III J’ai, quelques lignes plus haut, écrit le nom d’Edmond About. […] Entre autres monstruosités, vous y verrez ceci : « Le style n’existe pas plus sans l’idée que l’idée sans le style. » Et encore : « Traitez votre pensée comme Dieu traite ses montagnes, — du granit dessous, des fleurs dessus (pages 92 et 95). » La doctrine romantique sur l’idée et le style est tout entière dans ces deux lignes. […] Je restais là, les yeux fixes, choqué de cette inconvenance, lorsque tout à coup… Il m’a semblé voir, à travers la brume qui montait de mon cigare, les lignes trembler sur le papier et s’agiter d’une façon tout à fait insolite, et des phrases entières rouler sur elles-mêmes… Ô spectacle saugrenu !
Qu’on ne s’attende donc point ici à une apologie personnelle : l’auteur de ces lignes tâchera de se dissimuler le plus qu’il pourra et n’a pas d’autre but que de formuler une conclusion de doctrine. […] Maurice Barrès, qui s’y connaît, me dit un jour une chose qui m’a frappé : « Plus je réfléchis, plus je suis convaincu que les grands écrivains sont ceux qui ont trouvé leur rythme. » Le rythme serait donc la ligne totale d’une phrase, sa forme arrêtée et définitive, l’ensemble de sa cohésion parfaite. […] Des prosateurs célèbres ont eu pour amis des juges très compétents qui n’avaient jamais écrit une ligne.
Elle dérive en droite ligne du cartésianisme. […] Mais le réalisme consiste précisément à rejeter cette prétention, à tenir pour artificielles ou relatives les lignes de séparation que notre représentation trace entre les choses, à supposer au-dessous d’elles un système d’actions réciproques et de virtualités enchevêtrées, enfin à définir l’objet, non plus par son entrée dans notre représentation, mais par sa solidarité avec le tout d’une réalité inconnaissable en elle-même. […] Toutes forment aujourd’hui autour d’elle une ligne de défense imposante, qu’on ne peut forcer sur un point sans que la résistance renaisse sur un autre.
André est composée exactement de la même manière, et c’est à peine si l’orateur moraliste apparaît dans six lignes égarées à travers une forêt de documents. […] Le premier, il a eu la patience de déchiffrer l’indéchiffrable manuscrit de Pascal, de deviner les abréviations, les renvois, les mots demi-effacés, demi-formés, de comparer mot à mot le texte vrai avec les éditions publiées, de noter ligne par ligne toutes les erreurs, tous les contre-sens, toutes les fautes de goût des éditeurs, de montrer le plan de l’ouvrage, d’en marquer l’esprit, et de ranimer enfin la figure souffrante, passionnée et sublime de Pascal.
Le peu de lignes qui précèdent le décalogue de conduite écrit pour son petit-fils un an avant sa mort, nous montrent le vieillard bénissant, déjà délivré à demi de sa dépouille et ayant fait un pas dans la majesté de la tombe. […] Une foule de pensées justes et d’observations frappantes ressortent de cette Correspondance et augmentent le trésor du lecteur : « Je ne crois pas avec les La Rochefoucauld et les Montaigne que les quatorze quinzièmes des hommes soient des fripons : je crois que cette proportion doit être singulièrement restreinte en faveur de l’honnêteté commune ; mais j’ai toujours reconnu que les fripons abondent à la surface, et je ne crois pas que la proportion soit trop forte pour les classes supérieures et pour ceux qui, s’élevant au-dessus d’une multitude ignorante et abrutie, trouvent toujours moyen de se nicher dans les positions où il y a du pouvoir et du profit à acquérir. » L’expression, en maint endroit, s’anime de bonhomie et de grâce : « Cela, dit-il, en parlant de l’incandescence politique, cela peut convenir aux jeunes gens, pour qui les passions sont des jouissances ; la tranquillité est le lait des vieillards. » Le portrait que Jefferson a tracé de Washington est digne de tous deux : la beauté morale reluit dans ces lignes calmes et précises, dans cette touche solide.
Ces deux lignes, aux environs de 1745, sont d’une belle force. […] En deux lignes, Saint-Simon vous campe le bonhomme sur ses jambes, dans son attitude favorite, avec son expression particulière de physionomie : ailleurs il le développe, le fouille, en dévide les entrailles, n’y laisse rien d’obscur ou d’inexpliqué.
Quelques lignes d’À vau-l’eau, une lointaine plaquette de Huysmans, annonçaient déjà : « Le spleen n’a pas de prise sur les âmes pieuses… Le mysticisme pourrait seul panser la plaie qui me tire… » M. […] Des paysages de certains symbolistes valent par une précision de contour et de lignes que les romanciers de quarante ans ont heureusement vulgarisée.
À l’ouest, se déploient les belles lignes du Carmel, terminées par une pointe abrupte qui semble se plonger dans la mer. […] Par une dépression entre la montagne de Sulem et le Thabor, s’entrevoient la vallée du Jourdain et les hautes plaines de la Pérée, qui forment du côté de l’est une ligne continue.
On la mettait sur la même ligne que les païens, avec un degré de haine de plus 663. […] La ligne où finissent les ruines de temples et où commencent les ruines de synagogues est aujourd’hui nettement marquée à la hauteur du lac Huleh (Samachonitis).
Il y a là pour la critique une ligne limite — sa ligne d’horizon — jusqu’où elle ne saurait se flatter d’atteindre ; car nul ne coïncide tout à fait avec un autre angle optique que le sien propre. […] Toutes les fois où comme ici c’est parce qu’il a trop préservé sa ligne qu’un artiste touche un écueil, il commande l’estime et suscite l’examen. […] Je n’écris ces lignes que pour le plaisir de tracer ce que vos yeux liront. […] L’atmosphère flotte partout sous nos yeux, mais derrière elle aucune ligne ne se dessine encore. […] Voici Ingres : « Le dessin d’Ingres est fait de quelques lignes parfaites.
De là parfois les difficultés que nous éprouvons à mettre une ligne de démarcation entre certains philosophes et certains poètes. […] L’Occidental est un architecte ; il affirme son amour pour les lignes pures, en construisant une voûte comme un Discours de la Méthode. […] La ligne serpentine chère à Hogarth, selon laquelle s’enroulent les mouvements de notre âme, et la spirale décorative animent les piliers de nos églises. […] Lorsque nous voulons mesurer la hauteur de plusieurs sons, nous dit Bergson, nous échelonnons ceux-ci suivant une ligne verticale. […] Il a moins le don de la ligne que le privilège de la couleur ; il se