II L’esprit scientifique et la méthode de l’histoire littéraire Conférence faite à l’Université de Bruxelles Mesdames, Messieurs, Lorsque Boileau se constituait le défenseur des anciens contre Perrault et ses amis, le docte Huet déniait à ce poète si médiocrement érudit qu’il eût qualité pour le faire, et lui disait en le voyant s’échauffer : « Monsieur Despréaux, il me semble que cela nous regarde plus que vous. » J’ai peur, Mesdames et Messieurs, qu’en venant discourir ici sur la méthode scientifique moi dont la culture et l’étude sont entièrement littéraires j’ai peur que mes deux illustres compatriotes qui sont ici, le mathématicien Poincaré et le biologiste Le Dantec, ne me tirent par la manche et ne me disent : « Mon cher collègue, cela nous regarde plus que vous. » Ce n’est qu’avec beaucoup de discrétion et de réserves que j’ose transporter cette notion de méthode scientifique à l’histoire littéraire, et il faut d’abord que je précise brièvement en quel sens et dans quelle mesure nous osons prétendre que nous faisons du travail scientifique. […] C’est avouer que, nulle mesure extérieure, nulle logique même ne pouvant saisir la beauté, rien ne pouvant ici remplacer la réaction du sentiment esthétique, il y aura toujours dans nos études une part fatale et légitime d’impressionnisme. […] Nous avons trop postulé la conformité des faits à nos déductions, trop réduit la beauté de la nature et de la vie, la puissance du génie humain, à la mesure de nos partis-pris. […] On en pénètre mieux le caractère, on en suit plus exactement le dessin, à mesure que les documents sont rassemblés en plus grand nombre et critiqués plus sévèrement, à mesure que l’on élargit et que l’on assure mieux les bases sur lesquelles portent les généralisations. D’autre part, les définitions du génie des grands écrivains, les idées sur la formation et sur l’action des grandes œuvres se précisent aussi et en quelque mesure se fixent.
Les comités créés dans son sein et chargés des mesures administratives, financières et militaires, reçoivent d’elle un nouveau ressort et une force plus illimitée. […] Au bruit des succès croissants des coalisés, la Convention proclame en vigueur sur tout l’empire les mesures extraordinaires que le pouvoir militaire applique aux villes en état de siège, et les exagère encore, proportionnant leur portée à une si large étendue. « Il fallait à la fois, dit l’historien, mettre la population debout, la pourvoir d’armes, et fournir, par une nouvelle mesure financière, à la dépense de ce grand déplacement ; il fallait mettre en rapport le papier-monnaie avec le prix des subsistances et des denrées ; il fallait disposer les armées, les généraux, convenablement à chaque théâtre de la guerre, et enfin satisfaire la colère révolutionnaire par de grandes et terribles exécutions. » De là, d’abord, la levée en masse, la mise en disponibilité de la population entière, et cet inépuisable fond d’armée nationale, dans laquelle se recrutaient les autres ; armée majestueuse, solennelle, échelonnée par rang d’âge et mise en ordre de bataille par générations. […] Jusque-là, les mesures avaient été unanimes et spontanées, du moins de la part de la Convention ; Cambon avait parlé comme Saint-Just, et Danton comme Robespierre.
Les ancêtres de l’homme furent des animaux aquatiques analogues aux poissons : ils habitaient les eaux bourbeuses et s’habituèrent lentement à vivre sur la terre ferme à mesure que le soleil la desséchait. […] L’humanité conçoit, obscurément d’abord, plus clairement à mesure qu’elle avance, un idéal de science, de justice, de perfection. […] Et qu’est-ce au fond que cette idée de parfait, principe et mesure de nos jugemens moraux, sinon l’idée de Dieu ? […] A côté des hypothèses téméraires, des généralisations sans mesure, apparaît déjà, timidement il est vrai, la véritable observation. […] Toujours il est vrai que les organes ont dû s’adapter entre eux et aux conditions des milieux pour assurer dans la mesure du possible la victoire de la vie sur la mort.
Elle devient d’ailleurs de plus en plus difficile à mesure que nous pénétrons plus avant dans les profondeurs de la conscience. […] On mesure la vitesse d’un mouvement, ce qui implique que le temps lui aussi, est une grandeur. L’analyse même que nous venons de tenter demande à être complétée, car si la durée proprement dite ne se mesure pas, qu’est-ce donc que les oscillations du pendule mesurent ? […] Et à mesure que l’on fera décroître les deux intervalles M′ M et MM”, à mesure aussi diminuera la différence entre les deux vitesses des mouvements uniformes correspondants. […] Mais à mesure que se réalisent plus complètement les conditions de la vie sociale, à mesure aussi s’accentue davantage le courant qui emporte nos états de conscience du dedans au dehors : petit à petit ces états se transforment en objets ou en choses ; ils ne se détachent pas seulement les uns des autres, mais encore de nous.
S’il n’y avait pour embellir l’univers que le poids, le nombre et la mesure, il nous laisserait presque indifférents. […] La poésie lyrique a de nos jours remplacé l’épopée ; faut-il s’en affliger outre mesure ? […] Aussi, pour comprendre la rime, faut-il y voir tout autre chose que la simple répétition du même son ; elle est un moyen de marquer la mesure, elle est la mesure devenue sensible et vibrante à l’oreille. […] Elle ne fut d’abord qu’une simple assonance, puis alla se perfectionnant avec le sentiment même de la mesure. […] Si en musique le contre-temps supprimait la vraie mesure, ce ne serait plus un contre-temps ; c’est son irrégularité même qui explique son effet psychologique, et cette irrégularité n’existe que par comparaison avec la règle, c’est-à-dire la mesure toujours maintenue.
Est-il, en effet, un romancier dont la méditation eût pu mieux flatter, s’il ne se fût si tôt perverti, ce goût cérébral très accentué qui a failli se généraliser pour une mesure presque savante d’expression, de portée et d’intérêt ? […] Mais, sans doute, à une idée aussi hardie, et qui a essayé de s’affirmer avec tant d’éclat, il conviendrait mal, aujourd’hui, de se voir simplement ramener à la mesure du résultat acquis. […] France, aussi délicieusement puéril, dans sa bonhomie d’écrivain notoire, que finement éclairé, à sa mesure, du sourire d’ironie qui a plissé les lèvres de Voltaire, et peut-être des lèvres plus antiques, et d’humanité moins complexe, celles, non d’Épicure, mais de Pyrrhon ? […] Que resserré plus ou moins étroitement entre ces diverses digues mentales, l’esprit soif en mesure d’atteindre à la pensée et de la rendre avec un égal mérite, cela ne se pourrait imaginer. […] N’est-elle pas la mesure des choses, et leur lien, et leur proportion, et jusqu’à leur sens même ?
Est-elle favorisée ou contrariée par elles et dans quelle mesure ? […] Mais il n’y a pas de commune mesure entre ces deux choses. […] Puisque l’esprit supérieur s’identifie à l’esprit vulgaire, il est supérieur précisément dans la mesure où il s’assimile davantage à l’esprit de la masse. […] Celles-ci vont se consolidant en nous, à mesure que le besoin de sentir et de penser par soi-même s’affaiblit, faute de s’exercer. […] Et ce n’est que dans la mesure où cette conformité psychologique existe entre les individus qu’ils seront contraints d’admettre les mêmes vérités.
Maintenant il faut que ma pensée se suffise à elle-même, pour se développer, ou pour se modifier au besoin, à mesure que j’avancerai. […] À mesure que nous avançons dans la civilisation, à mesure que notre éducation sociale se perfectionne, en un mot à mesure que le genre humain se développe, la pensée va s’affranchissant, de plus en plus, des liens de la parole : tel est, en effet, le résumé de ma théorie de la révélation du langage. […] Mais à mesure que les mots se créent, que les conjugaisons et les déclinaisons s’établissent, enfin que les formes grammaticales s’organisent, les idées, les pensées (liaisons d’idées), passent dans le domaine de la parole, se fixent dans l’ordre des signes vocaux ; « Et la pensée devient, de plus en plus, dépendante de la parole.
Au contraire, que sous la pression de circonstances durables ou passagères, elle ressente le besoin d’imposer à tous un conformisme rigoureux, tout ce qui peut provoquer outre mesure l’initiative des intelligences sera proscrit63. » Ainsi donc, il y aura d’après M. […] Maintenant dans quelle mesure cette intervention est-elle efficace ? […] L’enfant apporte des dispositions innées que l’école ne peut modifier que dans une mesure fort limitée. […] À l’école, on s’élève contre la ruse, l’intrigue, la roublardise ; dans la vie, à peu près tout le monde use de ces moyens dans la mesure de ses forces et est plein d’estime pour ceux qui réussissent grâce à eux. […] Mais l’influence de l’éducation, quoique très limitée, n’est pas nulle, et dans la mesure où elle agit, elle est ou elle tente d’être une mainmise de la société sur l’individu.
Mais quels que soient ces succès, il sera fort difficile d’obtenir jamais la mesure objective des émotions causées par une œuvre d’art, par la raison que ces émotions, comme les autres, sont subjectives et ne possèdent pas de valeur stable, qui ne varie pas suivant la nature du lecteur, du spectateur, de l’auditeur. […] Car cette mesure fournirait simplement l’indice émotionnel du lecteur ainsi pris au hasard et non l’indice émotionnel de l’œuvre, toujours la même et produisant sans cesse des effets différents. […] Ici l’examen des effets émotionnels demeurant le même, celui des particularités de style devra être complété par des considérations sur le rythme, et approfondi à la mesure de l’importance de la forme, des mots, des idées verbales dans les œuvres de cette sorte. […] Ces objections ne nous semblent valables que dans une très faible mesure. […] Ce dernier, héritier des travaux de Gustav-Theodor Fechner (1801-1887), et du physiologiste Franciscus Donders (1818-1889), mena une enquête d’orientation physiologique sur la mesure des faits psychiques.
À prendre des procédés d’observation et d’expérimentation qu’on pratiquait déjà, et, plutôt que de les appliquer dans toutes les directions possibles, à les faire converger sur un seul point, la mesure — la mesure de telle ou telle grandeur variable qu’on soupçonnait être fonction de telles ou telles autres grandeurs variables, également à mesurer. […] La physique suscita la chimie, elle aussi fondée sur des mesures, sur des comparaisons de poids et de volumes. […] Elle vise essentiellement à mesurer ; et là où le calcul n’est pas encore applicable, lorsqu’elle doit se borner à décrire l’objet ou à l’analyser, elle s’arrange pour n’envisager que le côté capable de devenir plus tard accessible à la mesure. Or, il est de l’essence des choses de l’esprit de ne par, se prêter à la mesure. […] Elle aurait essayé d’appliquer à ce nouvel objet ses méthodes habituelles, et elle n’aurait eu sur lui aucune prise, pas plus que les procédés de calcul et de mesure n’ont de prise aujourd’hui sur les choses de l’esprit.