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677. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres inédites de la duchesse de Bourgogne, précédées d’une notice sur sa vie. (1850.) » pp. 85-102

Ces Lettres et cette Notice, qui ont déjà depuis quelques jours une demi-publicité de salon, font partie du volume de Mélanges que la Société des bibliophiles publie pour cette année, et qui paraît en ce moment. […] Elle est entrée, à dater de ce moment, dans une voie de publication plus large, plus ouverte et à la portée de tous ; elle a eu raison. […] La vivacité et les saillies de la princesse dérangeaient bien un peu parfois des conseils si bien concertés par la prudence, et elle sortait à tout moment du cadre qu’on voulait lui faire. […] Avant de se coucher, le roi achève cette importante lettre à Mme de Maintenon, par laquelle il lui rend compte dans le plus grand détail de la personne et des moindres mouvements de la princesse ; c’était l’affaire d’État du moment. […] S’il est permis d’appliquer l’examen à de telles matières, on en peut seulement conclure qu’elle n’avait pas tout dit chaque fois bien en détail au père de La Rue, et qu’il lui coûtait trop d’avoir à réparer avec lui ces omissions légères dans une confession générale, telle que la commande à la conscience des mourants l’approche du moment suprême.

678. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Mme de Genlis. (Collection Didier.) » pp. 19-37

On croira que je me moque, mais laissons-la parler elle-même ; on n’est jamais mieux peint que par soi, du moment qu’on parle et qu’on écrit beaucoup : Cette nouvelle passion, dit-elle de son goût pour les exercices de cheval, ne me fit négliger ni la musique, ni l’étude. […] Mais tout ce qu’elle apprenait là en ce moment, remarquez-le bien, elle le rendra tout à l’heure à d’autres ; car, si elle a la passion d’apprendre, elle a surtout la verve d’enseigner. […] Ce fut un grand moment dans la vie de Mme de Genlis : « Je vis, dit-elle, la possibilité d’une chose extraordinaire et glorieuse, et je désirai qu’elle pût avoir lieu. […] Après sa sortie de France et ses voyages à l’étranger, Mme de Genlis, rentrée à l’époque du Consulat, publia, de 1802 à 1813, quelques ouvrages qui tiennent à sa veine sentimentale et romanesque plus qu’à sa veine pédagogique, et dont quelques-uns ont obtenu un vrai succès : les Souvenirs de Félicie, première esquisse agréable, qu’elle a délayée depuis dans ses intarissables Mémoires ; une nouvelle qui passe pour son chef-d’œuvre, Mademoiselle de Clermont, et quelques romans historiques, La Duchesse de La Vallière, Madame de Maintenon, Mademoiselle de La Fayette : ce fut son meilleur moment. […] Je n’ai le droit d’exprimer aucun jugement personnel sur un prince que la versatilité française est en train d’exalter et d’amplifier pour le moment, après l’avoir précipité ; seulement je sais qu’un jour, pendant cinq courtes minutes, trois académiciens étaient admis en sa présence, et qu’il trouva moyen de leur dire la date de la fondation de l’Académie de la Crusca, ce qu’aucun des trois ne savait ; et il n’était pas fâché de le dire.

679. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le surintendant Fouquet. (Article Fouquet, dans l’Histoire de Colbert, par M. P. Clément.) 1846. » pp. 294-312

S’il avait voulu sauver quelque portion de son crédit et de son pouvoir, il n’aurait pas eu un moment à perdre, et peut-être il était déjà trop tard. […] Tout le monde alors dans les finances faisait des affaires ; le tort de Fouquet fut d’en faire plus qu’un autre, avec profusion, avec scandale, et de ne pas s’apercevoir que le moment était venu où il fallait changer de méthode et compter avec le maître. […] Un moment il parut pressentir le danger : se voyant observé et épié de près par Colbert, et ne pouvant espérer de tout justifier, il fit au roi une fausse confession ; il lui déclara qu’il s’était fait, du vivant du cardinal Mazarin, bien des choses sans que les ordres fussent en bonne forme, demandant absolution et sûreté pour le passé. […] Dix-neuf jours après la fête de Vaux, la Cour était à Nantes, et Fouquet malade de la fièvre venait d’y arriver, lorsque Louis XIV, qui avait tout concerté et pris soin, jusqu’à la fin, de tirer du surintendant les ordonnances de paiement qui étaient nécessaires au service, le fit arrêter par d’Artagnan (5 septembre) au moment même où Fouquet sortait de travailler avec lui. […] Pellisson ne craignit pas de faire allusion à cette circonstance : Balança-t-il un moment, Sire, pour se défaire de la chose du monde qu’il avait toujours tenue pour la plus précieuse ?

680. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1853 » pp. 31-55

La curiosité de ces bureaux était le cabinet de Villedeuil où le directeur du journal avait utilisé la tenture, les rideaux de velours noir à crépines d’argent de son salon de la rue de Tournon, où se donnaient, un moment, toutes bougies éteintes, des punchs macabres. […] En ses moments de loisir, il rédigeait pour le journal : Les Mémoires de Mme Saqui. […] » En ce moment, il eût donné sa voiture avec son cocher et ses chevaux pour être poursuivi. […] Heureusement, Jacques avait un capitaine qui se pâmait d’aise à ses charges, et qui le faisait appeler à tout moment : — Ah ! […] La rivière allait en pente très douce, elle y entrait pas à pas, et quand elle avait de l’eau jusqu’aux genoux, elle était entraînée par le courant… mais, à demi noyée, elle ne perdait pas toute connaissance ; à un moment, elle avait parfaitement le sentiment que sa tête cognait contre un câble tendu et que ses cheveux dénoués se répandaient autour d’elle, et, quand elle entendit un chien sauter à l’eau, de la Verberie, elle éprouvait l’appréhension anxieuse qu’il ne l’empoignât par un endroit ridicule.

681. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre III. Zoïle aussi éternel qu’Homère »

Eschyle et Dante font à tout moment fermer les yeux à ces connaisseurs. […] Il vient un moment où le feu sacré n’est plus à la mode. […] L’aurore elle-même nous semble parfois immodérée ; qui la regarde en face, souffre ; l’œil, à de certains moments, pense beaucoup de mal du soleil. […] À tout moment, l’imprévu. […] Ce contact des extrêmes fait loi dans la nature où éclatent à tout moment les coups de théâtre du sublime.

682. (1912) L’art de lire « Chapitre VIII. Les ennemis de la lecture »

Corneille, direz-vous, au moment même de la plus grande vogue de Racine, a fait Psyché. […] Quand on peint son héros, on peint son idéal, et l’idéal que l’on a, on se croit toujours un peu, on se croit du moins par moment, de force à le réaliser. […] Du moment qu’elle est cela, l’auteur est toujours un peu un ennemi et lui-même a à remporter sur l’amour-propre une victoire. […] C’est qu’aux yeux de la génération qui existe à ce moment-là, l’écrivain qui vient de disparaître est suranné ; il était un peu vieux ; on en avait assez de sa manière. […] N’attendez pas pour faire commerce avec lui le moment intermédiaire où il sera mauvais.

683. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre IX : M. Jouffroy écrivain »

Les heures de la nuit s’écoulaient, et je ne m’en apercevais pas ; je suivais avec anxiété ma pensée, qui de couche en couche descendait vers le fond de ma conscience, et, dissipant l’une après l’autre toutes les illusions qui m’en avaient jusque-là dérobé la vue, m’en rendait de moment en moment les détours plus visibles ! […] Ce moment fut affreux, et, quand vers le matin je me jetai épuisé sur mon lit, il me sembla sentir ma première vie, si riante et si pleine, s’éteindre, et derrière moi s’en ouvrir une autre sombre et dépeuplée, où désormais j’allais vivre seul, seul avec ma fatale pensée qui venait de m’y exiler et que j’étais tenté de maudire. […] Presque tous nos moments de gaieté nous viennent du contact changeant de nos semblables, ou du spectacle changeant de la nature. […] Les conversions complètes, quand elles se font tard, laissent l’âme à jamais malade ; à vingt ans on est déjà trop vieux pour devenir philosophe ; celui qui quitte sa religion doit la quitter de bonne heure ; après ce moment, on ne peut plus la déraciner sans ébranler tout le sol.

684. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XIV : De la méthode (Suite) »

À ce moment, il ne rencontre pas d’images ; il n’est occupé qu’à discipliner et à lancer sur l’adversaire la meute acharnée de ses démonstrations. […] Après avoir classé les parties et les opérations de ce corps vivant, et considéré quelque temps leurs rapports et leurs suites, je dégage un fait général, c’est-à-dire commun à toutes les parties du corps vivant, et à tous les moments de la vie : la nutrition ou réparation des organes. […] Accordez qu’on le puisse ; peu importe en ce moment qu’on la dérive de lui, ou qu’on dérive elle et lui de quelque autre chose. […] C’est à ce moment que l’on sent naître en soi la notion de la Nature. […] Toute vie est un de ses moments, tout être est une de ses formes ; et les séries des choses descendent d’elle, selon des nécessités indestructibles, reliées par les divins anneaux de sa chaîne d’or.

685. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « LEOPARDI. » pp. 363-422

A un certain moment, Leopardi songea sérieusement à venir habiter en France ; il croyait que ce n’est que là encore qu’on peut vivre hors de la patrie138. […] La langue italienne a cela de particulier, d’avoir offert, depuis cinq siècles, plusieurs moments vrais de renaissance ; elle le doit à ce qu’à ses débuts elle eut le bonheur de compter des chefs-d’œuvre. […] Cependant je me dis ce qui me reste à vivre, Je cherche quand viendra le moment qui délivre, Et je me jette à terre et j’étouffe mes cris. […] Tout est paix et silence, et le monde aujourd’hui Ne s’informe plus d’eux qu’à ses moments d’ennui. […] Ruysch éveillé regarde à travers les fentes de la porte, il a un moment de sueur froide malgré toute sa philosophie ; il entre pourtant : « Mes enfants, à quel jeu jouez-vous ?

686. (1864) Cours familier de littérature. XVII « XCIXe entretien. Benvenuto Cellini (1re partie) » pp. 153-232

Je repris mes liaisons avec François di Philippo ; car ma maudite flûte me laissait toujours quelques moments de nuit et de jour pour dessiner. […] Arrivé à Rome au moment du conclave qui venait d’élever à la papauté Clément VII, il y entra comme apprenti dans la boutique du fameux orfèvre nommé Santi. […] « Je restai encore quelques moments chez M.  […] Ce jeune homme vertueux et sage baissa les yeux, et garda un moment le silence ; puis il me dit avec assurance : Je le veux bien, marchons ! […] « C’était au milieu de ces tristes pensées que le sommeil vint un moment s’emparer de moi.

687. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Herbert Spencer — Chapitre II : La psychologie »

L’être vivant saisit d’abord les séquences mécaniques les plus simples et les plus courtes ; puis il en vient, par des conquêtes successives, à s’ajuster à des périodes de plus en plus longues ; il prend possession de l’avenir ; il prévoit les événements futurs, comme le chien qui cache un os pour le moment où il aura faim de nouveau. […] Mais l’instinct, à mesure qu’il croît en complexité, marche à sa fin ; car à mesure que les instincts deviennent plus élevés, les divers changements psychiques qui les composent deviennent moins cohérents, se coordonnent d’une manière de moins en moins parfaite ; et il doit venir un moment où leur coordination ne sera plus régulière. […] « Il est assez naturel que le sujet de tels changements psychiques dise qu’il veut l’action ; car, considéré au point de vue psychique, il n’est en ce moment rien de plus que l’état de conscience composé par lequel l’action est excitée. […] Pour qu’il puisse y avoir des matériaux pour la pensée, il faut qu’à chaque moment la conscience soit différenciée dans son état. […] La petite différenciation et intégration qui se produisent de moment en moment, aboutissent à ces différenciations et intégrations plus importantes, qui constituent le progrès mental.

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