Les langues iront se perfectionnant à coup sûr, mais à ce point qu’on pourrait bien ne plus parler, ne plus savoir exactement la nôtre. […] Dieu sait ce qu’il adviendra alors des grands écrivains de toutes langues, et ce qui sera décrété grand écrivain en ce renouvellement !
D’ailleurs vous n’arriverez jamais à rendre exactement l’aspect des choses, étant données l’imperfection du verbe, l’impuissance de la langue. […] Le retour à plus de simplicité (après une recrudescence du goût primordial dans certaines pièces de Jadis et Naguères) s’accuse fortement dans Amour, où se révèle une langue davantage émondée.
Sans doute, avec Chateaubriand, qui les nomme les écueils de notre langue, avec Flaubert qui les poursuit sans relâche, nous blâmons l’abus des qui et des que, le manque d’harmonie et bien d’autres choses ; mais M. […] Les qui et les que sont dans le génie de la langue classique du dix-septième siècle, c’est entendu.
Lessing savait bien ce que Voltaire ne savait qu’à peu près ou mal… Linguiste immense, fort dans les langues anciennes, dont Voltaire avait seulement éraflé le dictionnaire, Lessing lisait dans leur propre langue tous les théâtres de l’Europe moderne, et encore par là il tenait Voltaire, ce menteur et ce pickpocket de Voltaire, qui aurait si bien escroqué la gloire d’autrui, si on l’eût laissé faire.
Il a tordu souvent l’expression jusqu’à la fausser, jusqu’à la briser, pour lui faire dire ce qu’enfin la langue ne dit pas et ne veut pas dire ; mais quand il l’a laissée tranquille et qu’il s’est fié à elle, il a eu de magnifiques parties de poète et il a réussi ! […] Ce livre, intense et individuel comme la passion qui l’a dicté, n’est point le plus beau que Lefèvre ait écrit (car Lefèvre n’a fait qu’une seule fois cette chose complète qu’on appelle un beau livre, et ce n’a pas été en vers) ; mais, à coup sûr, c’est celui où, malgré d’atroces bizarreries, des viols de langue dans des alliances de mots forcenées, il y a le plus de ces beautés humaines que le comble de l’art est d’imiter, et qui jaillissent parfois du fond de la vie.
Théophile Gautier représentait glorieusement l’école volontaire de la poésie travailleuse et, qu’on nous permette le mot, rageuse au travail, qui pose assez insolemment pour soi-même et pour le génie, que la Poésie est le résultat d’une poétique, la langue touchée, de telle ou telle façon, comme un piano, et qui croit simplifier et réaliser tout par des règles. […] Vous y revoyez particulièrement le fini d’expression auquel devait nécessairement atteindre un écrivain qui travaille la langue avec la lampe de l’émailleur, et qui, tout matérialiste qu’il pût être, rentrait, par la perfection même de sa forme, dans cette sphère de l’Infini, auquel il ne croit pas et qu’on retrouverait dans ses vers encore, — ne fût-il pas panthéiste comme il l’est devenu, — par la raison unique et suffisante qu’ils sont de beaux vers !
Mais cosmopolite dans la pensée, il l’est aussi dans l’expression et il appartient au groupe de ceux qui ouvrent le sein de la langue à l’étranger. Dans un temps où la langue serait forte, la Critique punirait peut-être le poète de cette impiété et de cette profanation, mais nous ne sommes plus au temps du grand Corneille où l’on disait Brute et Cassie, et où ce qui doit changer le moins, même les noms propres, devenaient français sous les plumes fières… À présent nous n’avons plus, il est vrai, cette insolence d’orgueil, et ce n’est pas seulement à l’expression étrangère que nous allons tendre des mains mendiantes, c’est à l’inspiration elle-même !
L’auteur du Roitelet a cela de caractéristique que, moins il prend dans la langue, plus il prend dans la pensée. […] La manière dont il se sert de la langue poétique nous montre aussi qu’il a lutté avec elle et qu’un début devant le public n’est pas un début dans l’emploi de ses facultés.
Ce n’est pas la première fois qu’on nous veut détourner du droit chemin : tenons-nous-y ; l’étude de plusieurs langues n’habitue pas à bien écrire la sienne. […] Sa bonne éducation, seul avantage que lui laissa son père, noble et sans biens, nous enseigne qu’il puisa dans l’étude de la langue d’Homère et de Virgile, les éléments par lesquels il perfectionna et fixa le style poétique dans sa langue maternelle ; langue que les Portugais érudits assurent n’avoir pas changé jusqu’à nos jours, depuis qu’en y versant des hellénismes heureux et les richesses empruntées du latin, il en constitua la force et l’invariabilité. […] J’ai voulu prouver que notre langue se prête à cet artifice de la langue latine, en le traduisant ainsi : « De quatre pieds poudreux, avec bruit, bat la plaine. […] Unissez à tant de moyens divers les ressources d’une concision ou d’une diffusion précise qu’on ne doit pas confondre avec la prolixité, la richesse de notre langue ne nous fera plus aucun refus. […] Prenons-en une de Voltaire, accusé d’être le moins épique de nos bons poètes ; on verra l’éclat que notre langue peut leur donner.
Cette exactitude d’observation, cette équivalence d’expression, Chateaubriand le premier sut en réalité les transporter dans notre langue et notre littérature. […] La langue du xvie siècle y intervient souvent par des vocables heureusement rajeunis. […] La franchise s’allie à la distinction dans la langue excellente de Joseph Delorme. […] Des pages soutenues attesteront toujours la beauté d’une langue poétique bien mieux que des morceaux plus éclatants parfois, mais pleins de taches et d’inégalités. […] De plus ces poèmes sont écrits dans une langue excellente, et le patriotisme ne gagne rien à s’énoncer en vers de mirliton.
Mettons aussi que l’on procure à tel autre lecteur, très versé dans la langue de l’original, la docte jouissance d’une comparaison curieuse ! […] La langue d’oïl fut également en honneur parmi les étrangers. […] Janin composait son style avec les débris de l’ancienne langue, et il s’enivrait d’horreurs romantiques, — par gageure. […] Et quant aux pigeons de Sorrente, quelle langue aurait pu les célébrer dignement ! […] Beaucoup de personnes se mirent, sur son conseil, à étudier la langue de ce pays, et cette langue devint bientôt familière aux gens de lettres.