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2054. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre II. La qualité des unités sociales. Homogénéité et hétérogénéité »

Ne faut-il pas, pour que nous traitions un homme en égal, d’abord qu’il puisse agir sur nous comme nous pouvons agir sur lui, que nous puissions ensuite, lorsque nous comparons ses actions aux nôtres, nous mettre en quelque sorte à sa place, qu’il y ait en un mot, dans notre esprit ou dans celui d’un tiers, possibilité de nous « substituer » l’un à l’autre ? […] En ce sens le christianisme fut bien une grande école d’égalité ; l’égale participation à ses sacrements mettait les serfs sur le même pied que les maîtres. […] Gardons-nous de retomber à ce propos dans l’erreur cent fois énoncée qui « met la charrue avant les bœufs » : une société ne peut naître de contrats entre individus ; les contrats entre individus supposent au contraire, pour être valables et produire un effet social, l’existence d’une société selon les règles de laquelle ils sont formulés et par la puissance de laquelle, une fois formulés, ils sont garantis. […] L’une et l’autre mettent un même fait en lumière : l’effacement des types spécifiques et collectifs. […] On ne met rien au-dessus de la liberté de conscience.

2055. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Valentine (1832) »

encore un talent, me disais-je, que la rapacité des libraires et du public, que cette impatience d’une époque où rien ne mûrit, où tout se dévore, va mettre au pillage sans doute, et dont les semences précieuses iront chaque matin au vent ; car de nos jours, dans les Lettres autant qu’ailleurs, il semble que tout soit devenu le prix de la vitesse et de l’empressement. […] Quant à Mme ou Mlle Louise, il est évident, à sa mise négligée, qu’elle n’ira pas. […] Bénédict n’est pas amoureux de Mlle Louise, bien qu’il se soit mis cela dans la tête depuis deux ou trois jours, et qu’il ait déjà essayé de le lui faire entendre. — Mais ce n’est pas un récit que je veux faire.

2056. (1875) Premiers lundis. Tome III « Instructions sur les recherches littéraires concernant le Moyen Âge »

Dans les traductions sans nombre qui se firent alors des auteurs grecs en latin et en français, certaines traductions inédites pourraient être utiles, sinon à mettre au jour, du moins à examiner. L’imprimerie n’a pas mis au jour, autant qu’il serait naturel de le croire, tous les écrits importants des savants du xvie  siècle et du xviie . […] Vous mettrez une égale importance à tous manuscrits étendus en vers, quel qu’en soit le titre ; aux voyages, aux écrits satiriques désignés sous le nom de Bibles ; à ceux qui s’intitulent Bestiaires, Volucraires, Lapidaires, ou qui s’offriraient sous des titres latins ; aux espèces de compilations scientifiques, comme l’Image du monde ; aux grands ouvrages allégoriques du genre du Roman de la Rose ; aux grands apologues, aux branches nouvelles qu’on pourrait retrouver du célèbre Roman de Renart, par exemple.

2057. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XIX. Progression croissante d’enthousiasme et d’exaltation. »

» — « Seigneur, lui répond cet homme, laisse-moi d’abord aller ensevelir mon père. » Jésus reprend : « Laisse les morts ensevelir leurs morts ; toi, va et annonce le règne de Dieu. » — Un autre lui dit : « Je te suivrai, Seigneur, mais permets-moi auparavant d’aller mettre ordre aux affaires de ma maison. » Jésus lui répond : « Celui qui met la main à la charrue et regarde derrière lui, n’est pas fait pour le royaume de Dieu 887. » Une assurance extraordinaire, et parfois des accents de singulière douceur, renversant toutes nos idées, faisaient passer ces exagérations. « Venez à moi, criait-il, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous soulagerai. […] Je suis venu mettre la division entre le fils et le père, entre la fille et la mère, entre la bru et la belle-mère.

2058. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXII. Machinations des ennemis de Jésus. »

Les disciples racontèrent le fait avec des détails de mise en scène combinés en vue de l’argumentation. […] Kaïapha ne faisait rien que par lui ; on s’était habitué à associer leurs noms, et même celui de Hanan était toujours mis le premier 1027. […] La haine inintelligente de ses ennemis décida du succès de son œuvre et mit le sceau à sa divinité.

2059. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre VII » pp. 56-69

C’est ce caractère qui crie : Qui es-tu, malheureux, qui oses mettre la main sur Caïus Marins ? […] L’auteur annonce, au début, qui y reprend ce qui a déjà été dit entre eux, pour en faire un tout avec ce qu’il va ajouter, « La gloire et les triomphes de Rome, lui dit, l’auteur, ne suffisent pas à votre curiosité ; elle me demande quelque chose de plus particulier et de moins connu ; après voir vu les Romains en cérémonie, vous les voudriez voir en conversation et dans la vie commune… Je croyais, en être quitte pour vous avoir choisi des livres et marqué les endroits qui pouvaient satisfaire votre curiosité ; mais vous prétendez que j’ajoute aux livres… La volupté qui monte plus haut que les sens, cette volupté toute chaste et tout innocente, qui agit sur l’âme sans l’altérer, et la remue ou avec tant de douceur qu’elle ne la fait point sortir de sa place, ou avec tant d’adresse qu’elle la met en une meilleure, cette volupté, madame, n’a pas été une passion indigne de vos Romains. […] « À qui furent-ils plus nécessaires et plus utiles qu’à Auguste, pour éloigner de son imagination les débauches de sa fille, la défaite de ses légions, la révolte des provinces, et pour apaiser et mettre en repos cette partie impatiente de son âme qui se tourmentait et veillait sans cesse ?

2060. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXII » pp. 222-236

Mademoiselle de Montpensier rapporte à la page déjà citée que peu après les propos dont elle réprimanda Montespan, « madame de Montausier étant dans un passage derrière la chambre de la reine, où l’on met ordinairement un flambeau en plein jour, elle vit une grande femme qui venait droit à elle, et qui, lorsqu’elle en fut proche, disparut à ses yeux, ce qui lui fit une si vive impression dans la tête et une si grande crainte qu’elle en tomba malade. » Le duc de Saint-Simon raconte ce fait singulier et mystérieux d’une manière plus significative. Selon lui, quelque temps après la scène que fît Montespan à madame de Montausier, « cette dame descendant, avec son écuyer et ses gens, un petit degré pour aller de chez elle chez la reine, elle trouva une femme assez mal mise qui l’arrêta, lui fit des reproches sanglants sur madame de Montespan, et lui parla même à l’oreille. […] Il semble assez simple d’imaginer que cette femme mal mise , qui ressemblait à un fantôme, qui attendait madame de Montausier dans un passage obscur , pour lui faire des reproches sanglants sur madame de Montespan , n’était autre que Montespan lui-même, pressé du besoin de se venger, par un nouvel outrage sur la dame d’honneur, qu’il avait accusée hautement chez elle-même de son malheur.

2061. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 22, que le public juge bien des poëmes et des tableaux en general. Du sentiment que nous avons pour connoître le mérite de ces ouvrages » pp. 323-340

Raisonne-t-on, pour sçavoir si le ragoût est bon ou s’il est mauvais, et s’avisa-t-on jamais, après avoir posé des principes géometriques sur la saveur, et défini les qualitez de chaque ingrédient qui entre dans la composition de ce mets, de discuter la proportion gardée dans leur mélange, pour décider si le ragoût est bon ? […] Les peintres mêmes diront qu’il est en eux un sentiment subit qui dévance tout examen, et que l’excellent tableau qu’ils n’ont jamais vû, fait sur eux une impression soudaine qui les met en état de pouvoir, avant aucune discussion, juger de son mérite en general : cette premiere apprehension leur suffit même pour nommer l’auteur du tableau. […] Ainsi Monsieur Pascal n’y avoit pas encore assez refléchi quand il mit sur le papier, que ceux qui jugent d’un ouvrage par les regles, sont à l’égard des autres hommes, comme ceux qui ont une montre sont à l’égard de ceux qui n’en ont point, quand il est question de sçavoir l’heure.

2062. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre VIII. Suite du chapitre précédent. De la parole traditionnelle. De la parole écrite. De la lettre. Magistrature de la pensée dans ces trois âges de l’esprit humain » pp. 179-193

Magistrature de la pensée dans ces trois âges de l’esprit humain Dans l’ordre naturel des idées, ce chapitre ainsi que le précédent devraient se trouver après celui où je me propose de développer la théorie de la parole ; mais il faut que j’intervertisse cet ordre naturel des idées, pour me soumettre à un plan non moins impérieux, qui consiste à mettre de suite tout ce qui peut amener à comprendre le caractère de l’âge actuel. […] Il n’y a pas très longtemps que l’Europe a secoué le joug de la langue latine, par laquelle les rédacteurs des lois et les dépositaires de la science mettaient une barrière entre eux et les peuples, ce qui était toujours une manière de remplacer la parole traditionnelle. […] Nous avons vu, de nos jours, ce que l’on peut faire avec et contre l’imprimerie, lorsqu’un ministre de la police étend un œil inquisiteur sur toute la scène où s’exerce le mouvement des idées, et peut mettre la pensée en état de blocus continental.

2063. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre II. Mme Le Normand »

Mais je n’appelle pas des lettres, moi, ni vous non plus, n’est-ce pas : « Madame, je dîne à six heures ; apportez-moi mon bonnet » ; ou : « Je me mets aux pieds de votre Altesse et la prie d’agréer tous mes respects » ? […] Quand, en 1812, on cria contre les Français au théâtre de Moscou et qu’on la fit, comme Française, sortir de sa loge, elle se mit à pleurer à sanglots, comme une petite fille, cette forte personne taillée dans ce marbre bistré qu’on reprochait à son teint ! […] Guizot, qui raconte qu’un jour, en l’entendant réciter une phrase de Chateaubriand, Mme de Staël, s’avisant, se mit à crier qu’il jouerait supérieurement la tragédie, ce qui est comique, et lui proposa le rôle de Pyrrhus ou d’Oreste dans Andromaque, ce qui aurait été bien plus comique encore, s’il avait accepté !

2064. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Les Kœnigsmark »

Il n’est, ajustement parler, qu’une destinée, mais les êtres volontaires, passionnés et forts, qui l’ont faite, cette destinée, se relèvent en même temps que ce cadavre quand on le met sur ses deux pieds, et viennent tout à coup se ranger autour de lui comme dans sa vie, — comme, dans Shakespeare, les victimes autour de Richard III. […] Voilà, en aussi peu de mots que possible, le sujet touché par Blaze de Bury, la tragédie mise par lui en camée et à laquelle il fallait laisser ses colossales proportions. […] Après la mort cachée de Kœnigsmark (madame de Platen avait fait disparaître le cadavre), Sophie-Dorothée fut mise en jugement pour adultère, et elle proposa un duel effroyable à la comtesse son accusatrice.

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