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511. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIIe entretien. L’Imitation de Jésus-Christ » pp. 97-176

Des myriades d’hommes qui ont traversé la terre depuis qu’elle tourne, montrez-m’en un seul qui ait indéfiniment progressé, un seul dont un cheveu n’ait pas blanchi, un seul qui ait ajouté à son être un organe nouveau, un poil, une plume, un atome de raison ou de matière ! La raison et la matière sont à Dieu, et non à l’homme. […] La matière seule a progressé, mais elle est toujours matière, c’est-à-dire obstacle et non moyen.

512. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Gustave Flaubert. Étude analytique » pp. 2-68

Flaubert connaît les termes techniques des matières dont il traite ; dans Salammbô et la Tentation, les langues anciennes, de l’hébreu au latin, aident à désigner en paroles propres les objets et les êtres. […] Le réalisme : Le réalisme, qu’il faut définir la tendance à voir dans les objets dénués de beauté matière à œuvre d’art, est poussé chez Flaubert à ses extrêmes limites, et, en fait, certains côtés extérieurs de Madame Bovary et de L’Éducation n’ont pas été dépassés par les romanciers modernes. […] J’ai passé tout le mois de juin à étudier le bouddhisme, sur lequel j’avais déjà beaucoup de notes, mais j’ai voulu épuiser la matière autant que possible. […] Quand j’aurai à peu près épuisé la matière, j’irai au Muséum rêvasser devant les monstres réels, et puis les recherches pour le bon saint Antoine seront finies. » Enfin, M. 

513. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sénac de Meilhan. — I. » pp. 91-108

Cette multitude d’aperçus et de premiers jets ressemble à la conversation d’un homme de beaucoup d’esprit, qui se lance dans tous les sens, brille, se répand et improvise sur des matières qui lui sont familières, sans but déterminé : « C’est que rien, disait M. de Meilhan parlant de lui-même, n’a jamais fait effet sur moi comme vrai, mais seulement comme bien trouvé. » La seule idée fixe est de combattre et de contredire M.  […] La propagation des lumières, la foule innombrable d’écrits, les journaux, les commentaires sur les grands écrivains, les extraits, les dissertations critiques ont formé un dictionnaire général d’idées, de résultats, de jugements où chacun peut trouver à s’assortir et puiser la matière d’un ouvrage, en changeant, décomposant, délayant.

514. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le président Jeannin. — III. (Fin.) » pp. 162-179

Chaque difficulté était reportée aux États-Généraux ou au jugement particulier des provinces, et devenait matière à discussion publique. […] Dans ses derniers projets d’expédition et de guerre à l’étranger, il l’invitait en riant à se pourvoir d’une bonne haquenée pour l’accompagner et le suivre en toute entreprise. — Un jour qu’il y avait eu une indiscrétion commise sur quelque matière d’État, il prenait Jeannin par la main, en disant aux autres membres du Conseil : « Messieurs, c’est à vous de vous examiner ; pour moi, je réponds du bonhomme. » La carrière du président Jeannin semble remplie et comblée dans sa mesure, et pourtant il resterait encore tout un chapitre à y ajouter.

515. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Divers écrits de M. H. Taine — II » pp. 268-284

Au second chapitre de la Genèse, il est dit d’Adam « que le Seigneur Dieu ayant formé de la terre tous les animaux terrestres et tous les oiseaux du ciel, il les amena devant Adam, afin de voir comment il les appellerait : et le nom qu’Adam donna à chacun des animaux est son nom véritable. » Mais cette langue primitive d’Adam est perdue ; et puis il s’agit ici de nommer les pareils d’Adam, ou, pour ne pas sortir de notre ton et de notre sujet, il s’agit de trouver une juste nomenclature à des esprits et des talents humains, matière essentiellement ondoyante et flottante, diversité et complication infinie. […] Les matières, les opinions changent, le procédé reste le même.

516. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Correspondance de Buffon, publiée par M. Nadault de Buffon » pp. 320-337

Buffon lui accorde le génie créateur qui tire tout de sa propre substance : « Il n’existera jamais, lui dit-il, de Voltaire second » ; c’était une réplique au compliment de Voltaire qui avait appelé Archimède de Syracuse Archimède premier, pour donner à entendre que Buffon était Archimède second ; et faisant ainsi à son rival de Ferney les honneurs du génie, Buffon ne se réserve pour lui que le talent, lequel, si grand qu’il soit, dit-il, « ne peut produire que par imitation et d’après la matière. » Cette lettre à Voltaire, comme plus tard celles qui seront adressées à l’impératrice Catherine, passe la mesure ; Buffon y est deux fois solennel ; il y fait de la double et triple hyperbole, et l’homme qui, à son époque, avait le plus de sens et de jugement, nous fait sentir par là que ces qualités solides d’une éminente intelligence ne sont pas du tout la même chose que le tact et le goût. […] Autant qu’il m’est permis d’avoir un avis en telle matière, je ne trouve pas que Buffon ait en rien manqué à la reconnaissance ni à l’hommage qu’il leur devait, et que, ce me semble, il leur a très équitablement payés en temps et lieu convenable : ce qui n’empêche pas qu’après coup il ne soit intéressant de se rendre mieux compte des services qu’il a dus à chacun d’eux.

517. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Louis XIV et le duc de Bourgogne, par M. Michelet »

Chez lui, du moins, il y avait du ressort, tandis que son père, — cet élève de Montausier et de Bossuet, n’était que matière, masse épaisse et indolente. […] Il reconnut aussitôt à quel point la matière sur laquelle il allait avoir à travailler était bouillante et rebelle, d’autant plus, dangereuse qu’elle était pleine d’esprit et comme pétrie de salpêtre et de feu.

518. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Les Saints Évangiles, traduction par Le Maistre de Saci. Paris, Imprimerie Impériale, 1862 »

On se mit donc à l’œuvre avec émulation et zèle ; l’honneur de l’Imprimerie Impériale était en jeu ; chacun le sentait ; chacun, dans cette sphère laborieuse où le ressort est intact comme dans une armée, fit son devoir à l’envi, depuis le chef des travaux typographiques jusqu’au dernier pressier, et l’on arriva à temps sans que l’œuvre produite accusât en rien la précipitation et sans qu’elle éveillât chez les connaisseurs en telle matière d’autre sentiment que celui d’une approbation sans réserve pour une exécution si parfaite. […] Puis, quand la doctrine fut sortie de dessous terre et eut levé en mille endroits à la fois, comment devint-elle en peu d’années un ferment et une matière politique, un danger ou une ressource, une force avec laquelle il fallut compter et qui, non sans se modifier elle-même quelque peu dans le sens social, s’imposa enfin aux Empereurs eux-mêmes ?

519. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « La Grèce en 1863 par M. A. Grenier. »

Chateaubriand, qui visitait la Grèce en 1806, en avait rapporté la matière et le souffle des meilleures pages des Martyrs et de l’Itinéraire. […] Il n’eût pas mieux fait, a remarqué un grand juge en cette dernière matière, s’il avait eu sous les yeux le journal d’Agamemnon.

520. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Entretiens sur l’architecture par M. Viollet-Le-Duc »

Viollet-Le-Duc de la ville éternelle peut sembler un peu légère à ceux qui ont en ces matières assez de religion pour ne pas oser s’avouer à eux-mêmes tout leur sentiment, la seconde impression est la bonne, la véritable, et il l’a reproduite dignement, en mainte page de son œuvre, par le crayon ou par la parole. […] Sont-ce là, en un mot, des spécialités inhérentes à la race, et les différences en ce genre tiennent-elles à une autre cause qu’à l’état des matières premières qu’on avait sous la main dans des lieux différents ?

521. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite et fin.) »

Mais en faisant la part du convenu en telle matière et de la cocarde obligée, il y a chez lui de la fraîcheur et de la veine. […] — Mais il faut finir ; il y a un moment où, en tout sujet, on doit prononcer la clôture : Claudite jam rivos… Et la meilleure raison pour s’arrêter en pareille matière est celle qu’a donnée le roi des lyriques, Pindare : « On se rassasie même du miel, même des fleurs. » 55.

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