entré avec mon immense portrait à l’esquisse un peu spectrale, et aussitôt s’établissant dans mon cabinet, il s’est mis à peindre, comme fond, la neige qui tombait dans mon jardin. […] C’est la loge de Mlle Lloyd, avec son apparence de boudoir galant, et sa cheminée aux petits chenets dorés, ayant comme milieu une terre cuite, et son plafond aux Amours peints par Voillemot, et ses assiettes de Chine accrochées sur la tenture, et son petit cabinet de toilette aux parois et au plafond de glace. […] Au chemin de fer, une annonce peinte mesurant 40 mètres sur une largeur de 275. […] Samedi 17 décembre Aujourd’hui un collectionneur de tableaux de mes amis, avec le sens du pittoresque des choses qu’il a au plus haut degré, me peignait la mimique de l’heure présente des commis des grands marchands de tableaux, pour la vente d’une toile.

407. (1920) Action, n° 4, juillet 1920, Extraits

Car au lieu de me heurter à des apparences verbales et de m’étonner du Poète qui, affreusement atteint par la guerre, la peignait « fraîche et joyeuse » j’aurais dû me concentrer sur une réalité plus profonde, sur ce trou béant par où, sous les bandages, s’écoulait goutte à goutte une vie encore jeune, si précieuse à tous les amoureux des Lettres… Vers un sujet très personnel, je détournai les fureurs publiques que déchaînaient l’actualité et son admirable interprète. […] L’art le plus puissant est celui qui redevient régulièrement à la mode dans les périodes de renaissance. » De Chirico s’élève contre la partialité, veut un art de synthèse et « le retour au métieral », ce qui est un peu le retour à l’homme, au dessin (il est de l’avis d’Ingres qu’il cite : un tableau bien dessiné est toujours assez bien peint). […] Chaque aéroplane et chaque dirigeable sera peint, ou camouflé (animaux, machines, maisons) et signé par un peintre futuriste. […] Il menace un Bourget terrorisé de deux seins en métal peints par Picasso, sous l’œil émoustillé des duchesses.

408. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XVIII. Pourquoi la nation française était-elle la nation de l’Europe qui avait le plus de grâce, de goût et de gaieté » pp. 366-378

Leurs écrivains connaissaient mieux les caractères, les peignaient mieux qu’aucune autre nation. […] Les Français n’approfondissent pas, comme les Anglais et les Allemands, les sentiments que le malheur fait éprouver ; ils ont trop l’habitude de s’en éloigner pour le bien connaître : mais les caractères dont on peut faire sortir des effets comiques, les hommes séduits par la vanité, trompés par amour-propre, ou trompeurs par orgueil, cette foule d’êtres asservis à l’opinion des autres, et ne respirant que par elle, aucun peuple de la terre n’a jamais su les peindre comme les Français.

409. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre VII. Éducation de la sensibilité »

On décrit, on peint, on colore les choses d’épithètes flamboyantes, quand on a l’esprit sec et délié. […] Ils sauront, sans effusions, peindre l’énergie de leurs sentiments, et, sans confidences, se confier à ceux qu’ils aiment.

410. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre II. Distinction des principaux courants (1535-1550) — Chapitre III. Les traducteurs »

Il ne l’explique point dogmatiquement : même dans ses dissertations, à plus forte raison dans ses Biographies, il peint ; il montre les individus, les actes, les petits faits qui sont la vie, les traits singuliers qui font les caractères. […] Comme il invite Shakespeare à reconnaître le mob anglais dans la plebs romana, il autorise et Corneille et Racine et même Mlle de Scudéry à peindre sous des noms anciens ce qu’ils voient de l’homme en France.

411. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préfaces de « Marion de Lorme » (1831-1873) »

C’est Louis XIII qu’il avait voulu peindre dans sa bonne foi d’artiste, et non tel de ses descendants. […] Autrefois, le peuple, c’était une épaisse muraille sur laquelle l’art ne peignait qu’une fresque.

/ 2118