À la première expression, toujours si prompte chez lui et si vive, il sait joindre l’expression méditée, et aux brillantes rapidités de la parole il substitue insensiblement la perpétuité du style. […] Il y reste de la parole première une sorte de mouvement général, la facilité et le courant ; mais le style a désormais toute la précision et tout le fini que les plus curieux peuvent souhaiter ; la pensée sur chaque point a sa solidité et sa nuance. […] On connaîtra désormais, après ces analyses et ces traductions vraiment admirables, les Basile, les Grégoire de Nazianze, les Chrysostome, par les caractères de leur talent et de leur parole aussi distinctement que l’on connaît Bourdaloue et Massillon. […] J’y vois quelque chose qui me rappelle cette vaste intelligence de Cicéron s’appliquant aux lettres, qui la rappelle non seulement pour la capacité et retendue, pour l’agrément de l’invention et la belle économie de la mémoire, pour ce fleuve sinueux de la parole et pour les fleurs perpétuelles du chemin, mais aussi pour de certains faibles qui ne sont pas sans grâce.
On a prétendu que ce prince, en disgraciant l’homme de génie qu’il avoit le plus desiré d’avoir à sa cour, l’avoir accablé de ces paroles : « Je ne vous chasse point, parce que je vous ai appellé ; je ne vous ôte point votre pension, parce que je vous l’ai donnée : mais je vous défens de reparoître devant moi » : rien n’est plus faux. […] C’est ainsi que M. de Voltaire, dans son séjour à Léipsig, malgré tous ses maux, & malgré les menaces du géomètre, soutenoit le ton qu’il avoit pris : mais il fut saisi de douleur & d’étonnement, lorsqu’il lut ces paroles rapportées dans une gazette d’Utrecht, & qu’on disoit faussement lui avoir été adressées par le roi de Prusse : « Il n’étoit pas besoin de faire le malade pour obtenir votre congé… Je hais les gens à cabale. » Etant encore à Léipsig, il fut invité, par la plupart des princes d’Allemagne, à venir à leur cour. […] Il protesta qu’il les remettroit dès l’instant qu’ils seroient entre ses mains ; consentant, s’il manquoit à sa parole, d’être déclaré criminel de lèze-majesté envers le roi de France son maître & le roi de Prusse . […] Oseroit-on dire cela devant les statues de Henri IV & de Louis XIV, & j’ajouterai de Louis XIV ; & j’ajouterai de Louis XV ; puisque je fus le seul académicien qui fis son panégyrique, quand il nous donna la paix ; & lui-même a ce panégyrique traduit en six langues. » Il adresse ces paroles au roi de Prusse : « Il se souviendra qu’il a été mon disciple, & que je n’emporte rien d’auprès de lui que l’honneur de l’avoir vu en état de mieux écrire que moi.
Ironie, malice, gaieté, causerie vivante, parole animée, bonne grâce parfaite, tout est là. […] Ni les uns ni les autres ne songent même à posséder cette belle : ce qu’ils veulent avant tout, c’est une bonne parole et devant témoins ; c’est un tendre regard, en public ; ce sont des lettres qu’ils puissent montrer à tout venant ; et quant au reste, le reste viendra, si veut Célimène. — Et justement voilà pourquoi Célimène, fidèle au rôle qu’elle s’est imposée, est si prodigue envers les uns et les autres de bonnes paroles, de tendres regards, de billets doux ; là est sa force, et elle a besoin d’être forte pour se défendre. […] Par exemple, je me rappelle ces propres paroles de deux demoiselles errantes qui se promenaient sur le boulevard de Gand, à dix heures du soir : — “Tiens, disait l’une, Polyte nous rapportera des fleurs, la Taglioni danse ce soir !”
Dites-moi aussi les vers que je vous entendis chanter un soir : j’en ai bien retenu les nombres, mais j’en ai oublié les paroles. Il ne veut faire dire autre chose à Lycidas, si ce n’est que bien qu’il eut oublié les paroles des vers dont il étoit question, il se souvenoit bien néanmoins de quels pieds ou de quelles mesures ils étoient composez, et par consequent de leur cadence. […] Nous sçavons comment les anciens mesuroient leur musique vocale ou leur musique composée sur des paroles. […] Quel nombre de temps les grecs et les romains mettoient-ils dans les mesures des chants, composez sur des paroles de quelque nature que ces chants-là pussent être ?
Tous deux sont des esprits également puissants par la parole et par la plume, quoique, contrairement à Diderot, la parole l’emporte sur la plume chez M. […] Dévoré d’une fièvre apostolique (je demande pardon pour la hardiesse du mot), il se servit, dans l’intérêt de sa foi nouvelle, de ce merveilleux don de parole improvisée qui est sa vraie force, sa plus incontestable supériorité. […] Incorrigiblement littéraire à travers ses travaux de parole, il publiait les Docteurs du jour, un livre qui eut un grand succès de jeunes gens et de séminaire et devant lequel la presse eut l’injustice ou la petite rouerie, si connue, du silence.
Cette autorité, il l’acquit en peu de temps ; il la possédait dans sa seconde carrière de sermonnaire quand il venait de Metz à Paris pour y prêcher, et pendant ces huit ou dix années (à partir de 1657) dans lesquelles il fit retentir de sa parole déjà célèbre les principales chaires de la capitale. […] Jamais Bossuet n’a été plus tendre, plus persuasif, plus invitant à entrer, jamais plus facile et plus large dans l’explication d’une parole qui est un scandale pour la nature, jamais d’une expansion plus charitable, ni d’une plus belle et plus désirable catholicité de doctrine. […] Qu’il y ait eu des jours où Bossuet ait paru fatigué en voulant prêcher ; que les gens de Meaux, accoutumés à leur évêque, n’aient pas assez senti le prix de chacune de ses paroles, c’est possible, c’est même probable, et je croirais volontiers qu’il y a quelque chose de vrai dans le dire du cardinal de Luynes.
Nous savons que le siècle appelle cela le fanatisme ; nous pourrions lui répondre par ces paroles de Rousseau : « Le fanatisme, quoique sanguinaire et cruel 49, est pourtant une passion grande et forte, qui élève le cœur de l’homme et qui lui fait mépriser la mort ; qui lui donne un ressort prodigieux, et qu’il ne faut que mieux diriger pour en tirer les plus sublimes vertus ; au lieu que l’irréligion, et en général l’esprit raisonneur et philosophique, attache à la vie, effémine, avilit les âmes, concentre toutes les passions dans la bassesse de l’intérêt particulier, dans l’abjection du moi humain, et sape ainsi à petit bruit les vrais fondements de toute société : car ce que les intérêts particuliers ont de commun est si peu de chose, qu’il ne balancera jamais ce qu’ils ont d’opposé50. » Mais ce n’est pas encore là la question : il ne s’agit à présent que d’effets dramatiques. […] « Il n’y a que celui qui aime qui puisse comprendre les cris de l’amour, et ces paroles de feu, qu’une âme vivement touchée de Dieu lui adresse, lorsqu’elle lui dit : Vous êtes mon Dieu ; vous êtes mon amour ; vous êtes tout à moi, et je suis toute à vous. […] Tout beau, Pauline, il entend vos paroles ; Et ce n’est pas un Dieu comme vos dieux frivoles, Insensibles et sourds, impuissants, mutilés, De bois, de marbre ou d’or, comme vous le voulez ; C’est le Dieu des chrétiens, c’est le mien, c’est le vôtre ; Et la terre et le ciel n’en connoissent point d’autre.
La jurisprudence héroïque eut pour caractère de s’entourer de garantie par l’emploi de paroles précises. […] Cette équité s’attachait religieusement aux paroles de la loi, les suivait avec une sorte de superstition, et les appliquait aux faits d’une manière inflexible, quelque dure, quelque cruelle même que pût se trouver la loi. […] Ces esprits grossiers encore croyaient de telles cérémonies indispensables, pour s’assurer de la volonté des autres, dans les rapports d’intérêt, tandis qu’aujourd’hui que l’intelligence des hommes est plus ouverte, il suffit de simples paroles et même de signes.
Tout citoyen romain était orateur dans la mesure de son esprit et de son talent ; la grande loi, la loi suprême, la loi de la place publique, c’était la parole. […] Profondément versé dans les poètes, dans les philosophes et dans les orateurs grecs, il s’était, de bonne heure, proposé de donner à la parole dans le discours toute la solidité, toute la durée, toute l’élégance classiques, toute la grâce, tout l’atticisme de la parole écrite : on croyait lire en écoutant. […] De plus, ils étaient si populaires parmi la multitude, qu’il était obligé de les ménager en frappant de sa parole leur complice à visage découvert. […] Mais lisez maintenant cette immortelle apostrophe, et vous comprendrez sous les paroles ce que les paroles cachaient, comme le poignard d’Aristogiton, sous les derniers replis du cœur du consul ! […] Le génie et le civisme éclatent sous l’enseignement du maître de paroles.
J’essayais de comprendre les paroles qu’elle murmurait ainsi et qui venaient jusqu’à moi ; mais mon drogman arabe ne put les saisir ou les rendre. […] que de soupirs animés de toute la vie de deux âmes arrachées l’une à l’autre, ces paroles confuses et noyées de larmes devaient contenir ! […] si quelque chose pouvait jamais réveiller un mort, c’étaient de pareilles paroles murmurées par une pareille bouche ! […] Nous restâmes quelques moments assis, silencieux et pensifs, devant ce spectacle sans paroles, et nous rentrâmes à pas lents dans la petite cour de l’évêque, éclairée par le foyer des Arabes. […] C’est pour apporter une conviction, une parole de plus à ce groupe politique, que je renonce momentanément à la solitude, seul asile qui reste à ma pensée souffrante.
La satisfaction de Flaubert éclate dans des violences de paroles, sous lesquelles la gentille Mme Daudet paraît peureusement rapetisser, la satisfaction de Zola s’expansionne dans le bonheur, bien naturel, de voir la fortune et l’argent prendre le chemin de son intérieur. […] Cette définition du talent de Fromentin l’amenait à parler de lui-même, avec sa parole lente et calme, où l’on sent dessous la ténacité tranquille et doucement entêtée du vieux Gavarni. […] J’ai été très peu son complice pour les chansons nègres, et j’ai doucement décliné de faire les paroles d’une cantate. […] L’anonymat des paroles et de la musique de la cantate improvisée, avait été si bien gardé, que la censure l’avait refusée. […] Puis sa parole va aux élections, et il empoigne amicalement Jourde, le directeur du Siècle, qui est là, sur le manque d’indépendance de sa feuille, sur son aplatissement devant les exigences des amis de Louis Blanc et autres.