Le patron, porté à la lésine, y rationnait le gaz de telle sorte qu’il n’y flottait jamais qu’une demi-clarté et que l’arrière-fond restait noyé d’une ombre tenace, qu’accentuait le nuage aggloméré des fumeurs.
Comparez un moment au jardin royal de Versailles, bien nivelé, bien taillé, bien nettoyé, bien ratissé, bien sablé, tout plein de petites cascades, de petits bassins, de petits bosquets, de tritons de bronze folâtrant en cérémonie sur des océans pompés à grands frais dans la Seine, de faunes de marbre courtisant les dryades allégoriquement renfermées dans une multitude d’ifs coniques, de lauriers cylindriques, d’orangers sphériques, de myrtes elliptiques, et d’autres arbres dont la forme naturelle, trop triviale sans doute, a été gracieusement corrigée par la serpette du jardinier ; comparez ce jardin si vanté à une forêt primitive du Nouveau-Monde, avec ses arbres géants, ses hautes herbes, sa végétation profonde, ses mille oiseaux de mille couleurs, ses larges avenues où l’ombre et la lumière ne se jouent que sur de la verdure, ses sauvages harmonies, ses grands fleuves qui charrient des îles de fleurs, ses immenses cataractes qui balancent des arcs-en-ciel !
Enfin, les images favorites des poètes enclins à la rêverie sont presque toutes empruntées d’objets négatifs, tels que le silence des nuits, l’ombre des bois, la solitude des montagnes, la paix des tombeaux, qui ne sont que l’absence du bruit, de la lumière, des hommes, et des inquiétudes de la vie27.
De 1601 à 1608, il anima de ses mains enchantées une assez grande foule, je pense, d’ombres désolées ou furieuses. […] Gavarni, Gautier, Flaubert, Paul de Saint-Victor… On peut parler d’elles avec la liberté que nous rendent leurs ombres en fuyant. […] C’est quelque chose, quoi qu’on dise, que d’embrasser une ombre charmante. […] Mais l’ombre d’Estelle sourit encore sur sa tombe dans le cimetière du village où il repose. […] Voici qu’il n’est plus qu’une vaine ombre, jouet d’un souffle léger.
Elle était pour lui l’ombre de Virginie, mais Virginie n’était qu’une ombre, et mademoiselle de Pelleport était un idéal qui échauffait ses songes. […] La rivière qui coule en bouillonnant sur un lit de roche, à travers les arbres, réfléchit çà et là dans ses eaux limpides leurs masses vénérables de verdure et d’ombre, ainsi que les jeux de leurs heureux habitants: à mille pas de là, elle se précipite de différents étages de rocher, et forme, à sa chute, une nappe d’eau unie comme le cristal, qui se brise, en tombant, en bouillons d’écume. […] Leurs ombres n’ont pas besoin de l’éclat qu’ils ont fui pendant leur vie ; mais si elles s’intéressent encore à ce qui se passe sur la terre, sans doute elles aiment à errer sous les toits de chaume qu’habite la vertu laborieuse ; à consoler la pauvreté mécontente de son sort ; à nourrir dans les jeunes amants une flamme durable, le goût des biens naturels, l’amour du travail et la crainte des richesses. […] Il n’y a pas un mot qui fasse ici plus de bruit qu’un autre ; la respiration même de l’âme ne s’y sent pas ; tout finit par le silence éternel et l’ombre des bananiers.
Qu’elle soit une personnification de la théologie ou l’ombre de celle qu’a aimée Dante, nous ne l’avons jamais vue, et c’est à peine si nous l’entendons. […] Ce sont de véritables excès que les Rayons et les Ombres, les Contemplations, la Légende des Siècles, et quels excès ! […] Le regard qu’il jette sur la nature est large et profond ; son œil saisit le détail infini et l’ensemble des formes, des couleurs, des jeux d’ombre et de lumière. […] De leur côté, les Chants du Crépuscule, les Voix intérieures, les Rayons et les Ombres furent accueillis tour à tour avec un mélange d’éloges chaleureux décernés, comme d’habitude, aux parties sentimentales de ces beaux livres, et de reproches adressés à celles où l’émotion intellectuelle l’emportait sur l’impression cordiale. […] Aussi, le grand Poète saisit-il d’un œil infaillible le détail infini et l’ensemble des formes, des jeux d’ombre et de lumière.
« — Peut-être avez-vous raison, me dit-il en penchant sa lourde tête, mais moi je n’avais pas tort : vous étiez Lamartine, j’étais Béranger. » XXIII Quoi qu’il en soit, Béranger se tint parole à lui-même et se retira stoïquement dans l’ombre et dans la médiocrité volontaire. […] Du roi des Huns c’était l’ombre immortelle : Fils d’Attila, j’obéis à sa voix. […] Les expériences, les confidences, les repentirs y tombent de plus haut de l’âme de l’un dans l’âme de l’autre, comme les grandes ombres des montagnes dont parle Virgile tombent sur leurs pieds à mesure que le soleil baisse : Majoresque cadunt altis de montibus umbræ. […] XXXV La mort récente de la compagne de sa vie jeta une ombre visiblement plus grave sur sa physionomie. […] Et puisse un de ces statuaires amis m’ébaucher moi-même, dans le dernier et dans le plus obscur de ces médaillons, agenouillé au pied de cette tombe, et pleurant dans l’ombre, non des larmes politiques, mais des larmes cordiales sur l’ami que je ne reverrai plus que là où il n’y a plus de larmes !
Au sujet de la mort d’Agamemnon, dans le récit que fait l’Ombre de ce grand roi à Ulysse qui l’interroge dans les Enfers, il est dit : « Noble fils de Laërte, ingénieux Ulysse, ce n’est ni Neptune qui m’a dompté sur mes vaisseaux en déchaînant le vaste souffle des vents funestes, ni quelque peuplade ennemie qui m’a détruit sur terre ; mais Ægisthe, tramant contre moi la mort et le mauvais destin, m’a tué d’accord avec ma perverse épouse, après m’avoir invité dans son palais ; pendant le festin même, il m’a tué, comme on tue un bœuf sur la crèche. […] les petites mauves, lorsqu’elles ont comme péri dans le jardin, et le vert persil, et le frais fenouil tout velu, revivent par la suite et repoussent à l’autre année ; mais nous autres hommes, les grands, les puissants ou les génies, une fois que nous sommes morts, insensibles dans le creux de la terre, nous dormons à jamais le long, l’interminable, l’inéveillable sommeil. » — Ce passage fait souvenir de l’ode d’Horace : Diffugere nives, dans laquelle le poëte exprime la mobilité des saisons, le printemps qui renaît et qui sollicite à jouir de l’heure rapide, car l’hiver n’est jamais loin : « Mais, ajoute-t-il en s’attristant également de la supériorité de la nature sur l’homme, les lunes légères ne tardent guère à réparer leurs pertes dans le ciel, tandis que nous, une fois descendus là où l’on rejoint le pieux Énée, le puissant Tullus et Ancus, nous ne sommes que poussière et ombre. » La pensée d’Horace est belle, elle est philosophique et d’une mélancolie réfléchie ; mais je ne sais quoi de plus vif et de plus pénétrant respire dans la plainte de Moschus. […] Y a-t-il ombre de raison dans l’amour ?
Nous sommes tentés de nous demander ce qu’ils ont fait la nuit lorsque le silence et l’ombre enveloppaient leurs grandes formes, et que la brume venait poser son voile diaphane sur leurs manteaux. […] On ne peut contempler les grandes lignes des paysages, le calme des ombres et de la lumière, la large voûte du ciel, sans se conformer à la pensée sourde qui semble pénétrer toutes ces choses et les unir. […] Loin du monde et du bruit, goûter l’ombre et le frais ?
Les Indiens et les mulâtres, qui habitent des huttes ouvertes à tous les vents avec un toit de feuilles de palmier, sommeillent dans leurs hamacs, ou se tiennent du moins assis à l’ombre sur des nattes, trop affaissés même pour causer. […] Un obélisque égyptien en granit marque la borne de l’ombre du temple. […] Leurs maisons disparaissent derrière les balustrades et l’ombre de cette montagne de pierre qui prend racine à leur pied, sans pour cela leur cacher le soleil.
En contemplant l’urne sacrée, Ses yeux de larmes sont couverts ; Et là d’une voix éplorée, Il raconte à l’Ombre adorée Les longs tourments qu’il a soufferts. […] Les derniers mots que l’Ombre achève Du Tasse ont calmé les regrets : Plein de courage il se relève, Et tenant sa lyre et son glaive, Du destin brave tous les traits. […] Lorsque la lune éclairait à demi les piliers des arcades, et dessinait leur ombre sur le mur opposé, je m’arrêtais à contempler la croix qui marquait le champ de la mort, et les longues herbes qui croissaient entre les pierres des tombes.