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31. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « L’abbé Prévost »

Si dans notre jeunesse nous nous sommes trouvés à portée de quelque ancienne bibliothèque de famille, nous avons pu lire Cléveland, le Doyen de Killerine, les Mémoires d’un Homme de qualité, que nous recommandaient nos oncles ou nos pères ; mais, à part une occasion de ce genre, on les estime sur parole, on ne les lit pas. […] » L’idéal de l’abbé Prévost, son rêve dès sa jeunesse, le modèle de félicité vertueuse qu’il se proposait et qu’ajournèrent longtemps pour lui des erreurs trop vives, c’était un mélange d’étude et de monde, de religion et d’honnête plaisir, dont il s’est plu en beaucoup d’occasions à flatter le tableau. […] J’omets toujours Manon et son Paris du temps du Système, son Paris de vice et de boue, où toutes les ordures sont entassées, quoique d’occasion seulement, remarquez-le bien, quoique jetées là sans dessein de les faire ressortir, et d’un bout à l’autre éclairées d’un même reflet sentimental. […] Il ne craint pas même à l’occasion (générosité que l’on aura peine à croire) de citer avantageusement, par leur nom, les journaux ses confrères, le Mercure de France et le Verdun. […] Jean-Jacques, dont c’était aussi le vœu, mais qui ne s’y tenait pas, eut occasion, à ses débuts, de rencontrer souvent l’abbé Prévost chez leur ami commun Mussard, à Passy ; il en parle dans ses Confessions (partie II, livre VIII), et avec un sentiment de regret pour les moments heureux passés dans une société choisie.

32. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

Avait-il raison, au contraire, comme le soutient sir Henry Bulwer, de saisir avec habileté le joint et de ne pas manquer l’occasion de diviser tes grandes puissances ? […] Ce qui malheureusement n’est pas moins certain, c’est qu’il ne perdit pas l’occasion non plus de reprendre sous main ses habitudes de trafics et marchés : 6 millions lui furent promis par les Bourbons de Naples pour favoriser leur restauration, et l’on a su les circonstances assez particulières et assez piquantes qui en accompagnèrent le payement32. […] À l’occasion de la guerre d’Espagne en 1823, il fit une démonstration très marquée, un discours à la Chambre des pairs, dans lequel, s’autorisant de ses prétendus anciens conseils à Napoléon, il pronostiquait des malheurs comme inévitable conséquence de l’expédition, et signalait des dangers rejaillissant jusque sur la France. […] M. de Talleyrand, à la première occasion, revint en France sous prétexte de congé, et, de son château de Valençay, il envoya sa démission à Louis-Philippe (novembre 1831). […] — On persécute M. de Fitz-James pour accepter l’ambassade de Madrid. — J’ai envoyé Thierry chez vous pour qu’on vous l’envoie par quelque occasion. » M. de Talleyrand, en parlant des Grecs, comptait sans Navarin.

33. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le Brun-Pindare. » pp. 145-167

Il fit deux odes à cette occasion, et une particulièrement Sur les causes physiques des tremblements de terre. […] Le Brun ne perd aucune occasion d’exprimer son dédain suprême pour le jargon des petits vers de société, si en vogue à son moment, « ces petits vers mièvres et délicieux dont on surcharge les sophas jonquille ». […] Sa conversation était toute littéraire et sur les matières de poésie : l’histoire, la politique l’occupaient peu, ou, s’il touchait à la politique, c’était uniquement pour en tirer quelque occasion d’ode ou d’épigramme. […] Je n’en citerai aucune après celle que j’ai rappelée l’autre jour à l’occasion de La Harpe (« Ce petit homme à son petit compas… ») : c’est ce qu’on peut appeler la reine des épigrammes. […] [NdA] Sa cécité n’était elle-même pour lui, le plus souvent, qu’une occasion de madrigal.

34. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) «  Mémoires de Gourville .  » pp. 359-379

Il en parla si bien que, peu de jours après, le prince de Marcillac ayant envoyé son intendant à M. d’Émery, celui-ci lui dit à la première rencontre : « Quand vous aurez quelque chose à me faire dire, envoyez-moi la casaque rouge (c’était Gourville en livrée) qui m’a déjà parlé une fois de votre part. » Cela donne occasion à Gourville de faire ses premières affaires auprès de M. d’Émery, tout à l’avantage et au profit de son maître : il y gagne lui-même un pot-de-vin, qui revient à deux mille livres sur dix mille. […] Un de ses amis, ou du moins une de ses connaissances, un sieur Mathier, receveur des tailles, qui était en tournée, le vient voir par hasard : Gourville s’informe auprès de lui du détail et du chiffre de la recette ; il prend ses mesures : « Je me proposai, dit-il naïvement, de profiter de l’occasion que ma bonne fortune m’envoyait, et, laissant passer quelques jours pour donner le temps à la recette d’augmenter, je fis observer sa marche. » Le résultat de cette observation, c’est qu’un soir il arrive avec six hommes armés dans le lieu où M.  […] Le but du cardinal, d’accord avec Gourville, est de tâcher que celui-ci soit fait prisonnier, et trouve par là une occasion naturelle d’arriver au prince de Condé pour lui porter des paroles d’accommodement. […] Tout lui est une occasion d’observations, d’affaires et de profits qu’il imagine pour les autres comme pour lui. […] En toute occasion et à tout événement, le prince de Condé le réclame, et il le trouve déjà présent.

35. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — II. (Fin.) » pp. 308-328

Un autre extrême, tout opposé, dans lequel on est tombé de nos jours (et je parle ici de la critique sérieuse, de celle de quelques revues anglaises ou françaises, par exemple), est de ne presque point donner idée du livre à l’occasion duquel on écrit, et de n’y voir qu’un prétexte à développement pour des considérations nouvelles, plus ou moins appropriées, et pour des essais nouveaux ; l’auteur primitif sur lequel on s’appuie disparaît ; c’est le critique qui devient le principal et le véritable auteur. […] J’ai eu souvent occasion de remarquer que, dans tout ce qu’on lui contait ou disait, il attendait toujours l’épigramme. […] Dans l’espèce de biographie qu’il trace de Rousseau à l’occasion de l’Émile (15 juin 1762), Grimm s’arrête dans ses souvenirs à ce qui serait une révélation indiscrète et une violation de l’ancienne amitié ; et, après avoir retracé les principales époques de la vie de Rousseau, ses premières tentatives plus ou moins bizarres, il ajoute : « Sa vie privée et domestique ne serait pas moins curieuse ; mais elle est écrite dans la mémoire de deux ou trois de ses anciens amis, lesquels se sont respectés en ne l’écrivant nulle part. » Si Grimm avait été un perfide et un traître comme le croyait Rousseau, quelle belle occasion il avait là, dans le secret, de raconter, en contraste avec l’Émile, ce qu’avait fait Rousseau de ses propres enfants, et tant d’autres détails qu’on n’a sus depuis que par Les Confessions ! […] Le très léger et très étroit Helvétius qui, dans sa vie de plaisirs, est subitement saisi de l’amour de la réputation, et qui essaye, à trois reprises, de trois veines différentes, en manquant toujours l’occasion, est presque comique. […] Grimm, à cette occasion, s’écrie dans sa reconnaissance : « Ah !

36. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre V. Le théâtre des Gelosi (suite) » pp. 81-102

À la suite de la querelle qui a eu lieu entre elle et son mari, à l’occasion du portrait que ce dernier a vu aux mains de la comédienne Vittoria, Isabelle, soupçonnant Oratio d’aimer celle-ci, ordonne à Pedrolino d’aller demander audit Oratio le portrait qu’elle lui a donné jadis. […] Isabelle, saisissant l’occasion de causer du dépit à Oratio, appelle Flaminia, et lui dit d’amener son nouvel amant à la fenêtre. […] Pantalon se dit que c’est là justement l’occasion qu’il lui fallait pour aller au théâtre. […] Les valets imaginent de dire que ce sont des gens sortant du théâtre qui les ont dévalisés, et ils ajoutent philosophiquement que, si les comédies apportent de la distraction et du plaisir, elles sont aussi l’occasion de nombreux scandales.

37. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Léon Bloy »

Léon Bloy47 L’auteur de la préface que voici fut un des premiers qui parlèrent du beau livre d’histoire — cause et occasion de cet autre livre qu’on publie aujourd’hui48. […] Il recommença d’attendre, avec le poids de son talent méconnu et refoulé sur son cœur, l’occasion favorable où il pourrait prouver, à ses amis comme à ses ennemis, qu’il en avait. Et cette occasion éclatante fut la béatification de Christophe Colomb, dans laquelle il a montré, contre les vils chicaneurs de cette grande mesure, projetée par Pie IX, la toute-puissance des coups qu’il pouvait leur porter et qu’on lui connaissait, mais encore une autre toute-puissance qu’on ne lui connaissait pas !

38. (1863) Histoire de la vie et des ouvrages de Molière pp. -252

Anecdote invraisemblable à cette occasion. […] Persécutions à l’occasion du Tartuffe. […] Cotin et Ménage joués dans cette pièce ; à quelle occasion. […] Le mari était utilisé parfois comme assistant et était à l’occasion chargé de bouts de rôles. […] » disait Molière à Boileau, qui le félicitait à l’occasion du Misanthrope.

39. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Les nièces de Mazarin et son dernier petit-neveu le duc de Nivernais. Les Nièces de Mazarin, études de mœurs et de caractères au xviie  siècle, par Amédée Renée, 2e éd. revue et augmentée de documents inédits. Paris, Firmin Didot, 1856. » pp. 376-411

Théophile Lavallée, a eu l’occasion d’étudier Mme de Maintenon, et il s’est fait bientôt son éditeur le plus exact, son commentateur essentiel et précis, et l’historien de son œuvre ; il est un des passionnés, et un passionné positif, de Mme de Maintenon. […] Son époux converti ne perdait aucune occasion de lui répéter « tout ce que la charité peut faire dire sur la plus grande de toutes les affaires à la personne du monde à qui elle importe le plus et que l’on aime le mieux. […] Racine, ayant eu occasion de s’expliquer avec M. de Nevers, lui désavoua d’avoir fait la réplique, comme ce duc jurait qu’il n’avait aucune part au premier sonnet ; et M.  […] Voyez le tour de sa conversation dans les diverses occasions, soit aux visites du matin, soit à table, ou enfin aux amusements du soir. […] Dans un voyage en France, quelques années après (1766), Horace Walpole retrouve le duc de Nivernais et son monde ; il se loue en toute occasion de sa serviabilité, de son obligeance ; mais il le peint au vif dans sa haute coterie.

40. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mémoires pour servir a l’histoire de mon temps. Par M. Guizot »

Même pour les plus honnêtes gens, la politique n’est pas une œuvre de saints ; elle a des nécessités, des obscurités que, bon gré, mal gré, on accepte en les subissant ; elle suscite des passions, elle amène des occasions de complaisance pour soi-même auxquelles nul, je crois, s’il sonde bien son âme après l’épreuve, n’est sûr d’avoir complètement échappé ; et quiconque n’est pas décidé à porter sans trouble le poids de ces complications et de ces imperfections inhérentes à la vie publique la plus droite fera bien de se renfermer dans la via privée et dans la spéculation pure. » Quoi qu’il en soit, on vit là un de ces beaux duels où l’appétit des ambitions et la passion du jeu firent taire la prudence. […] Béranger, que je ne prends ici que pour ce qu’il était réellement, pour un spectateur très avisé et très malin, écrivait de son coin à l’occasion de ces brillantes joutes parlementaires contre M.  […] s’il y avait un journal républicain qui eût un peu de bon sens et d’esprit, quelle occasion de triomphe ! […] à quelle occasion ? […] Guizot, qu’il en cherche évidemment l’emploi et les occasions, et qu’à propos des morts de chaque année qu’il passe en revue, il trouve moyen de jeter le filet sur des noms qu’il ne rencontrerait pas directement dans son chemin : on ne se plaint pas du hors-d’œuvre.

41. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — III » pp. 81-102

Mais une malheureuse petite fortune à peine commencée, chancelante, ébranlée dans les occasions qui devraient raffermir, l’on se dit : Ne faisons rien qu’à la pluralité des voix ; et l’on ne fait rien qui vaille. […] C’est alors que, voyant qu’il ne devait compter que sur lui-même et guettant l’occasion de sortir du pas difficile où il se trouvait, pressé qu’il était déjà entre deux armées, il livra aux troupes du comte de Stirum, près de Donawerth, la bataille d’Hochstett, qu’il gagna complètement (20 septembre 1703). […] Bien préparé, bien fixé sur le poste à prendre, et s’attendant d’un jour à l’autre à avoir affaire à Marlborough, il tient à savoir les intentions du roi touchant une bataille ; ce n’est pas un batailleur à tout prix que l’audacieux Villars : « Il y a des occasions, écrit-il à Chamillart, où c’est prudence de la chercher, quand même on la donnerait avec désavantage : il y en a d’autres où, paraissant toujours chercher le combat, il faut cependant manquer plutôt une occasion que de ne se la pas donner la plus favorable qu’il est possible. » Dans le cas présent, si l’ennemi prête flanc par quelque fausse démarche, il en profitera, c’est tout simple ; mais à chances égales, là où il n’y aurait ni avantage ni désavantage évident à l’attaque, il tient à savoir l’intention du roi. […] Villars avait pour maxime que « sitôt qu’on cesse d’être sur la défensive, il faut se mettre sur l’offensive. » Il se remit donc en campagne activement, et, réuni au maréchal de Marcin, il eut à opérer dans les mois suivants sur le Rhin et sur la Lauter, en face du prince Louis de Bade ; mais il eut la prudence de ne compromettre en rien le succès glorieux qu’il avait obtenu : Leurs généraux, écrivait-il au roi parlant des ennemis, sont persuadés que je ne perdrai pas la première occasion de les combattre : je n’oublierai aucune démonstration pour les confirmer dans cette opinion. […] En Italie, il lui faudrait tout d’abord entrer dans un système de guerre qu’il n’a pas conçu et qui n’est pas le sien : Présentement M. le duc de Vendôme a fait toutes ses dispositions, lesquelles je crois être très sages ; mais, quelque respect que j’aie pour ses projets, chacun a sa manière de faire la guerre, et j’avoue que la mienne n’a jamais été de vouloir tenir par des lignes vingt lieues de pays… Encore une fois, monsieur, si quelque chose allait mal en Italie, j’y volerais… Il n’y a qu’à conserver ; et si Sa Majesté, qui m’a dit autrefois elle-même et avec bonté les défauts qu’elle me connaissait, a bien voulu les oublier dans cette occasion, il est de ma fidélité de les représenter.

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