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876. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Histoire des travaux et des idées de Buffon, par M. Flourens. (Hachette. — 1850.) » pp. 347-368

Il en développa d’autant plus sa faculté de tout voir par les yeux de l’esprit, de tout se figurer par une contemplation attentive. […] « Des sourcils noirs, ombrageant des yeux noirs très actifs », ressortaient encore plus sous de beaux cheveux blancs. […] Buffon savait peu la botanique : « J’ai la vue courte, disait-il ; j’ai appris trois fois la botanique, et je l’ai oubliée de même : si j’avais eu de bons yeux, tous les pas que j’aurais faits m’auraient retracé mes connaissances en ce genre. » Il semblait que, taillé en grand par la nature, il lui coûtât de se baisser pour étudier les petites choses : le cèdre du Liban, il le contemplait volontiers, mais l’hysope lui paraissait trop petite. […] Il imagine un homme tout neuf et sans notions aucunes, dans une campagne où les animaux, les oiseaux, les poissons, les plantes, les pierres se présentent successivement à ses yeux. […] Par exemple, parlant du cerf : Le cerf, dit-il, paraît avoir l’œil bon, l’odorat exquis et l’oreille excellente.

877. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Essai sur Amyot, par M. A. de Blignières. (1 vol. — 1851.) » pp. 450-470

Dans sa dédicace des Vies de Plutarque à Henri II, il parle de lui humblement, plus humblement même qu’on ne le voudrait : « Non que j’eusse opinion qu’il pût issir (sortir) de moi, dit-il, personne si basse et si petite en toute qualité, chose qui méritât d’être mise devant les yeux de Votre Majesté. » Au concile de Trente, en septembre 1551, ayant eu à présenter les lettres de protestation du roi aux Pères du Concile et trouvant l’assemblée peu disposée à les recevoir : « Je filais le plus doux que je pouvois, écrit-il à son ambassadeur, me sentant si mal, et assez pour me faire mettre en prison si j’eusse un peu trop avant parlé. » Certes, un simple secrétaire, mais qui eût été de l’étoffe d’un Mazarin ou d’un D’Ossat, ou même d’un Fleury, se serait exprimé et se serait présenté autrement. […] Aux yeux des purs et austères partisans de la gravité dans la psalmodie, cela répare un peu ses fautes. […] Il est difficile d’essayer un jugement sur les ouvrages d’Amyot et de les apprécier au vrai sans avoir à la fois sous les yeux les textes et les traductions : mais non, prenons celles-ci, comme on l’a fait presque toujours, comme des écrits originaux d’un style coulant, vif, abondant, familier et naïf, qui se font lire comme s’ils sortaient d’une seule et unique veine. […] Il s’agit de Numa et de ses premiers actes de législateur et de civilisateur qui adoucirent le naturel féroce des premiers Romains ; j’ai regret d’altérer dans ma citation l’orthographe ancienne, qui dans ses longueurs mêmes, et par la surabondance de ses lettres inutiles, contribue à rendre aux yeux la lenteur et la suavité de l’effet : Ayant donques Numa fait ces choses à son entrée, pour toujours gaigner de plus en plus l’amour et la bienveillance du peuple, il commença incontinent à tâcher d’amollir et adoucir, ne plus ne moins qu’un fer, sa ville, en la rendant, au lieu de rude, âpre et belliqueuse qu’elle étoit, plus douce et plus juste. […] Il est curieux de voir, en lisant ce morceau, de combien de bévues, aux yeux des érudits de profession, se compose une gloire littéraire et populaire.

878. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre VI. Le beau serviteur du vrai »

Il veille, le penseur bon et sombre ; il épie, il guette, il écoute, il regarde, oreille dans le silence, œil dans la nuit, griffe à demi allongée vers les méchants. […] Que l’étoile qui est dans cet œil pleure une larme, et que cette larme soit la larme humaine. […] Remarquez leurs yeux baissés. […] Les vieux donjons pleins de carnage ouvrent leurs yeux fauves et flairent l’obscurité ; l’inquiétude les prend. […] ce devoir doit-il fermer les yeux ?

879. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre I. La demi-relativité »

Mais l’expérience Michelson-Morley a le grand avantage de poser en termes concrets le problème à résoudre, et de mettre aussi sous nos yeux les éléments de la solution. […] Mais le spectateur stationné dans l’éther, qui suit des yeux le trajet effectué dans ce milieu par le rayon, sait bien que la distance parcourue est en réalité équation . […] Or, dans le système en mouvement où je me trouve, je rapporte mes observations à des axes O′ X′, O′ Y′, O′ Z′ que ce système entraîne avec lui, et c’est par ses distances x′, y′, z′ aux trois plans se coupant selon ces lignes qu’est défini à mes yeux tout point de mon système. […] Donc, si S est la rive d’un fleuve et S′ un bateau qui marche avec la vitesse v par rapport à la rive, un voyageur qui se déplace sur le pont du bateau dans la direction du mouvement avec la vitesse v′ n’a pas, aux yeux du spectateur immobile sur la rive, la vitesse v + v′, ainsi qu’on le disait jusqu’à présent, mais une vitesse inférieure à la somme des deux vitesses composantes. […] L’espace parcouru à ses yeux par le voyageur sur le bateau n’est donc plus x′ (si x′ était la longueur de quai avec laquelle coïncidait le bateau immobile), mais x′ équation et le temps mis à parcourir cet espace n’est pas t’, mais équation .

880. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Littré. »

Tel qu’on me le décrit à cet âge de première jeunesse, il n’était pas du tout pareil à ce savant d’une santé ferme encore, mais réduite, que nous avons sous les yeux : il jouissait d’une force de corps et d’une organisation herculéenne, héritée par lui de son père. […] Littré fut amené à s’occuper avec suite des origines de notre langue ; il passa décidément de l’antiquité grecque et latine à cette autre demi-antiquité si ingrate et si confuse d’apparence, à celle du moyen âge, et il y prit goût, il y prit pied au point de penser déjà à ce Dictionnaire de la Langue qu’il exécute aujourd’hui, qui s’élève chaque jour à vue d’œil, et qui devient le monument de la seconde moitié de sa carrière. […] Tel est, à nos yeux, M.  […] Littré intervint, et du moment qu’il eut l’œil sur ces matières, il les démêla, il les traita de manière à les éclaircir pour tous. […] Littré, dans la Revue des Deux Mondes du 1er avril 1838, à propos des Œuvres d’histoire naturelle de Goethe : « En commençant, j’ai rappelé, dit-il, la magnificence du spectacle du ciel, et combien les yeux se plaisent à considérer ces étoiles innombrables, ces globes semés dans l’espace, ces îles de lumière, comme dit Byron, dont se pare la nuit : je termine en rappelant que, pour les yeux de l’intelligence, le spectacle des lois mystérieuses et irrésistibles qui gouvernent les choses n’est ni moins splendide ni moins attrayant.

881. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCVIe entretien. Alfieri. Sa vie et ses œuvres (1re partie) » pp. 413-491

La médiocrité et le goût barbare des constructions ; la ridicule et mesquine magnificence du petit nombre de maisons qui prétendent au titre de palais ; la saleté et le gothique des églises ; l’architecture vandale des théâtres de cette époque, et tant, tant, tant d’objets déplaisants qui, tous les jours, passaient devant mes yeux, sans compter le plus amer de tous, ces visages plâtrés de femmes si laides et si sottement attifées ; tout cela n’était pas assez racheté à mes yeux par le grand nombre et la beauté des jardins, l’éclat et l’élégance des promenades où se portait le beau monde, le goût, la richesse et la foule innombrable des équipages, la sublime façade du Louvre, la multitude des spectacles, bons pour la plupart, et toutes les choses du même genre. […] « Pour obtenir et mériter l’approbation d’un homme aussi estimable que Gori l’était à mes yeux, je travaillai, cet été, avec beaucoup plus d’ardeur que je n’avais fait encore. […] Il m’en était resté dans les yeux et en même temps dans le cœur une première impression très agréable ; des yeux très noirs et pleins d’une douce flamme, joints (chose rare) à une peau très blanche et à des cheveux blonds, donnaient à sa beauté un éclat dont il était difficile de ne pas demeurer frappé, et auquel on échappait malaisément. […] Charles-Édouard n’avait oublié aucun de ses titres ; ce vieillard, usé par l’intempérance, qui s’agenouille péniblement sur ces coussins de velours auprès de cette jeune femme aux yeux bleus, aux cheveux blonds, éblouissante de grâce et de beauté, c’est Charles III, roi d’Angleterre, de France et d’Irlande, défenseur de la foi. […] La cour qu’il leur fait est innocente à ses yeux, pourvu que l’amour et sa vanité l’autorisent.

882. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre onzième »

Il détourne les yeux du scandale de ces familles où l’on récompense la bonne conduite des enfants par quelque argent à donner aux pauvres. […] On comprend que Sophie, honteuse, se cache les yeux avec son éventail et garde le silence ; mais qu’Emile se fâche et se récrie, c’est ajouter au scandale de la scène. […] C’est le même œil qui lit en nous et en autrui : si cet œil se trouble quand nous le tournons sur nous-mêmes, il n’est pas net quand il regarde nos semblables. […] Il leur voit des visages d’abord ouverts qui se voilent ; des yeux qui, après l’avoir regardé en face, se détournent : nul doute, ce sont des ennemis venus avec des dehors pacifiques pour mieux le tromper. […] Toutes ces figures qui simulent l’emportement et l’enthousiasme sont, aux yeux des connaisseurs, des ailes de cire qui ne l’enlèvent pas de terre.

883. (1890) L’avenir de la science « XVII » p. 357

Oui, ces pauvres gens seront plus malheureux, quand leurs yeux seront ouverts. […] À mes yeux, c’est la question capitale du XIXe siècle : toutes les autres réformes sont secondaires et prématurées ; car elles supposent celle-là. […] La société n’est pas, à mes yeux, un simple lien de convention, une institution extérieure et de police. […] Mais s’en pas-ser… Aux yeux de quelques-uns, cela est la plus belle apologie des gouvernants ; à mes yeux, c’est leur plus grand crime. […] Ceux-ci lui paraissent sur le même niveau que lui, et il voit leur supériorité de mauvais œil.

884. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVIII. J.-M. Audin. Œuvres complètes : Vies de Luther, de Calvin, de Léon X, d’Henri VIII, etc. » pp. 369-425

Mais ils avaient sous les yeux un modèle ; ils copiaient. […] La jeunesse, la santé, la fraîcheur, le bon sourire, la cordialité, la larme à l’œil, les beaux tremblements de la main émue, toutes ces qualités si rares dans les talents graves, quels que soient les sujets auxquels ils s’appliquent, Audin ne les a jamais perdues à remuer les impalpables poussières du sépulcre. […] En ouvrant trop l’oreille au conseil, l’homme parfois ferme les yeux à la lumière que Dieu lui a mise dans la main. […] Un jour, les critiques distraits sortiront de leur distraction, et, clignant comme le dieu Siva ces yeux de lynx qui dorment du sommeil des marmottes, finiront par découvrir le monument de science et d’art qui s’était élevé pendant dix ans sans qu’ils l’eussent vu. […] Les lettres profanes, les arts plastiques, les souvenirs de l’antiquité, les manuscrits grecs, et jusqu’à l’imprimerie, ont à ses yeux, d’ordinaire si clairs et si purs, l’importance qu’ils ont aux yeux troublés de la génération présente.

885. (1782) Essai sur les règnes de Claude et de Néron et sur la vie et les écrits de Sénèque pour servir d’introduction à la lecture de ce philosophe (1778-1782) « Essai, sur les règnes, de Claude et de Néron. Livre premier. » pp. 15-203

On cherche des yeux l’écervelé qui a tenu ce propos. […] Dans cette circonstance chacun fit le sien : le courtisan en trompant l’œil jaloux d’Agrippine, et l’œil curieux du peuple romain ; le philosophe, en prévenant un inceste par l’entremise de la favorite. […] Un philosophe païen n’a pu voir la conduite de Sérénus de l’œil d’un prêtre chrétien. […] Ce n’était guère à ses yeux que la vaine décoration de sa dignité. […] Le crime était fixé devant les yeux du parricide par le redoutable aspect de la mer et des collines.

886. (1856) Réalisme, numéros 1-2 pp. 1-32

En art, il faut un immense génie pour reproduire simplement et sincèrement ce qu’on a sous les yeux, depuis une terrine jusqu’à la face du plus auguste des rois. […] Bouillet, et des yeux passables. […] avec des yeux de myope voir tant de queues et de grains de blé… Oh ! […] Les tableaux à personnages s’adressent moins aux yeux qu’à l’esprit ; c’est l’histoire coloriée des mœurs, l’étude des physionomies. […] Balzac peut très bien passer pour fou aux yeux des gens sincères.

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