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681. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Werther. Correspondance de Goethe et de Kestner, traduite par M. L. Poley » pp. 289-315

En parlant de Goethe, il faut nous défaire de quelques-unes de nos idées françaises par trop simples, et consentir à nous mettre avec lui dans cet état, pour ainsi dire, d’enthousiasme prémédité, qui ressemble un peu dans l’ordre de la poésie à ce que Descartes a fait dans la sphère philosophique. […] Goethe, après quelque temps de séjour à Wetzlar, avait fait connaissance avec la famille de monsieur Buff, bailli de l’ordre allemand, et il avait été frappé tout d’abord de la beauté, de la dignité virginale, de l’esprit de sa fille Lotte, âgée de près de vingt ans, qui, sans être l’aînée de la maison, servait de mère depuis près de deux ans à ses frères et sœurs, et n’en était pas moins aimable dans la société, où elle déployait une gaieté, vive et naturelle. […] Aujourd’hui, pour le jugement définitif du livre et le rang qui lui est dû dans l’ordre des œuvres de l’art, cette fin de Werther nuit aux parties principales, et quand on considère le caractère si opposé de l’auteur, et ses destinées en un sens si inverse, elle a peine à ne pas nous faire l’effet d’une mystification. […] Il a dans le passé, dans le souvenir des jours qu’il a vécu à Wetzlar, au sein de la famille allemande, entre Charlotte et Kestner, sa saison d’âge d’or, un cercle pur et lumineux que rien n’éclipsera : « Vous avez été pour moi jusqu’ici, écrira-t-il à Kestner des années après, l’idéal d’un homme heureux par l’ordre et par la modération des désirs. » — « J’apprends avec plaisir, lui dit-il encore, ce que vous m’écrivez de vos enfants. […] L’ordre, la précision et la promptitude sont des qualités dont je tâche tous les jours d’acquérir un peu. » Au milieu de cela, des voyages en Suisse, en Italie, l’étude dans toutes les directions, la comparaison étendue dans toutes les branches des beaux-arts et des littératures ; bientôt les sciences naturelles qui vont s’y joindre ; une vie noble, assise, bien distribuée et ordonnée, occupée et non affairée, à la fois pratique et à demi contemplative (« Je demeure hors de la ville, dans une très belle vallée où le printemps crée dans ce moment son chef-d’œuvre ») ; tout ce qui, enfin, devait faire de cette riche organisation de Goethe le modèle et le type vivant de la critique intelligente et universelle.

682. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite et fin.) »

J’ai été forcé de passer devant la troupe au port d’armes et de recevoir quatre coups do canon, auxquels le Lavoisier a répondu. » J’ai sous les yeux l’ordre du jour signé du lieutenant-colonel commandant supérieur ; il est conçu en ces termes : « Ordre Supérieur. […] Des ordres seront donnés ultérieurement pour l’heure de la prise d’armes. […] Le brave commandant de la place, qui vient de contresigner cet ordre du jour triomphal et pompeux, avait une fille charmante qu’il désirait faire admettre dans une des maisons de la Légion d’honneur ; il avait tous les titres par ses excellents services, et il recommandait sa demande à Horace Vernet, qui, toujours serviable et bon, l’appuyait vivement auprès du maréchal Gérard. […] Quant à nous, mon cher Delaroche, je ne vous offre pas notre secours… Depuis longtemps je déplore qu’un autre ordre de choses n’ait pu s’établir entre nous, et je vous jure que je n’éprouve aucun sentiment de jalousie pour ceux qui, plus heureux que nous, seront à même de vous donner des marques de dévouement ; tout en enviant leur sort, dites-leur que nous les bénissons, que nous les bénirons, s’ils aiment nos enfants comme les leurs… » Nous, public, qui ne nous trouvons introduit que par accident et par faveur dans ces discussions si particulières et qui, sous une forme ou sous une autre, se rencontrent dans presque toutes les familles, notre rôle n’est pas, on le pense bien, d’avoir le moindre avis sur le fond ; faisons la part de ce qu’il peut y avoir d’exagération naturelle dans l’expression d’Horace, dans cette émulation et cette rivalité de tendresse, et disons-nous que, si nous entendions Delaroche, il aurait sans doute, pour répondre, son éloquence à lui, et il en avait beaucoup.

683. (1875) Premiers lundis. Tome III « De la loi sur la presse »

Quant à moi, si j’avais un article à écrire à propos d’une séance pareille, il me semble que les lois les plus simples et les plus naturelles de la rhétorique me diraient de commencer par mettre le lecteur au fait, de lui expliquer brièvement l’état de la question et le rôle des orateurs, de le faire par ordre et avec suite pour en venir après à discuter à fond l’objet du débat et à apprécier, à juger les différentes opinions en présence. […] Vous voyez que j’entre tout à fait dans l’ordre de considérations de M. le ministre d’État. […] Dans un tout autre ordre d’idées, un amendement avait été proposé par l’honorable M. […] Mais je crois comprendre que ce n’est pas l’heure de venir demander à la loi des dispositions de cet ordre, plus libérales que celles qu’a admises le vote du Corps législatif. […] Apparemment on nous jugeait déjà trop Athéniens comme cela ; l’article de la loi nouvelle y mettra bon ordre.

684. (1911) Enquête sur la question du latin (Les Marges)

On m’a conté que dans une assemblée d’hommes de lettres contraints, lors d’un concours, à copier une devise latine d’ordre courant, la plupart des jurés s’étaient montrés pitoyablement embarrassés ! […] Il n’est pas de science qui vaudra jamais le latin pour accoutumer l’esprit à l’ordre, à la netteté. […] Hé bien, le rôle des nouveaux venus, s’ils le comprennent, sera de mettre un peu d’ordre et de style dans les excès d’une sensibilité trop aiguë. […] Il est d’ordre humain, et porte en lui-même assez de « nécessité » pour que nous soyons tranquilles sur la solution finale. […] Donc s’il est établi, comme nous en sommes convaincus, que les études classiques sont nécessaires pour produire des esprits supérieurs ou simplement distingués, aucune objection d’ordre politique ne vaut contre ces études, et bien loin de pouvoir raisonnablement les supprimer, la République démocratique est, par son principe même, plus étroitement obligée qu’aucun autre régime de les maintenir et de les honorer.

685. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre IV. L’ironie comme attitude morale » pp. 135-174

La sympathie, l’aide réciproque, la véracité, le respect mutuel paraissent des conditions favorables à l’existence d’une société d’ordre élevé. […] La société est plus complexe, et d’un ordre plus élevé que l’individu. […] De même il pourrait exister telle forme sociale où la paresse fût une qualité, où un esprit actif dérangerait les choses plus qu’il n’en améliorerait l’ordre, telle autre, où la brutalité fût une défense nécessaire, telle autre encore où la fausseté serait la seule adaptation possible aux mensonges de la société. […] Tous les sentiments et toutes les croyances de l’homme s’y prêteraient : le contraste entre son orgueil et sa bassesse, ses convictions et ses espérances, ses aspirations et sa nature, son importance affectée et sa petitesse d’être inconnu, blotti dans un coin infime et obscur du temps et de l’espace, son respect des conventions qui soutiennent sa vie et en préparent la ruine, et ses transgressions continuelles des ordres qu’il en reçoit. […] Il jouera la partie en admettant que l’adversaire peut la gagner et que cela ne bouleversera sans doute pas l’ordre du monde.

686. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre VI. Premiers pas hors de Saint-Sulpice  (1882) »

Or nous savons bien que l’ordre temporel est vide, vain, creux et frivole, que nous craignons de donner du corps même à l’amitié. […] Dans l’ordre des idées critiques, je cédai également le moins possible, et c’est ce qui fait que, tout en étant rationaliste sans réserve, j’ai néanmoins plus d’une fois paru un conservateur dans les discussions relatives à l’âge et à l’authenticité des textes. […] Il est bien d’avoir sous ses ordres un homme armé d’une courbache dont on l’empêche de se servir. […] J’ai toujours été aux ordres de mon pays ; sur un signe, en 1869, je me mis à sa disposition. […] Mérimée eût été un homme de premier ordre s’il n’eût pas eu d’amis.

687. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Sieyès. Étude sur Sieyès, par M. Edmond de Beauverger. 1851. » pp. 189-216

j’aurais mieux aimé trouver dans la suite des faits ce qu’il m’a fallu chercher dans l’ordre des possibles. […] Sieyès nous apparaît sous sa première forme, tel qu’il sera plus tard et jusqu’à la fin, tout d’une pièce quant à la pensée, voulant la liaison exacte, rigoureuse, le parfait enchaînement et l’ordre un dans tous les objets de chaque science, et même dans la somme totale de nos connaissances : « Sans cela, dit-il, on n’a que des cerveaux décousus dont les connaissances ne tiennent à rien : ils ne savent rien, quoiqu’il y ait beaucoup dans leur mémoire, et ne sont d’aucun usage. » Rien n’égale son mépris pour ces cerveaux décousus qui constituent malheureusement l’immense majorité des hommes, et même des hommes distingués. […] Plus tard, nommé par le diocèse de Chartres conseiller-commissaire à la chambre supérieure du clergé de France, il vécut à Paris, hautement estimé dans son ordre pour sa capacité administrative, allant dans les meilleures sociétés sans s’y prodiguer, et poursuivant les études profondes auxquelles les événements allaient donner un soudain à-propos. […] Bossuet, par exemple, doué d’une parole naturelle puissante, abondante, qui se verse d’elle-même et tombe, comme les fleuves, du sein de Jupiter, n’a pas besoin de chercher des idées, ni un ordre de choses autre part qu’autour de lui. […] Au moment de la scission des deux ordres avec les députés du tiers, il trouve pour ceux-ci la dénomination d’Assemblée nationale qui tranche le conflit et annule les privilégiés.

688. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre V. Le Bovarysme des collectivités : sa forme idéologique »

Cela ne vit pas, mais ce n’en est pas moins là, au fond de nous-mêmes, et jamais nous ne parvenons à nous en délivrer. » Cette croyance morte, en effet, a laissé son empreinte dans la loi religieuse et civile, dans la coutume, dans les prescriptions écrites, dans l’ordre établi. […] cet ordre et ces prescriptions ! […] Le culte dont ils devaient être honorés exigeait que la terre dont ils avaient pris possession fût transmise indéfiniment à toute la série des descendants chargés successivement d’accomplir les rites. « L’individu, dit Fustel de Coulanges, ne l’a qu’en dépôt, elle appartient à ceux qui sont morts et à ceux qui sont à naître. »12 Si la femme est exclue de l’héritage, c’est pour un motif de même ordre, c’est parce qu’en se mariant elle déserté le foyer et s’éloigne du tombeau des ancêtres. […] Il ne fallait rien moins qu’une loi pour modifier un ordre de choses que la religion et la loi ; interprètes d’une croyance abolie, avaient décrété. […] Or, contrainte de se méconnaître par l’ascendant qu’exerçait encore la croyance ancienne, elle ne parvenait à faire accepter quelques-unes de ses conséquences que par des moyens détournés, en se blessant elle-même de la façon la plus grave et en usant de fictions qui étaient encore un hommage rendu à l’ordre de choses ancien.

689. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Du docteur Pusey et de son influence en Angleterre »

Quand un homme qu’on pourrait appeler le dernier des prophètes, écrivait, au commencement du siècle : « Il faut nous tenir prêts pour un événement immense dans l’ordre divin, vers lequel nous marchons avec une vitesse accélérée qui doit frapper tous les observateurs », il montrait une fois de plus cette longue prévision qui est à la créature humaine ce que la prescience est à Dieu, et qui part d’une inspiration plus profonde que le génie. […] Là, l’esprit politique des anglais amis une organisation, une volonté d’être et de se conserver respectable à tous les hommes qui ont cette notion de l’ordre avec laquelle on recommencera le monde, quand les révolutions l’auront perdu. […] L’ordre des événements n’est troublé ni interverti ; au contraire, c’est l’ordre des événements qui s’achève par ces conversions et qui se complète de lui-même, sans l’action directe d’un homme entre tous et d’une circonstance déterminée, mais avec cette puissance anonyme qui laisse voir plus à nu la main de Dieu. […] Religion d’État, qui n’a plus que l’État pour elle, qui vit plus sur le bénéfice de son ancienne hiérarchie, de son administration, de ses privilèges, de tout un ordre de choses lent à tomber tant il fut solidement construit, que sur la croyance profonde et le respect sincère des peuples.

690. (1898) Les personnages de roman pp. 39-76

Qui pourrait ne pas trouver qu’il est beau d’étudier une intelligence aux prises avec les problèmes les plus vivants qui soient ; la dépense prodigieuse d’énergie que suppose une affaire prospère ; la lutte contre la concurrence, et les angoisses, et l’orgueil des triomphes rapides ; l’obéissance d’un personnel nombreux aux ordres d’un seul homme ; ces milliers d’industries, qui sont autant de petits États dans l’État, ayant chacun sa politique extérieure et intérieure, sa dynastie, ses drames ? […] Je pourrais passer en revue bien d’autres groupes humains, et dire ainsi les raisons d’ordre littéraire qui peuvent les faire choisir ou rejeter par les écrivains. […] J’accompagnais, seul laïque, un évêque américain dans la visite qu’il faisait à la maison mère d’un ordre de religieuses cloîtrées. […] Elle nous conduisit dans une salle vaste, sans autre ornement que la lumière, où étaient assises le long des murailles, sur trois rangs et laissant une avenue entre elles, les deux cent cinquante novices de l’ordre, toutes blanches aussi. […] Et cela montre qu’il n’y a pas de réalisme absolu ; qu’il n’y a pas, dans le roman, de portrait entièrement vrai ; que les œuvres de cet ordre restent, pour une large part, des œuvres d’imagination.

691. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. THIERS. » pp. 62-124

Thiers sera un jour ministre de l’intérieur ou des travaux publics, il saura mettre ordre à cela. […] Les impressions du jeune Marseillais dans ce monde nouveau qui s’ouvrait à lui furent bientôt d’un tout autre ordre. […] Songez-y bien, monsieur le comte, les premiers ordres, ducs, prélats, présidents, avaient refusé l’impôt territorial ; ils avaient demandé les États-généraux pour menacer la Cour. […] Et ceci me rappelle en effet que, dans ces années de début, un soir que, sur un des sujets de conversation politique à l’ordre du jour, M. […] il avait déjà le pied sur le vaisseau quand un ordre de la cour y mit obstacle.

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