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434. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Vaugelas. Discours de M. Maurel, Premier avocat général, à l’Audience solennelle de la Cour impériale de Chambéry. »

Il a passé sa vie à observer cet usage en bon lieu, à en épier, à en recueillir tous les mouvements, toutes les variations, les moindres incidents remarquables, à les coucher par écrit. […] Ces mots qui sont de l’usage ancien et moderne tout ensemble sont beaucoup plus nobles et plus graves que ceux de la nouvelle marque. » La Cour, au sens où l’entendait Vaugelas, n’était donc nullement un simple lieu de cérémonie et d’étiquette, une glacière polie, mais une école vivante, animée, la haute et libre société du temps. […] Vaugelas n’est qu’un empirique, mais un empirique de tact, de bon lieu, et élégant.

435. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Marie-Antoinette (suite et fin.) »

Ce n’est pas le lieu de revenir ici sur le plan de Mirabeau : il ne fut suivi qu’incomplètement et d’après la méthode éclectique de Louis XVI ; on y substitua en partie celui de M. de Breteuil. […] Je serais indigne du nom de notre mère, qui vous est aussi cher qu’à moi, si le danger me faisait fuir loin du roi et de mes enfants. » Et un autre jour, aux discours qu’on lui rapporte de Vienne, et qui feraient supposer que son frère la considère comme menée par La Fayette ou tel autre personnage du dedans, elle s’indigne, elle se révolte (20 janvier 1791) : « Nous sortons tous d’un sang trop noble, écrit-elle à M. de Mercy, pour qu’aucun de nous puisse soupçonner l’autre d’une telle bassesse ; mais il y a des moments où il faut savoir dissimuler, et ma position est telle et si unique que, pour le bien même, il faut que je change mon caractère franc et indépendant. » Elle chargeait le comte de Mercy de réfuter en bon lieu ces bruits malveillants que semaient les émigrés exaltés et la cabale du comte d’Artois, afin de donner prétexte et carrière à leurs plans aventureux. […] Pourquoi, d’ailleurs, dans aucun des deux recueils, chaque lettre imprimée ne porte-elle pas avec elle l’indication précise de la provenance et du lieu où l’on pourrait, à la rigueur, vérifier sur l’original ?

436. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « UN FACTUM contre ANDRÉ CHÉNIER. » pp. 301-324

Cette orthodoxie, il est vrai, pouvait bien sembler un peu étroite et se ressentir de ces excès de rigueur qui sont ordinaires aux grands convertis ; mais il y avait lieu aussi de penser qu’une fois hors du cercle des thèses universitaires et en possession des gloires du doctorat, rentré dès lors dans le champ libre de la littérature, l’auteur trouverait un juste tempérament, et que l’ami, et un peu le disciple de Stendhal, saurait échapper aux formules du dogme. […] Et souvenez-vous de moi dorénavant lorsqu’ici viendra, après bien des traverses, quelqu’un des hôtes mortels, et qu’il vous demandera : « O jeunes filles, quel est pour vous le plus doux des chantres qui fréquentent ce lieu, et auquel de tous prenez-vous le plus de plaisir ?  […] Il n’a pas voulu reconnaître que du Fénelon tout pur, venant à la fin du xviiie  siècle ou au commencement de celui-ci, n’aurait produit qu’un effet un peu lent ; qu’il y avait lieu, quand la peinture gagnait de toutes parts et allait s’appliquer à tous les âges, de ne pas laisser l’antiquité seule pâlir.

437. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « CHRISTEL » pp. 515-533

L’odeur fine qui s’en exhalait sentait encore le lieu embaumé d’où le triple billet coup sur coup était sorti. […] Pourtant les frais souvenirs d’enfance qu’elle évoquait à cette heure, les beaux lieux qu’elle avait traversés et qui s’étaient peints si brillants en elle, tel bosquet d’Alsace, tel balcon de Burgos, les mille échos d’une militaire fanfare dans le labyrinthe gazonné d’un jardin des camps, n’étaient là, sans qu’elle le sût, que comme un prélude sans cesse recommençant, comme un cadre en tous sens remué pour celui qu’elle ignorait et qui ne venait pas. […] Christel n’apprit ces détails que successivement, et sans rien faire pour s’en enquérir ; mais, quoique sa mère et elle ne reçussent habituellement aucune personne du lieu, les simples propos des voisines, la plupart du temps en émoi si l’on voyait le jeune homme arriver au galop du bout de la place, puis mettre son cheval au pas en approchant, auraient suffi pour instruire.

438. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Pensées, essais, maximes, et correspondance de M. Joubert. (2 vol.) » pp. 159-178

Ce n’est pas ici le lieu d’approfondir cette critique et de la dégager ; j’en toucherai pourtant tout à l’heure quelque chose. […] Les habitués du lieu étaient M. de Chateaubriand, même sa sœur Lucile durant tout un hiver, M.  […] Le coup de soleil qui suivit le 18 Brumaire s’était fait sentir mieux qu’ailleurs dans ce coin du monde : on aimait, on adoptait avec bonheur tout génie, tout talent nouveau ; on en jouissait comme d’un enchanteur ; l’imagination avait refleuri, et on aurait pu inscrire sur la porte du lieu le mot de M. 

439. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Florian. (Fables illustrées.) » pp. 229-248

Dans ces demi-confessions intitulées Mémoires d’un jeune Espagnol, il a jugé à propos de travestir les noms de personnes et de lieux, ce qui laisse de l’incertitude sur quelques points, d’ailleurs peu importants. […] La fable est un genre naturel, une forme d’invention inhérente à l’esprit de l’homme, et elle se retrouve en tous lieux et en tous pays. […] Ajoutez chez La Fontaine à cette liberté et à cette fantaisie de composition une poésie perpétuelle de détail, et des aperçus d’élévation, de grandeur, toutes les fois qu’il y a lieu, et tout à côté des circonstances les plus simples.

440. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Étienne Pasquier. (L’Interprétation des Institutes de Justinien, ouvrage inédit, 1847. — Œuvres choisies, 1849.) » pp. 249-269

« Je suis d’avis, nous dit Pasquier, que cette pureté n’est restreinte en un certain lieu ou pays, mais éparse par toute la France. » Il faut donc colliger en quelque sorte le bon langage, il le faut composer et rassembler de plus d’un endroit, et il nous en indique les moyens, sans négliger ce qu’on peut emprunter chemin faisant aux langues anciennes. […] Pibrac, avocat du roi, éloigné de Paris en 1567, et abrité en lieu sûr, lui fait demander s’il doit revenir à Paris et s’exposer aux hasards d’un voyage. […] Mais voilà que, le roi étant au Louvre, tout le Parlement s’achemine en robes rouges par devers lui, lequel, infiniment ébahi de ce nouveau spectacle en temps et lieux indus, s’informe d’eux de ce qu’ils lui vouloient demander. — La mort, sire (répondit le seigneur de La Vacquerie, premier président, portant la parole pour toute la compagnie) ; la mort qu’il vous a plu nous ordonner, comme celle que nous sommes résolus de choisir plutôt que de passer votre édit contre nos consciences.

441. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Histoire du chancelier d’Aguesseau, par M. Boullée. (1848.) » pp. 407-427

Il ne le place qu’après l’étude de l’histoire, après celle de la jurisprudence et de la religion ; il lui a fallu quelque courage, on le sent, pour ajourner le moment de parler de cette étude pour lui la plus attrayante et la plus chère : Il me semble, dit-il, qu’en passant à cette matière je me sens touché du même sentiment qu’un voyageur qui après s’être rassasié pendant longtemps de la vue de divers pays, où souvent même il a trouvé de plus belles choses, et plus dignes de sa curiosité, que dans le lieu de sa naissance, goûte néanmoins un secret plaisir en arrivant dans sa patrie, et s’estime heureux de pouvoir respirer enfin son air natal. On aime à revoir les lieux qu’on a habités dans son enfance… Je crois rajeunir en quelque manière ; je crois voir renaître ces jours précieux, ces jours irréparables de la jeunesse… On est assez embarrassé d’avoir à citer avec d’Aguesseau, car rien en particulier n’est original, ni bien vif, ni bien neuf, et il convient d’attendre et de prolonger la lecture jusqu’à ce que l’affection dont j’ai parlé opère ; mais alors l’agrément se fait sentir, un agrément honnête et sûr, et salubre. […] Et ce même chancelier pourtant, séduit par le plan que lui déroula Diderot, et par le pur amour des sciences, accorda en dernier lieu le privilège de l’Encyclopédie, dont les premiers volumes ne parurent, il est vrai, qu’après sa mort.

442. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Nouveaux documents sur Montaigne, recueillis et publiés par M. le docteur Payen. (1850.) » pp. 76-96

Je sais tel autre savant qui a placé sa dévotion et son culte en tout autre lieu, en Bossuet, et qui nous prépare une Histoire complète, exacte, minutieuse, de la vie et des ouvrages du grand évêque. […] Enfin, pour ne rien omettre et pour rendre justice à chacun, dans une Visite au château de Montaigne en Périgord, dont la relation a paru en 1850, M. le docteur Bertrand de Saint-Germain a décrit les lieux et relevé les diverses inscriptions grecques ou latines qui se lisent encore dans la tour de Montaigne, dans cette pièce du troisième étage (le rez-de-chaussée comptant pour un) où le philosophe avait établi sa librairie et son cabinet d’études. […] Dans le chapitre « Des menteurs », par exemple, après s’être étendu en commençant sur son défaut de mémoire, et avoir déduit les raisons diverses qu’il a de s’en consoler, il ajoutera tout à coup cette raison jeune et charmante : « D’autre part (grâce à cette faculté d’oubli), les lieux et les livres que je revois me rient toujours d’une fraîche nouvelleté. » C’est ainsi que, sur tous les propos qu’il touche, il recommence sans cesse, et fait jaillir des sources de fraîcheur.

443. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « De la poésie et des poètes en 1852. » pp. 380-400

Sans doute il y a lieu toujours à d’agréables distractions dans l’intervalle, à ce que j’appelle la poésie du diable, à celle du printemps et de la jeunesse ; mais les productions fortes, et qui pourraient marquer socialement, sont très compromises dans leur germe. […] laissez donc chaque être ; Laissez-le vivre en paix aux lieux qui l’ont vu naître ! […] Des livres, une femme, heureuse et jeune épouse, Avec deux beaux enfants jouant sur la pelouse ; Et, fermant de mes jours le cercle fortuné, Le bonheur de mourir aux lieux où je suis né !

444. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Paul-Louis Courier. — I. » pp. 322-340

En voyant ces rochers, partout couronnés de myrte et d’aloès, et ces palmiers dans les vallées, vous vous croyez au bord du Gange ou sur le Nil, hors qu’il n’y a ni pyramides, ni éléphants ; mais les buffles en tiennent lieu et figurent fort bien parmi les végétaux africains, avec le teint des habitants qui n’est pas non plus de notre monde… Ce n’est pas sans raison qu’on a nommé ceci l’Inde de l’Italie. […] Il vit dans ces beaux lieux, il s’y naturalise, il s’y oublie ; et, dès qu’il a quitté son « harnais », comme il dit, et laissé son vil métier, il retourne y vivre et y passer les dernières années de la sécurité et du loisir (1810-1812). […] Il s’ensuivit des plaintes dans les journaux du lieu, des brochures ; l’orage grossit ; on se parlait de ce pâté à l’oreille, de Rome à Paris, dans ce grand silence, un moment pacifique, de l’Empire ; et Courier jugea à propos de répondre par une Lettre publique (1810) adressée à M. 

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