/ 3301
2004. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE DURAS » pp. 62-80

Elle était plus forte, plus grande, plus passionnément douée que ce premier aspect ne la montre ; il y avait de puissants ressorts, de nobles tumultes dans cette nature, que toutes les affections vraies et toutes les questions sérieuses saisissaient vivement ; comme l’époque qu’elle représente pour sa part et qu’elle décore, elle cachait sous le brillant de la surface, sous l’adoucissement des nuances, plus d’une lutte et d’un orage. […] L idée d’Ourika, d’Édouard, et probablement celle qui anime les autres écrits de Mme de Duras, c’est une idée d’inégalité, soit de nature, soit de position sociale, une idée d’empêchement, d’obstacle entre le désir de l’âme et l’objet mortel ; c’est quelque chose qui manque et qui dévore, et qui crée une sorte d’envie sur la tendresse ; c’est la laideur et la couleur d’Ourika, la naissance d’Edouard ; mais, dans ces victimes dévorées et jalouses, toujours la générosité triomphe. […] Cette nature trop franche devait percer toutefois et choquer à cette époque de partis irrités et dans une société d’étiquette ; on ne lui épargna l’envie ni la haine.

2005. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre IV. Des figures : métaphores, métonymies, périphrases »

Généralement elle contient en germe une comparaison, et manifeste une certaine communauté de nature ou d’état entre les deux objets qu’elle accouple. […] Étudiez l’incomparable style de Bossuet ; prenez le Sermon sur la mort, et tous ces conseils s’éclairciront ; vous y verrez la métaphore brusque ou préparée, suivie ou abandonnée, plongée au milieu des termes propres ou de métaphores dissemblables, lâchée dès qu’elle ne serait plus qu’une curiosité ou un obstacle, avec une souplesse et une fortune merveilleuses, sans autre règle apparente que l’universelle et l’infaillible règle de donner à la pensée l’expression adéquate, transparente, qui n’y ajoute rien et n’en retranche rien : Multipliez vos jours, comme les cerfs que la fable ou l’histoire de la nature fait vivre durant tant de siècles ; durez autant que ces grands chênes sous lesquels nos ancêtres se sont reposés et qui donneront encore de l’ombre à notre postérité ; entassez, dans cet espace qui paraît immense, honneurs, richesse, plaisir : que vous profitera cet amas, puisque le dernier souffle de la mort, tout faible, tout languissant, abattra tout à coup cette vaine pompe, avec la même facilité qu’un château de cartes, vain amusement des enfants ? […] Tout nous appelle à la mort ; la nature, comme si elle était presque envieuse du bien qu’elle nous a fait, nous déclare souvent et nous fait signifier qu’elle ne peut pas nous laisser longtemps ce peu de matière qu’elle nous prête, qui ne doit pas demeurer dans les mêmes mains, et qui doit être éternellement dans le commerce ; elle en a besoin pour d’autres formes, elle la redemande pour d’autres ouvrages.

2006. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre I. La tragédie de Jodelle à Corneille »

Chaque situation, chaque état moral n’est pour eux qu’un motif, selon la nature duquel ils modifient leur rhétorique, écrivant ici un discours, là une ode, ailleurs une élégie, ou une méditation, ou une suite de sentences. […] Naturellement, selon les lois de l’éloquence et du lyrisme, leurs développements des situations particulières et des sentiments individuels tendent à l’universel, au lieu commun : d’autant mieux que, ne comprenant rien à la nature propre du drame, ils sont amenés fort logiquement à le prendre comme une allégorie morale, destinée à l’instruction : pourquoi raconterait-on ces choses extraordinaires, si ce n’est pour l’exemple ? […] Mais la nature de ces sujets, par malheur, n’a inspiré aux poètes que de l’éloquence ou du lyrisme : elle n’a pas pu leur faire créer un drame.

2007. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre XI. L’antinomie sociologique » pp. 223-252

Souvent il commence par adopter et par soutenir un mensonge de groupe, en sachant parfaitement que c’est un mensonge : puis, à force de l’entendre et de le répéter, il finit par oublier sa nature mensongère et par le soutenir mordicus comme une vérité. […] Le mythe de Putois est un bon exemple pour faire comprendre la nature des mythologies à l’usage des groupes et destinées à théorétiser et à justifier la suprématie du groupe sur l’individu. […] Sur l’origine et la nature des croyances collectives, plusieurs opinions ont été soutenues.

2008. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre IV. Ordre d’idées au sein duquel se développa Jésus. »

Ces montagnes, cette mer, ce ciel d’azur, ces hautes plaines à l’horizon, furent pour lui non la vision mélancolique d’une âme qui interroge la nature sur son sort, mais le symbole certain, l’ombre transparente d’un monde invisible et d’un ciel nouveau. […] Une absence complète du sentiment de la nature, aboutissant à quelque chose de sec, d’étroit, de farouche, a frappé toutes les œuvres purement hiérosolymites d’un caractère grandiose, mais triste, aride et repoussant. […] Une nature ravissante contribuait à former cet esprit beaucoup moins austère, moins âprement monothéiste, si j’ose le dire, qui imprimait à tous les rêves de la Galilée un tour idyllique et charmant.

2009. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Pensées, essais, maximes, et correspondance de M. Joubert. (2 vol.) » pp. 159-178

Il causa donc avec les gens de lettres en renom ; il connut Marmontel, La Harpe, d’Alembert ; il connut surtout Diderot, le plus accueillant par nature et le plus hospitalier des esprits. […] Nature idéale et légère, le sensuel, le boursouflé, le colossal, lui déplaisent par-dessus tout. […] Il exige de l’agrément et une certaine aménité, même dans les sujets austères ; il réclame du charme partout, même dans la profondeur : « Il faut porter du charme dans ce qu’on approfondit, et faire entrer dans ces cavernes sombres, où l’on n’a pénétré que depuis peu, la pure et ancienne clarté des siècles moins instruits, mais plus lumineux que le nôtre. » Ces mots de lumineux et de lumière reviennent fréquemment chez lui et trahissent cette nature ailée, amie du ciel et des hauteurs.

2010. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Le père Lacordaire orateur. » pp. 221-240

On sent si bien une puissance qui, du haut de cette chaire, est dans la sincérité de sa direction et dans la plénitude de sa nature, une parole qui a cru entendre son mot d’ordre d’en haut : « N’interrogez pas le cours des fleuves ni la direction des montagnes, allez tout droit devant vous ; allez comme va la foudre de Celui qui vous envoie, comme allait la parole créatrice qui porta la vie dans le chaos, comme vont les aigles et les anges. » Il va donc et nous emporte mainte fois sur les crêtes et sur les cimes ; on frémit, mais il ne tombe pas. […] Sous la figure de l’abbé de Janson, il a peint lui-même, à son insu, quelques traits de sa propre nature, de sa propre ambition spirituelle d’apôtre : « L’apostolat, dit-il, qui était sa vraie, son unique vocation, le tourmentait et l’emportait dès les premiers jours de son sacerdoce. » On était à la fin de l’Empire : M. de Janson cherchait une carrière à son zèle, un champ pour y semer la parole, et n’osant songer à la France, alors muette, il errait en esprit de l’Amérique à la Chine, de la Chine aux bords du Gange : Tout à coup, au sein même de la patrie, poursuit l’orateur, un cri prodigieux s’élève : le descendant de Cyrus et de César, le maître du monde, avait fui devant ses ennemis ; les aigles de l’Empire, ramenées à plein vol des bords sanglants du Dniepr et de la Vistule, se repliaient sur leur terre natale pour la défendre, et s’étonnaient de ne plus ramasser dans leurs serres puissantes que des victoires blessées à mort. […] Il a parlé de Luther sans outrage, avec un sentiment respectueux pour cette riche et puissante nature ; mais tout à coup, à propos de Luther même, citant un bon mot d’Érasme, il a ajouté : Vous connaissez tous Érasme, messieurs.

2011. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Discours sur l’histoire de la révolution d’Angleterre, par M. Guizot (1850) » pp. 311-331

Un étranger, homme d’esprit, a coutume de partager la nature humaine en deux, la nature humaine en général et la nature française, voulant dire que celle-ci résume et combine tellement en elle les inconstances, les contradictions et les mobilités de l’autre, qu’elle fait une variété et comme une espèce distincte.

2012. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « M. de Féletz, et de la critique littéraire sous l’Empire. » pp. 371-391

Enfin, Le Moniteur trahissait quelquefois, dans certains articles impétueux, un journaliste d’une nature extraordinaire, qui n’était autre que le Premier consul lui-même. […] Ce Geoffroy pourtant (j’y reviens) était une forte et vigoureuse nature. […] L’abbé Maury et l’abbé Geoffroy, chacun dans son genre et toute proportion gardée, sont deux exemples de natures très grossières, mais qui avaient puissance et talent.

2013. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres et opuscules inédits de Fénelon. (1850.) » pp. 1-21

Saint-Simon était doué d’un double génie qu’on unit rarement à ce degré : il avait reçu de la nature ce don de pénétration et presque d’intuition, ce don de lire dans les esprits et dans les cœurs à travers les physionomies et les visages, et d’y saisir le jeu caché des motifs et des intentions ; il portait, dans cette observation perçante des masques et des acteurs sans nombre qui se pressaient autour de lui, une verve, une ardeur de curiosité qui semble par moments insatiable et presque cruelle : l’anatomiste avide n’est pas plus prompt à ouvrir la poitrine encore palpitante, et à y fouiller en tous sens pour y étaler la plaie cachée. […] Dans le peu qu’on nous donne ici de ses conseils à Mme de Maintenon, il sait mettre le doigt sur les défauts essentiels, sur cet amour-propre qui veut tout prendre sur soi, sur cet esclavage de la considération, cette ambition de paraître parfaite aux yeux des gens de bien, enfin tout ce qui constituait au fond cette nature prudente et glorieuse. […] On y saisit, comme si l’on y était, les habitudes de penser et de sentir, et l’accent juste de cette fine nature.

2014. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Histoire du chancelier d’Aguesseau, par M. Boullée. (1848.) » pp. 407-427

Faut-il maintenant s’étonner qu’au milieu d’une si perpétuelle discipline et sous une couche ainsi accumulée de connaissances les plus diverses, la nature ait été, sinon opprimée, du moins recouverte, et que l’originalité chez d’Aguesseau ne se fasse jamais jour sous l’extrême culture ? […] La correspondance qu’il entretint durant ces années, et les ouvrages qu’il composa, nous le peignent bien dans toute la vérité de sa nature morale et littéraire. […] Il avait reçu de la nature, nous dit son fils, un cœur délicat et sensible, avec un sang vif qui s’allumait aisément ; et, comme la promptitude n’est pas incompatible avec la plus grande bonté, il aurait pu être fort prompt, s’il se fût laissé aller à son tempérament ; mais ce n’était que son visage qui trahissait, malgré lui, une émotion entièrement involontaire.

/ 3301