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240. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Béranger — Béranger en 1832 »

Mais, dans cette éducation à la romaine, on n’apprenait pas le latin ; ce qui fit que Béranger ne le sut pas. […] Il ne sait pas le latin assurément ; mais, à l’entendre parfois discourir du théâtre et remonter de Molière, Racine ou Shakspeare aux tragiques de l’antiquité, je suis tenté de croire qu’il sait le grec, qu’il a été Grec, comme il le dit dans le Voyage imaginaire, tant cet ordre de beauté et de noble harmonie lui est familier. Il pousse même la rancune contre ce pauvre latin qu’il n’entend pas, et que parlait son ancêtre Horace, jusqu’à reprocher avec assez d’irrévérence à notre langue, à notre poésie, d’avoir été élevée et d’avoir grandi dans le latin : témoin Malherbe et Boileau qui l’ont coup sur coup disciplinée en ce sens, il ajoute méchamment que cet honnête latin a tout perdu ; que, sans les lisières de ce mentor, il nous resterait bien d’autres allures, plus libres et cadencées : Courier, en son style d’Amyot, ne marquerait pas mieux ses préférences.

241. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse sociologique »

Toutes, des Égyptiens aux Assyriens, des Hébreux aux Phéniciens, des Hellènes aux Latins, des Aryens de l’Inde aux Iraniens, des Chinois même aux peuplades préhistoriques du nord de l’Europe, ont été façonnées par des conquérants migrateurs, altérées de nombreux éléments ethniques qu’elles se sont assimilés en route, altérées encore par d’obscures tribus autochtones qu’elles ont soumises, asservies, mais dont elles ont fini par subir le mélange. […] Ainsi, il y eut parmi les écrivains latins, des Grecs, des Italiotes, des Carthaginois, des Espagnols ; il y a parmi nos peintres contemporains, des Italiens, des Belges, des Allemands, des Américains, des Anglais ; ainsi notre littérature doit autant aux Celtes de Bretagne qu’aux Romains de la Provence. […] Ni la race, ni le milieu, hostiles ou tout au plus indifférents à ces importations, n’ont pu pousser les artistes latins ou français à choisir à l’étranger des modèles, qu’ils ont altérés ou dépassés, mais dont l’influence est restée prépondérante. […] Le monde romain était sans influence bien marquée jusque-là sur le peuple encore bien latin de la capitale ; ce peuple ne pouvait empêcher l’élite de favoriser les lettres grecques : cette élite devenue ainsi indépendante, exerça une influence marquée, dit-on sur les artistes dépendant de son suffrage. Cependant serait-il téméraire de croire que quelques Naevius, quelques Ennius, quelques Caecilius, quelques Lucilius de plus de talent, eussent fait tourner la balance, alors, avant ou plus tard, en faveur de la littérature purement latine ?

242. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Introduction. Origines de la littérature française — 3. Causes générales de diversité littéraire. »

Mais de plus au moyen âge, l’Église a sa langue qui n’est pas la langue française : elle parle, elle écrit le latin ; du moins ne confie-t-elle au français que les moindres manifestations de sa pensée, les plus vulgaires ou qui avaient le plus besoin d’être vulgarisées. Souvent aussi, elle écrit en latin ce qu’elle a dit en français : aussi notre littérature ne porte-t-elle qu’un témoignage indirect de la puissance de l’Église et de la direction qu’elle imprime à la pensée humaine.

243. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Note I. De l’acquisition du langage chez les enfants et dans l’espèce humaine » pp. 357-395

Ainsi, dans le vieux nom aryen du cheval (asva en sanscrit, equus en latin, ἵππος en grec, ehu en vieux saxon), nous ne découvrons rien qui rappelle le hennissement d’un cheval, mais nous découvrons le concept de rapidité incorporé dans la racine ak, signifiant être aigu, être rapide, d’où nous ayons aussi tiré des noms pour désigner la promptitude intellectuelle, par exemple acutus. […] Ils furent appelés ahi en sanscrit, ἔχις en grec, anguis en latin, de la racine ah, étouffer ; ou sarpa, en latin serpens, de la racine sarp, ramper, aller. » De même hamsas (l’oie) signifie l’animal qui a la bouche béante ; varkas (le loup), celui qui déchire ; sus (le cochon), celui qui engendre, le plus prolifique des animaux domestiques. […] Le meilleur exemple de cet état du langage est donné par l’ancien chinois ; là, une même racine, selon sa position dans la phrase, peut signifier grand, grandeur, grandement, être grand ; dans y-cang (avec un bâton, en latin baculo), y n’est pas une simple préposition comme en français, c’est une racine, qui, comme verbe, signifie employer ; ainsi en chinois y-cang signifie littéralement employer bâton. […] En abandonnant tout ce qui pouvait rappeler à l’auditeur le son spécial de tel objet emporté par un mouvement rapide, la racine pat devint apte à signifier le concept général du mouvement rapide, et cette racine, par sa végétation, fournit ensuite une quantité de mots en sanscrit, en grec, en latin et dans les autres langues aryennes. En sanscrit, nous trouvons patati, il vole, il plane, il tombe ; patagas et patangas, un oiseau et aussi une sauterelle ; patatram, une aile, la feuille d’une fleur, une feuille de papier, une lettre ; pattrin, un oiseau ; patas, tomber, advenir, accident et aussi chute dans le sens de péché ; — en grec, πέτομαι, je vole ; πετηνός, ailé ; ὡκυπέτης, qui vole ou court rapidement ; ποτή, fuite ; πτερόν et πτέρυξ, plume, aile ; ποταμός, rivière ; πίπτω, je tombe ; ποτμός, chute, accident, destin ; πτῶσις, chute, cas, d’abord dans le sens philosophique, puis dans le sens grammatical ; — en latin, peto, tomber dessus, assaillir, chercher, demander, et ses nombreux dérivatifs : impetus, élan, assaut ; præpes, qui vole rapidement ; penna, plume, anciennement pesna pour petna, etc.

244. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Montaigne en voyage »

Toutes ces inscriptions latines ou grecques, au nombre de trente-trois22, sont loin d’être intactes, et il a fallu les déchiffrer, les restituer ni plus ni moins que des inscriptions antiques. […] On lit à Bordeaux, sur le tombeau de Montaigne, qui est dans la chapelle du lycée, deux épitaphes, l’une latine, l’autre grecque : M.  […] C’est dans cette étude comparée du style des diverses épitaphes grecques et latines composées par ce Saint-Martin, qu’est le piquant de l’ouvrage de M.  […] Il a saisi et défini en philologue des plus exercés la manière archaïque de ce Saint-Martin, qui, dans ses épitaphes latines, affecte l’imitation de Plaute, de Catulle et d’Apulée, et qui, dans ses épigrammes grecques, se plaît à coudre ensemble et à rassortir les réminiscences de l’Anthologie.

245. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Histoire du roman dans l’Antiquité »

Qu’on me laisse un moment parler de ce roman ancien, le seul ou presque le seul que nous ait légué la littérature latine (car le livre de Pétrone n’est pas un roman proprement dit), qu’on m’en laisse parler comme je le ferais de tel ou tel de nos romans modernes. : il les vaut bien. […] Selon lui, tout ce que l’imitateur latin a ajouté au premier récit du Lucius grec n’est qu’un insipide développement, « une pitoyable amplification » ; ce ne sont que hors-d’œuvre, inepties et sottises. […] Certes je prise et goûte fort le joli récit traduit par Courier : il est net, proportionné, piquant, épigrammatique ; mais les additions d’Apulée ne me déplaisent pas tant ; elles m’apprennent bien des choses sur les mœurs tant publiques que privées, sur la police des villes dans les provinces, sur les travers éternels et les maladies de l’esprit humain : « Ce sont des tableaux de pure imagination, où néanmoins chaque trait est d’après nature, des fables vraies dans les détails, qui non seulement divertissent par la grâce de l’invention et la naïveté du langage, mais instruisent en même temps par les remarques qu’on y fait et les réflexions qui en naissent. » Tout cet éloge (sauf le point de la naïveté du langage), que Courier donne à son Lucius, je l’accorde à plus forte raison et je l’étends à notre Lucius latin, à notre Apulée, pour ses additions nombreuses ; lu à côté, le premier Lucius me paraît, je l’avoue, un peu sec. […] Tel est, avec Pétrone, le seul romancier latin que nous possédions. — Le genre du roman a donc son passé, et un assez beau passé sans doute, si surtout on le fait remonter jusqu’à l’Odyssée ; il a encore plus d’avenir.

246. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Histoire du chancelier d’Aguesseau, par M. Boullée. (1848.) » pp. 407-427

« Après la prière des voyageurs, par laquelle ma mère, raconte d’Aguesseau, commençait toujours la marche, nous expliquions les auteurs grecs et latins, qui étaient l’objet actuel de notre étude… » Grec, latin, et plus tard hébreu, anglais, italien, espagnol, portugais, mathématiques, physique, et surtout belles-lettres (sans parler de la jurisprudence qui était son domaine propre), le jeune d’Aguesseau apprenait tout, et, doué de la plus vaste mémoire, il retenait tout : « … L’admirable avocat général d’Aguesseauqui sait toutes mes chansons, et qui les retient comme s’il n’avait autre chose à faire », écrivait de lui à Mme de Sévigné M. de Coulanges. […] Il n’est question que de sénateurs, de familles patriciennes, de pourpre, d’images des ancêtres ; la superstition romaine est complète ; c’est du latin de Cicéron ou de Tite-Live, réduit et assorti aux mœurs et aux prétentions parlementaires. […] Toujours le petit bout de citation latine, le bout de la toge romaine.

247. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « De la poésie et des poètes en 1852. » pp. 380-400

Nadaud (1849), non qu’il n’y en ait de fort jolies, mais elles sont trop à l’usage du Quartier latin et de la Closerie des lilast. […] Émile Augier ont formé une sorte d’école ou l’élégie grecque et latine est venue s’essayer et faire épisode au théâtre. […] — Je me rappelle qu’un jour, comme je mettais en avant le nom de M. de Laprade pour la chaire de poésie latine au Collège de France, M.  […] Nadaud (1849), trop à l’usage du Quartier latin et de la Closerie des lilas.

248. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « HOMÈRE. (L’Iliade, traduite par M. Eugène Bareste, et illustrée par M.e Lemud.) —  premier article .  » pp. 326-341

Après s’être fait d’abord tout grec et tout latin, on s’est jeté ensuite dans un excès opposé, et chez nous, par exemple, on était venu à tout franciser, sentiments et costume : les érudits eux-mêmes, comme l’abbé Barthélemy, trouvaient moyen de placer leur Chanteloup dans le pèlerinage d’Athènes. […] Et ici sa merveilleuse rapidité de goût trompa plus d’une fois Voltaire lui-même ; les Latins et Horace, il les sentait vivement, les entendait à demi-voix, leur répondait en égal ; d’Auguste à Louis XV on se donnait la main. […] Il n’est pas jusqu’à son rhythme épique qui ne devienne une facilité de plus, pour peu qu’on ait manié soi-même l’hexamètre latin.

249. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre I. Les mémoires »

La philosophie se sépare de la littérature : Ramus206 ne nous appartient pas, parce qu’il écrit presque toujours en latin, mais pas davantage lorsque par hasard il use du français. […] Ayant démontré copieusement la conformité du langage français avec son cher grec, il n’eut pas de peine à se convaincre de la précellence de notre idiome sur le parler d’Italie, qui n’est que du latin : et comme il prouvait par exemples abondants la gravité, sonorité, richesse et souplesse du français, il était naturel qu’il tâchât d’en préserver la pureté des inutiles et plutôt dangereux apports de l’italianisme. […] P. de la Ramée, né en 1515 dans un village du Vernandois, soutint avec succès, en 1530, pour être maître ès arts, sa fameuse thèse contre Aristote ; mais, ayant redoublé ses attaques dans deux livres latins, il fut condamné en 1543.

250. (1925) Méthodes de l’histoire littéraire « I. Leçon d’ouverture du Cours d’éloquence française »

Le professeur de littérature latine cultivait ses oliviers à la campagne toute la semaine, et de temps à autre passait à la ville corriger des vers latins. […] Sainte-Beuve prévalut sur Eugène Benoist, qui voulait donner Larroumet à la philologie latine.

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