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792. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 2, de l’attrait des spectacles propres à exciter en nous une grande émotion. Des gladiateurs » pp. 12-24

Des gladiateurs Cette émotion naturelle qui s’excite en nous machinalement, quand nous voïons nos semblables dans le danger ou dans le malheur, n’a d’autre attrait que celui d’être une passion dont les mouvemens remuënt l’ame et la tiennent occupée ; cependant cette émotion a des charmes capables de la faire rechercher malgré les idées tristes et importunes qui l’accompagnent et qui la suivent. […] Ceux qui prennent trop de vin, ou qui se livrent à d’autres passions, en connoissent souvent les mauvaises suites bien mieux que ceux qui leur font des remontrances ; mais le mouvement naturel de notre ame est de se livrer à tout ce qui l’occupe, sans qu’elle ait la peine d’agir avec contention.

793. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « XV »

« Il s’agit tout le temps, dit-il, d’orages, de ruines qui croulent, de parvis, de feuilles sèches, que disperse le vent de la mort ; de la colombe qui construit son nid solitaire (pour dire le célibat) ; de volcans à peine fermés (pour dire les passions apaisées) ; du forum, pour dire, comme les avocats, la vie publique ; de l’ange de la destinée, de la lampe de la foi, de la coupe de miel offerte aux lèvres pures (pour dire une vie heureuse, bien qu’on ne mette guère maintenant du miel dans les coupes) ; des anneaux rattachés de la chaîne brisée ; du fait de la richesse, du règne de la vérité qui s’annonce à l’horizon ; du volcan, de l’éternel volcan qui vomit par ses mille cratères de la fange et de la lave, et enfin du bouclier, pour dire : le sentiment qui défend son cœur ! […] Depuis longtemps, il avait prévu qu’un instant viendrait le mettre aux prises avec cet amour de femme ; qu’il faudrait défendre sa liberté contre les exigences d’une passion romanesque, et il s’encourageait d’avance à combattre de telles prétentions.

794. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XV. De Tacite. D’un éloge qu’il prononça étant consul ; de son éloge historique d’Agricola. »

Philippe II, Henri VIII et Louis XI, n’auraient jamais dû voir Tacite dans une bibliothèque sans une espèce d’effroi. » Si de la partie morale nous passions à celle du génie, quel homme a dessiné plus fortement les caractères ? qui est descendu plus avant dans les profondeurs de la politique ; a mieux tiré de grands résultats des plus petits événements ; a mieux fait à chaque ligne, dans l’histoire d’un homme, l’histoire de l’esprit humain et de tous les siècles ; a mieux surpris la bassesse qui se cache et s’enveloppe ; a mieux démêlé tous les genres de crainte, tous les genres de courage, tous les secrets des passions, tous les motifs des discours, tous les contrastes entre les sentiments et les actions, tous les mouvements que l’âme se dissimule ; a mieux tracé le mélange bizarre des vertus et des vices, l’assemblage des qualités différentes et quelquefois contraires ; la férocité froide et sombre dans Tibère, la férocité ardente dans Caligula, la férocité imbécile dans Claude, la férocité sans frein comme sans honte dans Néron, la férocité hypocrite et timide dans Domitien, les crimes de la domination et ceux de l’esclavage, la fierté qui sert d’un côté pour commander de l’autre, la corruption tranquille et lente, et la corruption impétueuse et hardie, le caractère et l’esprit des révolutions, les vues opposées des chefs, l’instinct féroce et avide du soldat, l’instinct tumultueux et faible de la multitude, et dans Rome la stupidité d’un grand peuple à qui le vaincu, le vainqueur, sont également indifférents, et qui sans choix, sans regret, sans désir, assis aux spectacles, attend froidement qu’on lui annonce son maître ; prêt à battre des mains au hasard à celui qui viendra, et qu’il aurait foulé aux pieds si un autre eût vaincu ?

795. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre III. Combinaison des deux éléments. »

Grâce à cette forme palpable, elle peut jeter son poids énorme dans la conscience, contrebalancer l’égoïsme naturel, enrayer l’impulsion folle des passions brutales, emporter la volonté vers l’abnégation et le dévouement, arracher l’homme à lui-même pour le mettre tout entier au service de la vérité ou au service d’autrui, faire des ascètes et des martyrs, des sœurs de charité et des missionnaires. […] Par passion ou par logique, les autres vont jusqu’au bout  Une première campagne enlève à l’ennemi ses défenses extérieures et ses forteresses de frontière ; c’est Voltaire qui conduit l’armée philosophique. […] Une masse insensible, un fluide inerte. » Ajoutez-y de la chaleur, tenez le tout dans un four, laissez l’opération se faire : vous aurez un poulet, c’est-à-dire « de la sensibilité, de la vie, de la mémoire, de la conscience, des passions, de la pensée ». […] J’en appelle à toutes les institutions politiques, civiles et religieuses ; examinez-les profondément, et je me trompe fort, ou vous verrez l’espèce humaine pliée de siècle en siècle au joug qu’une poignée de fripons se permettait de lui imposer… Méfiez-vous de celui qui veut mettre l’ordre ; ordonner, c’est toujours se rendre maître des autres en les gênant. » Plus de gêne ; les passions sont bonnes, et, si le troupeau veut enfin manger à pleine bouche, son premier soin sera de fouler sous ses sabots les animaux mitrés et couronnés qui le parquent pour l’exploiter409. […] Ils ne sont qu’une flatterie publique des passions régnantes. « Plus la comédie est agréable et parfaite, plus son effet est funeste », et le théâtre, même chez Molière, est une école de mauvaises mœurs, « puisqu’il excite les âmes perfides à punir, sous le nom de sottise, la candeur des honnêtes gens ».

796. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre premier »

Tout ce qui plaît à notre imagination dans la sublimité des fables homériques, tout ce qui touche nos cœurs dans cette première et naïve expression des passions humaines, notre raison l’approuve, et elle y trouve sa part dans la leçon morale qui s’insinue sous le plaisir. […] Tout ce qui choquait la délicatesse de Lamotte, discours des personnages, éloges qu’ils font de leur race et d’eux-mêmes, défis qu’ils échangent avant le combat, insultes du vainqueur à l’ennemi mort, allocutions des guerriers à leurs chevaux, tous ces premiers mouvements des passions humaines, que la science de la vie civile nous apprend à comprimer et à cacher, tout cela charmait un Racine, un Bossuet, un Fénelon, un Rollin ; tout cela leur paraissait aussi conforme à la nature qu’à la raison. […] Contredire en tout le témoignage des hommes, jeter du ridicule sur toutes les passions dont il n’était pas capable, goguenarder la morale qui gênait son projet de vivre entre les vertus et les vices, ne rien admirer pour ne pas s’engager, se mettre au-dessus de tout le monde et de toutes choses par le doute qui n’est que de la vanité déguisée : tel est l’esprit du Fontenelle d’alors. […] Il traite sa raison comme une passion mal éteinte. […] Plus tard, quand les préventions prirent fin avec les polémiques, cette même raison faisant réflexion sur sa fragilité, sur ses ténèbres, sur son impuissance contre les passions, se souvint de quels combats douloureux, de quelles ardeurs dévorantes Pascal a payé ce conseil.

797. (1908) Dix années de roman français. Revue des deux mondes pp. 159-190

Il a mis une passion et une vibration d’autant plus frémissantes dans ses tableaux, qu’il a été lui-même mêlé de fort près aux événements dont il parle, qu’il a été témoin et acteur dans ces batailles politiques et qu’il a pu les observer en annaliste journalier. […] Henry Bordeaux ne s’intéresse qu’aux figures vraies et vivantes : il aime la vie, il comprend la passion de vivre. […] L’amour entravé par les prescriptions morales éternelles, ou la passion aux prises avec les difficultés de l’existence matérielle si fréquemment hostile aux vœux du cœur, tel est le grand élément sentimental de son œuvre. […] L’indulgence d’ailleurs n’empêche point chez lui la pénétration, et, s’il est toujours prêt à défendre et à excuser les coupables dans la passion, sa lucidité laisse intactes toutes ses facultés de jugement. […] L’émouvante tristesse de l’amour, les souffrances de la passion dans ses égarements, voilà ce qu’elle traduit le plus volontiers avec une harmonie pessimiste un peu obscure et dépourvue, elle aussi, de tout procédé artificiel quelconque.

798. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « H. Forneron » pp. 149-199

L’Europe ne tenait pas toute, en effet, à cette heure, dans les entrechoquements de la politique, de la guerre, de la cour, des passions charnellement humaines, mais elle tenait encore plus dans les idées, qui tombaient de toutes parts, dans tous les esprits, comme la pluie de flammes de Sodome, et qui allaient mettre à feu toutes les traditions respectées, depuis des siècles, par les peuples. […] Et on n’était pas moins Français, quand on était catholique, pour s’appuyer sur l’Espagne, qu’on ne l’était, quand on était protestant, pour s’appuyer sur l’Angleterre… Mais c’est la vérité, pourtant, — et mon catholicisme est assez ferme pour en convenir, — qu’ils ne sont pas si grands dans cette histoire qu’on aurait pu s’y attendre et que l’opinion catholique trop reconnaissante les avait faits, ces Guise, qui ont mêlé aux intérêts éternels qu’ils eurent l’honneur de représenter leurs passions, leurs ressentiments et leurs vices, — passions, ressentiments et vices d’un temps terrible où chacun, même les femmes, avait sur les mains du sang de quelqu’un. […] Car cette foi religieuse, même inconséquente, même violée et faussée par les passions qui entraînent hors de Dieu, fût-ce dans les voies les plus scélérates ; cette foi religieuse tombée et ravalée jusqu’au fanatisme de Philippe II, par exemple, est encore une grande chose, qui grandit l’homme par le Dieu qu’elle y ajoute, et qui, s’imposant au moraliste dans l’historien, doit le forcer à s’occuper d’elle. […] Le fanatisme religieux ôté de l’âme de Philippe II, il se fait à l’instant en lui le vide de l’homme qui a besoin de l’idée de Dieu pour être quelque chose, et Forneron, avec son regard exercé, voit, dans ce vide où l’idée de Dieu s’embrouillait avec les passions et les vices, ce qui reste de Philippe II, c’est-à-dire un des plus vulgaires despotes qu’ait corrompus la royauté. […] Henri IV n’a pas le fanatisme religieux qui fut la plus honorable passion du xvie  siècle, et pour cette raison, qui n’est pas la seule, du reste, mais qui est la plus puissante, il est peut-être la seule figure de son histoire qui soit entièrement sympathique à Forneron, l’écrivain politique de ce temps, qui, au temps de Henri IV, se serait certainement rangé dans le parti des politiques qui mirent fin à la guerre civile, et tirèrent de la vieille Constitution de la monarchie catholique, qui avait été la monarchie française, une monarchie d’un autre ordre, — la monarchie des temps modernes.

799. (1874) Portraits contemporains : littérateurs, peintres, sculpteurs, artistes dramatiques

Depuis, je n’eus d’autre idée que de ramasser quelque somme et de partir : la passion ou la maladie du voyage s’était développée en moi. […] Larochefoucault n’a pas une intuition plus nette des petits motifs honteux et des lâches égoïsmes ; mais, dans la passion, M.  […] Son regard planait sur cet océan d’ardoises et de tuiles qui recouvrent tant de luxe, de misère, d’intrigues et de passions. […] La passion de l’art le perdit. […] On dirait une de ces Javanaises, vampires d’amour, succubes diurnes, dont la passion tarit en quinze jours le sang, les moelles et l’âme d’un Européen.

800. (1885) Les étapes d’un naturaliste : impressions et critiques pp. -302

La mort en elle-même a quelque chose de sacré qui devrait imposer silence aux passions des hommes. […] L’Ogre et la Passion d’un possédé, — que M.  […] Pour elle il oublie son épouse. — Il rêve le travail, la tendresse jamais, — et n’a qu’une passion, la passion du travail. — Avant l’aube il rejette nos draps, et s’en va plein de feu, caresser sa maîtresse adorée, la terre. […] La passion la dévore toujours, mais, maintenant, le remords mêle à ses brûlures son cuisant aiguillon. […] Enfin la passion s’élance rugissante et fauve, du fond de son cœur soudain terrible, comme d’un antre ignoré et qu’il ignorait lui-même ! 

801. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Première série

En même temps il se donnait avec passion à l’étude de la philosophie. […] La netteté d’esprit cause aussi la netteté de la passion », etc. […] Le soleil fut ma première passion, mon premier culte. […] Ils goûtent la campagne, ils n’en ont point la passion. […] La critique peut donc fournir à la passion de nouveaux aliments, bien loin de l’éteindre.

802. (1857) Réalisme, numéros 3-6 pp. 33-88

D’ailleurs quelles sont leurs passions ? […] la passion brûlante et la chasteté glacée y perdent l’une ses feux, l’autre sa froideur. […] N’avons-nous pas d’autres passions, d’autres mœurs, d’autres vices ? […] Qu’ils aient des passions de héros et de dieux. […] Tout est passion et sentiment en ce monde, mais combien savent rendre cette passion et ce sentiment ?

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