Avec tout ce que nous savions de l’auteur, nous pouvions craindre que ces livres, d’une spécialité si restreinte et d’une technologie presque savante, pensés par un talent très fin, très particulier, très genuine, — comme ils disent si bien en Angleterre, — lequel ajoutait son originalité native à tous les schibboleth d’une société très élevée qui a aussi son genre de langage, ne franchît pas les limites de cette société et y concentrât son succès.
Nous admettrons volontiers, quant à nous, l’existence de représentations collectives, déposées dans les institutions, le langage et les mœurs. […] C’est uniquement pour la commodité du langage, et pour la raison toute négative que ces diverses opérations ne sont ni perception, ni mémoire, ni travail logique de l’esprit. […] De cette confusion nous sommes à peine libérés aujourd’hui ; la trace en subsiste dans notre langage. […] Selon les uns, le « mana » serait un principe universel de vie et constituerait en particulier, pour parler notre langage, la substance des âmes. […] Notre philosophie et notre langage posent la substance d’abord, l’entourent d’attributs, et en font alors sortir des actes comme des émanations.
Sans doute le beau langage, les images déterminaient en lui des associations imprévues, lui donnaient l’illusion que dans l’écrit se trouvait la pensée en lui déclenchée. […] La préciosité du sentiment n’explique pas toute la préciosité du langage, mais elle la prépare et s’harmonise avec elle. […] Dès qu’elle s’est appliquée à élaborer un langage, elle a produit comme son fruit naturel la périphrase. […] C’est une des tournures favorites de Mallarmé dans son langage, parce que c’est le pli profond de son esprit. […] Il sait comprendre ou plutôt voir, — et son langage en témoigne souvent — les choses et les faits en fonction non d’une durée conventionnelle, mais d’une durée vivante.
Lui, qui hier encore était tout rassasié de Mirabeau et ne croyait avoir rien d’important à apprendre sur cet homme si controversé ; lui, lecteur, qui hier ne connaissait le marquis économiste que par quelques ennuyeux volumes ou quelques épigrammes, et ne connaissait pas du tout le bailli, le voilà tout d’un coup épris d’eux, altéré de leur vie, de leurs opinions, de leur langage ; le voilà qui se fâche presque contre M. […] C’est un morceau grandiose, tout à effets et à mouvements, plein de tableaux ; l’orateur y est traduit sous vos yeux entouré de ses mille tonnerres et de quelques fanfares ; c’est un de ces morceaux d’éclat où l’on marche d’imprévu en imprévu, où l’image toujours éblouissante et nouvelle surgit à chaque pas, plus soudaine, plus en armes que les légions de Pompée ; c’est une de ces sorties de talent qui gagnent des victoires, au moins de surprise, sur les plus incrédules ; qui marquent que les lions au gîte (pour parler le langage du sujet) ont des ressources et des bonds qu’on n’attendait pas, et qu’il est des natures invaincues qu’on peut bien vouloir traquer, mais qu’on ne décourage guère. […] Mirabeau lui-même, écrivant à une personne à laquelle il ne parlait que le langage de la plus sincère conviction, disait : « Mon père a autant de supériorité sur moi par le génie, qu’il en a par l’âge et le titre de père. » Après un admirable récit de la vie de son grand-père, Jean-Antoine, récit composé dans une captivité au château d’If sur les notes de son père, il termine par ces mots : « Ceux qui seraient étonnés des couleurs que nous avons osé employer pour peindre un homme qui n’est resté ni dans les fastes des cours qu’on appelle histoire des nations, ni dans les recueils mensongers des gazettes, auraient tort, à ce qu’il nous semble….
Comme on conçoit, en lisant les descriptions subtiles et les périodes cicéroniennes de celui qui n’osait flétrir ni Clodius ni Catilina, comme on conçoit l’indignation de Mme Roland pour ces palliatifs, pour cette douceur de langage en présence de ce qu’elle appelait crime, pour les prétentions conciliatrices de cette souple intelligence toute au service d’une imagination vibratile ! […] Il se passe en effet, il se noue et se dénoue entre Mme Roland et Bancal, durant ces deux années, une espèce de roman ; oui, un roman de cœur, dont, à travers les distractions des grands événements et la discrétion du langage, on poursuit çà et là les traces à demi couvertes. […] Un éloge bien rare à donner aux grandes et glorieuses existences, tout à fait particulier à Mme Roland, c’est que plus on va au fond de sa vie, de ses lettres, plus l’ensemble paraît simple : toujours le même langage, les mêmes pensées sans réserve ; pas un repli, nulle complication ou de passions ou de vœux et de tendances diverses.
La vraisemblance encore soumettait la tragédie aux unités ; et la vraisemblance enfin imposait à la tragédie un langage simple et naturel, sans pompe et sans déclamation. […] C’est beaucoup pourtant déjà qu’il ait dit que réduire l’ode au langage qu’on appelle communément naturel, lui imposer « un ordre méthodique », et « d’exactes liaisons de sens », ce serait, si le fond nécessite la forme qui l’exprime, « ôter l’âme à la poésie lyrique » : c’est beaucoup d’avoir compris en son temps qu’une ode n’est ni un discours ni une dissertation ni une narration d’histoire, et que ce genre a son ordre, sa clarté propres et d’un caractère tout spécial. […] Qu’on médite ce petit morceau, et l’on verra que si l’élégance et la noblesse consistent essentiellement à donner à l’œuvre poétique un caractère esthétique et littéraire, qui fait que jamais elle n’est vulgaire, même en exprimant les vulgarités de la nature, le sublime est le degré suprême de la beauté : mais ce degré, c’est tout simplement, pour transposer dans notre langage l’idée de Boileau, c’est l’intensité expressive d’un mot, d’un tour, qui réalise en perfection l’effet voulu et prévu par l’artiste.
Pour la traduction exacte de sa synthèse, il faut au symbolisme un style archétype et complexe : d’impollués vocables, la période qui s’arcboute alternant avec la période aux défaillances ondulées, les pléonasmes significatifs, les mystérieuses ellipses, l’anacoluthe en suspens, tout trope hardi et multiforme : enfin la bonne langue — instaurée et modernisée — la bonne et luxuriante et fringante langue française d’avant les Vaugelas et les Boileau-Despréaux, la langue de François Rabelais et de Philippe de Commines, de Villon, de Rutebœuf et de tant d’autres écrivains libres et dardant le terme acut du langage, tels des toxotes de Thrace leurs flèches sinueuses. […] ……………………………………………………………………………………………… Parmi les écrivains français dont vous voulez restaurer la langue, vous nommez François Rabelais, Philippe de Comynes (et non point Commines, ainsi que vous l’écrivez), Villon et Rutebœuf, « écrivains libres, dites-vous, et dardant le terme acut du langage, tels des toxotes de Thrace leurs flèches sinueuses ». […] Vous savez combien la langue de Rabelais est riche, savante ; vous savez qu’elle est lourde à force de richesse ; que c’est un entassement prodigieux de belles formes de langage, un magasin confus de mots et d’idées.
Le dix-septième siècle nous en offre plus d’un modèle dans telles instructions émanées d’un Colbert, dans telle pièce de chancellerie sortie de la plume d’un Lyonne, et qui sont d’utiles sujets d’étude, même pour le langage. […] Il est vrai qu’elle fait tout avec son esprit ; c’est son langage, son air, sa physionomie, mais ce n’est pas tout son fonds. […] Ce sont des morceaux achevés, et pour quiconque estime le beau langage, la précision, la netteté des nuances, la justesse des contrastes, la force du coloris, l’art ne peut aller au-delà.
Questions bien inutiles sans doute, puisque, quelque nom qu’on lui donne, il n’en sera pas moins admirable, et que les génies ne travaillent pas dans les catégories exclusives que le langage forme après coup sur leurs œuvres. […] Critiquer, c’est se poser en spectateur et en juge au milieu de la variété des choses ; or la philologie est l’interprète des choses, le moyen d’entrer en communication avec elles et d’entendre leur langage. […] Le sentiment des lois psychologiques est-il généralement répandu, ou du moins exerce-t-il une influence suffisante sur le tour de la pensée et le langage habituel ?
… voyons, pourtant, dans la Chose dont l’expression nous séduit, voyons les multiples aspects, les résonnances cachées, les attirances, les échos subtils qui d’elle, par tous côtés, s’éveillent : comprenons comment la Chose est littérairement, comment musicalement, comment plastiquement ; et, — quoique nous ne pourrons pas dire toutes ces compréhensions variées, par, chacune, son langage propre, — ayons en nous, néanmoins, l’émotion, complète, de la Chose vivante. Ayons en nous l’émotion complète de la Chose vivante, et, dans nos œuvres spéciales de littérature ou de musique, il se trouvera que nous la mettrons ; ayant vu tous les reflets, notre unique langage en gardera la marque ; ayant connu toute l’impression, notre poème ou notre tableau en sera imprégné ; la Chose sera exprimée, très fortement ; et notre œuvre, tout particulière, aura de très mystérieux palpitements d’universelle Clairvoyance. […] Et, parmi les hommes aux langages, aux costumes variés, qui sont là, et se croisent, dans la gare, dans les rues, un souffle plane, d’où s’exhale, entre ces étrangers et ces inconnus, une fraternelle et joyeuse Communion.
Voilà un langage qu’on ne trouve chez Wagner ni avant ni après cette période. […] Il en est de même pour la musique, Wagner a lui-même exposé quels progrès dans l’art de la composition il avait faits de Tannhaeuser à Lohengrin(IV, 394-399) ; mais nous ne pouvons admettre qu’avec de nombreuses réserves, ce qui est devenu un dogme pour beaucoup de personnes, que « dans Lohengrin un grand progrès est accompli, qui se fait sentir, à la fois dans l’ordonnance des scènes, dans le langage poétique et dans la musique » (Noufflard : R. […] La musique n’est pas le langage de l’éternelle et absolue vérité ; plus qu’aucun autre art, elle est fatalement soumise à l’instabilité du caprice, aux variations de la mode.