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512. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « L’abbé Prévost »

Mais ce qui nous donne à songer plus particulièrement et ce qui suggère à notre esprit mille pensées d’une morale pénétrante, c’est quand il s’agit d’un de ces hommes en partie célèbres et en partie oubliés, dans la mémoire desquels, pour ainsi dire, la lumière et l’ombre se joignent ; dont quelque production toujours debout reçoit encore un vif rayon qui semble mieux éclairer la poussière et l’obscurité de tout le reste ; c’est quand nous touchons à l’une de ces renommées recommandables et jadis brillantes, comme il s’en est vu beaucoup sur la terre, belles aujourd’hui, dans leur silence, de la beauté d’un cloître qui tombe, et à demi couchées, désertes et en ruine. […] Sa physionomie ouverte et bonne, la politesse décente de son langage, laissent transpirer à son insu une sensibilité intérieure profondément tendre, et, sous la généralité de sa morale et la multiplicité de ses récits, il est aisé de saisir les traces personnelles d’une expérience bien douloureuse. […] Son christianisme est doux et tempéré, on le voit ; accommodant, mais pur ; c’est un christianisme formel qui ordonne à la fois la pratique de la morale et la croyance des mystères, d’ailleurs nullement farouche, fondé sur la Grâce et sur l’amour, fleuri d’atticisme, ayant passé par le noviciat des jésuites et s’en étant dégagé avec candeur, bien qu’avec un souvenir toujours reconnaissant. […] Il releva avec plus de verdeur les calomnies de l’abbé Lenglet-Dufresnoy ; mais sa justification morale l’exigeait, et on doit à cette nécessité heureuse quelques-unes des explications dont nous avons fait usage sur les événements de sa vie. […] On trouva chez lui un petit papier, écrit de sa main, qui contenait ces mots : Trois ouvrages qui m’occuperont le reste de mes jours dans ma retraite : 1° L’un de raisonnement : — la Religion prouvée par ce qu’il y a de plus certain dans les connaissances humaines ; méthode historique et philosophique qui entraîne la ruine des objections ; 2° L’autre historique : — histoire de la conduite de Dieu pour le soutien de la foi depuis l’origine du Christianisme ; 3° Le troisième de morale : — l’esprit de la Religion dans l’ordre de la société.

513. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Malesherbes. » pp. 512-538

Issu de bonne race, il avait en lui des trésors de santé, de probité, de vigueur intellectuelle et morale, dont il usa sans cesse avec application et qu’il ne laissa point dissiper. […] Défenseur de Louis XVI, qu’il suivit bientôt à son tour avec tous les siens sur l’échafaud, M. de Malesherbes a donné l’un des plus grands exemples de bonté et de grandeur morale : de telles victimes sont encore plus faites pour relever la nature humaine que leurs bourreaux pour la dégrader. […] Quelques-uns de ces amours-propres parlaient au nom de la religion et de la morale ; quelques autres (et ce n’étaient pas les moins aigres) se mettaient en avant au nom du goût : J’ai entendu dire sérieusement, remarquait-il, qu’il est contre le bon ordre de laisser imprimer que la musique italienne est la seule bonne… Je connais des magistrats qui regardent comme un abus de laisser imprimer, sur la jurisprudence, des livres élémentaires, et qui prétendent que ces livres diminuent le nombre des véritables savants. […] Il fallait concilier tous ces devoirs officiels avec la bonté morale et l’équité naturelle dont il n’était pas homme à se départir. […] Un grand et vrai politique ne doit pas être bon comme un particulier ; il doit agir et gouverner en vue des bons et des honnêtes gens, voilà sa morale ; mais, pour cela, il doit croire au mal et aux méchants, y croire beaucoup et s’en défier sans relâche.

514. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre III. »

J’étais ému d’admiration, la première fois que je lisais dans Platon ce témoignage sur l’omniprésence de Dieu et sur sa providence inévitable : « Quand vous seriez caché dans les plus profondes cavernes de la terre, quand vous prendriez des ailes et que vous vous envoleriez au haut des cieux, quand vous fuiriez aux confins du monde, quand vous descendriez au fond des enfers ou dans quelque lieu plus formidable encore, la providence divine y serait près de vous. » Cela me frappait d’une secousse plus vive que l’imagination d’Homère décrivant la marche de ses dieux, « en trois pas, au bout du monde » ; j’y sentais une grandeur morale qui dépasse toute force matérielle. […] C’est qu’il ne s’agit plus là de la sublimité morale proprement dite, de cette sérénité de la raison révélée qui donne un caractère ineffable à quelques-uns des hymnes hébraïques. […] Sous les images de l’infinie grandeur, elle enveloppe la loi morale ; et elle n’éblouit les yeux que pour parler à la conscience. […] Nul doute qu’une éducation à part, la plus sévère, la plus abstinente, la plus morale, la plus poétique, préparait ces hommes ; et, si quelquefois le même don de sagesse et d’enthousiasme, que l’éducation développait en eux, se trouvait ailleurs perdu et comme enfoui dans une existence grossière, là encore parfois il s’éveillait, sous quelque coup du sort et quelque ressentiment des maux de la patrie, comme nous l’atteste l’exemple du prophète Amos, enlevé à ses travaux rustiques pour avertir un roi corrompu d’Israël et protester contre l’idolâtrie de Damas et le schisme de Samarie. […] Si donc, lecteur qui parcourez ces pages par une étude de spéculation et de goût, vous ne voulez jamais oublier le côté sérieux des arts, ce qui touche à l’énergie de l’âme, à la passion du devoir et du sacrifice, à la liberté morale, même pour bien juger les grâces et la puissance du lyrisme hellénique, vous aimerez à réfléchir sur une beauté plus sévère : vous contemplerez cette originalité plus étrangère, plus lointaine pour nous, et cependant incorporée dans notre culte religieux et partout présente, que nous apporte la poésie des prophètes hébreux, de ces prophètes nommés par le Christ à côté de la loi, dont ils étaient, en effet, l’interprétation éclatante et figurée.

515. (1929) Les livres du Temps. Deuxième série pp. 2-509

Même morale dans la Cour du Lion. […] Seulement il estime que tout cela n’est point encore de la morale véritable, parce que ce n’est que de la morale d’intérêt bien entendu. […] Cette sagesse était le fond de la morale grecque. […] La morale religieuse prévoit des sanctions. […] La morale tend à l’uniformité, puisqu’elle veut imposer à tous les mêmes devoirs : de là, peut-être, « le dégoût que la morale inspire aux artistes ».

516. (1853) Histoire de la littérature française sous la Restauration. Tome I

Il ne cache point que la noblesse et le clergé étaient déchus de leur ancienne position morale. […] À cette époque, toutes les fausses doctrines en philosophie, en morale, en politique, en littérature, longtemps proclamées, régnaient audacieusement sur les esprits ignorants ou subjugués. […] Destutt de Tracy en écrivait la métaphysique, Volney la morale, Cabanis la physiologie. […] C’est cependant de ces rapports que dérivent toutes les lois de la société, tous les droits et tous les devoirs qui constituent la morale publique et privée. […] Il faut, pour bien comprendre cette influence de lord Byron, rappeler quelques traits de sa physionomie morale et littéraire.

517. (1716) Réflexions sur la critique pp. 1-296

La bonté morale ne se trouve que dans la vertu, et la bonté poëtique peut se trouver dans le vice même bien imité. […] de la morale. voici la critique que Me D souffre le plus impatiemment. J’ai accusé Homere de n’avoir pas eu de la morale, des idées bien pures ni bien affermies. […] La morale d’un poëme ne consiste pas dans ces maximes semées au hazard dans l’ouvrage, et souvent contradictoires entr’elles. […] Voilà, si je ne me trompe, le vrai caractere de l’iliade, beaucoup de sentences et peu de morale.

518. (1866) Dante et Goethe. Dialogues

Relisez, Élie, ce que raconte à ce sujet votre compatriote Renan dans ses Essais de Morale. […] C’est la plus belle doctrine religieuse et morale qui se puisse concevoir, et jamais elle ne sera dépassée. […] Elle la veut dans la religion, dans l’art, dans la science, dans la philosophie, dans la morale, et si elle ne la peut vouloir encore, elle va du moins la rêver dans la politique. […] Un désintéressement que j’appellerai féminin, tant il me semble naturel à notre sexe, Viviane, élèvera la morale. […] Nous voici loin de la morale de Dante, qui tire toute sa force des tisons de l’enfer et des chansons du paradis.

519. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 3665-7857

Par la même raison un critique en Morale doit avoir en lui, sinon les vertus pratiques, du moins le germe de ces vertus. […] Il n’est donc pas essentiel au critique en Morale d’être vertueux, il suffit qu’il soit né pour l’être ; mais alors, quel métier que celui du critique ? […] ) fiction morale. […] Il n’est donc pas de l’essence de la fable d’être allégorique, il suffit qu’elle soit morale, & c’est ce que le P. le Bossu n’a pas assez distingué. […] Morale.

520. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — P.-S. » pp. 38-40

C’est un prodige que la fécondité de ses vues pour la morale, sa pénétration dans l’esprit et dans le cœur humain, l’application heureuse et juste des exemples et des autorités de l’Écriture, son onction. […] Il n’y a pas de fumée sans feu, et comme dit le proverbe du Midi : « Quelque chose il y a, quand le chien aboie. » Nier tout me paraît donc bien difficile ; j’ai cherché l’explication morale, à la fois la plus douce et la plus naturelle.

521. (1875) Premiers lundis. Tome III «  Chateaubriand »

L’auteur, en retraçant dans la figure de René son propre portrait de jeunesse, son portrait idéalisé, a par là même présenté comme un type de la maladie morale des imaginations à cette époque et pour les générations qui ont suivi. […] Mais René ne s’en tient pas là ; il recommence précisément où Voltaire finit : il fait mentir l’observation morale positive : lui, il désirera surtout ce qu’il ignore.

522. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre VII. De la propriété des termes. — Répétition des mots. — Synonymes. — Du langage noble »

De même, en matière de morale, pour se corriger, il faut dépouiller tout amour-propre, et arracher à ses défauts, à ses vices, les noms spécieux qui les décorent et les déguisent : le péché, nommé de son nom laid et propre de péché, ne tentera plus guère. […] La langue française a le mérite de distinguer les synonymes avec une lumineuse précision : elle le doit en grande partie à ces précieux et à ces premiers académiciens, dont se moquait un peu légèrement Saint-Ëvremond, et aussi à ce goût d’analyse morale qui a poussé tant d’écrivains, tant de gens du monde même, à étudier le cœur humain dans ses plus délicats mouvements et ses plus imperceptibles ressorts.

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