/ 2456
26. (1767) Salon de 1767 « Les deux académies » pp. 340-345

Pigalle, le chapeau sur la tête et de son ton rustre que vous lui connaissez, s’adressa à un particulier qu’il prit pour un artiste et qui ne l’était pas, et lui demanda s’il était en état de juger mieux que lui ; ce particulier, enfonçant son chapeau sur sa tête, lui répondit qu’il ne s’entendait pas en bas-reliefs, mais qu’il se connaissait en insolens et qu’il en était un. […] Cochin, plus adroit, m’a écrit que chacun jugeait par ses yeux, et que l’ouvrage qu’il avait couronné lui montrait plus de talent. […] D’autres ont avoué que le bas-relief de Milot était excellent à la vérité, mais que Moette était plus habile ; et on leur a demandé à quoi bon le concours si on jugeait la personne et non l’ouvrage. […] Ces enfans-là ont des yeux, et ce serait la première fois qu’ils se seraient trompés. à peine les prix sont-ils exposés, qu’ils sont jugés et bien jugés par les élèves, ils disent : voilà le meilleur ; et c’est le meilleur.

27. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Lettres de m. l’Abbé Sabatier de Castres ; relatives aux trois siecles de la littérature françoise.ABCD » pp. -641

Faites de ma Lettre l'usage que vous jugerez à propos. […] Nous ne sommes pas les seuls Critiques, mon cher Ami, qui jugions ainsi. […] De même que nous ne jugeons point du mérite de Ronsard par les éloges pompeux que lui donnerent ses Contemporains, nos Descendans ne jugeront pas non plus de celui de M. de Voltaire, par les nombreux panégyriques publiés de nos jours en son honneur. […] Vous jugerez vous-même, Monsieur, s’il est possible de se défendre plus mal, par les détails que vous me demandez & que je vais mettre sous vos yeux. […] Après l’examen de leurs Ouvrages, j’ai voulu juger de leur personne.

28. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Frédéric le Grand littérateur. » pp. 185-205

C’est ainsi que lui-même il pensait qu’il faut, en définitive, juger les grands hommes, sans s’amuser aux accessoires, et en s’élevant jusqu’au point qui domine en eux les contradictions et les travers. […] Il ne connaissait l’Antiquité que par des traductions, et par les traductions françaises ; il ne jugeait donc bien que le gros des choses qui résistent à ce genre de transport d’une langue dans une autre. […] Il jugeait bien des historiens, qui étaient proprement sa matière d’étude et de méditation : pourtant, quand on le voit prodiguer le titre de Thucydide à Rollin ou même à Voltaire, on est forcé d’avouer qu’il ne paraît pas se douter de la forme particulière qui constitue l’originalité de ce grand historien. Il devait juger mieux de Polybe, chez qui le fond l’emporte ; un critique d’un vrai mérite (M.  […] Les réflexions par lesquelles Frédéric termine son récit de la guerre de Sept Ans ressemblent très bien à une page de Polybe : « À deux mille ans de distance, c’est la même façon de juger les vicissitudes humaines, et de les expliquer par des jeux d’habileté mêlés à des jeux de fortune. » Seulement l’historien-roi est, en général, plus sobre de réflexions.

29. (1874) Premiers lundis. Tome II « Des jugements sur notre littérature contemporaine à l’étranger. »

Comme ce n’est pas du tout ici une défense systématique ni patriotique que nous prétendons faire, nous laisserons dès l’abord le chapitre des drames qui, d’ailleurs, composés la plupart pour les yeux, sont plus dans le cas d’être jugés à une première vue, même par des étrangers qui ne feraient que passer. […] C’est une question sur laquelle il y a lieu au moins de douter que celle de la compétence des étrangers à juger une littérature tout à fait contemporaine, surtout quand cette littérature est la française. […] Goethe, si sagace et si ouvert à toutes les impressions qu’il ait été, jugeait un peu de travers et d’une façon très subtile notre jeune littérature contemporaine ; il y avait manque de proportion dans ses jugements ; ce qu’il pensait et disait là-dessus au temps du Globe, pouvait être précieux pour le faire connaître, lui, mais non pour nous faire connaître, nous. […] Pour juger une littérature contemporaine, surtout quand c’est la française, il faut être là, observer les nuances, distinguer les rangs, dégager l’original de l’imitateur, séparer le délicat et le fin d’avec le déclamatoire, noter le rôle qui souvent se mêle vite à l’inspiration d’abord vraie ; il faut discerner cela non-seulement d’auteur à auteur, mais jusqu’au sein d’un même talent : de loin, il n’y a qu’à renoncer. […] Si l’article était resté là où il a paru, c’est-à-dire hors de France, nous l’y aurions laissé à l’usage des préjugés tories et des vanités littéraires nationales qu’il caresse ; mais, puisqu’on a jugé à propos de nous le reproduire en France comme une pièce qui a quelque intérêt et quelque gravité, il nous a été naturel d’en dire notre avis.

30. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 439-450

Par ce moyen, nous mettrons le Lecteur à portée de juger des motifs qui ont pu déterminer M. […] Ce n’est pas aussi sur leurs déclamations qu’il convient de juger de son mérite. […] L’impression a dédommagé de la représentation, & c’est toujours beaucoup d’être à portée de juger, à la lecture, que cette nouvelle Comédie a des traits encore supérieurs à celle des Philosophes. […] Et puis allez, trop crédules Lecteurs, Juger, par leurs Ecrits, de l’ame des Auteurs !

31. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre V. Mme George Sand jugée par elle-même »

J’aimerais assez cela, si Mme George Sand était capable de se juger, si réellement elle était un esprit critique. […] Nous avons, depuis plus de trente ans, polissonné avec les choses les plus sacrées, la Religion, la Morale, les Pouvoirs publics… et aujourd’hui, il n’est pas permis de juger librement M.  […] Aujourd’hui, il ne sera pas permis non plus de juger librement Mme George Sand ! […] Je prendrai donc la liberté que ses éditeurs me refusent, et je vous dirai quelques mots de ce livre de critique très inattendu, dans lequel Mme George Sand a pris, sans se manquer de respect à elle-même, la liberté de se juger. […] comme si ses intentions, que Dieu jugera, lui !

32. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Boileau »

C’est en suivant Boileau dans sa solitude d’Auteuil qu’on apprend à le mieux connaître ; c’est en remarquant ce qu’il fit ou ne fit pas alors, durant près de trente ans, livré à lui-même, faible de corps, mais sain d’esprit, au milieu d’une campagne riante, qu’on peut juger avec plus de vérité et de certitude ses productions antérieures et assigner les limites de ses facultés. […] Disons, à la louange de l’homme bon, dont en ce moment nous jugeons le talent avec une attention sévère, disons qu’il fut sensible à l’amitié plus qu’à toute autre affection. […] Boileau, depuis la mort de Racine, ne remit pas les pieds à Versailles ; il jugeait tristement les choses et les hommes ; et même, en matière de goût, la décadence lui paraissait si rapide, qu’il allait jusqu’à regretter le temps des Bonnecorse et des Pradon. […] Si de la théorie poétique de Boileau nous passons à l’application qu’il en fait en écrivant, il ne nous faudra, pour le juger, que pousser sur ce point l’idée générale tant de fois énoncée dans cet article. […] « C’est à vous à en juger. » Nous estimons ces vers fort bons sans doute, mais non pas si merveilleux que Boileau semble le croire.

33. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre premier. La critique et la vie littéraire » pp. 1-18

C’est, dis-je, un signe, car celui qui saurait pouvoir s’intéresser à une lecture qu’il jugerait médiocre ferait bien de renoncer à toute critique son goût est mauvais, ou son jugement faux, et sa critique vide. […] Certes, le premier, n’ayant de sa vie rien senti, ne pouvait juger qu’à faux et ne s’en privait pas. […] Et s’il se dérobait, s’il se contentait d’appeler « aimable » un ouvrage insignifiant, il jugeait encore, quoique de travers. […] — Et puis l’habitude de juger glace l’impression. — Quelle erreur ! […] Voici comme il jugeait Bellangé : « On prétend qu’il y a quelque chose.

34. (1716) Réflexions sur la critique pp. 1-296

En voici quelques-unes dont le lecteur jugera. […] Qu’on nous marque donc au juste, combien il faut de siecles pour oster aux hommes la liberté de juger d’un ouvrage d’esprit. […] Mais si nous jugions ainsi de l’iliade, elle seroit encore dans un plus grand décri. […] Je laisse à juger si elle y a réüssi. […] On sentiroit encore d’autres choses que je n’ai pas senties ; mais je ne demande qu’à être jugé équitablement.

35. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Chamfort »

Par cela même qu’un homme est bâtard, comme l’était Chamfort, il est en lui des propensions épouvantables et singulières, et les moralistes, qui, en définitive, doivent juger les moralistes, car on ne peut être jugé que par ses pairs, ont-ils bien réfléchi à cela ? […] Or, sans vue première sur l’humanité, toute supériorité qui veut juger les hommes périt étouffée dans un horizon sans lumière. […] Préjugé veut dire : jugé d’avance. Et qui donc a le droit de juger les faits d’avance, si ce n’est Dieu ?

36. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. Mignet : Histoire de la Révolution française, depuis 1789 jusqu’en 1814. 3e édition. »

Mignet, qu’ayant aujourd’hui à en traiter plus en particulier, nous pourrons nous abstenir de reprendre le fond des choses et nous en tenir à juger la manière de l’écrivain. […] C’est aussi de la sorte qu’en jugea Malebranche lorsqu’à la lecture du livre De l’homme, il se sentit tout à coup pénétré de dédain pour l’étude des historiens ecclésiastiques, et que dès ce jour il estima l’histoire indigne de son génie. […] Sans doute il se laissa plus d’une fois séduire à des inductions pressenties plutôt que trouvées ; plus d’une fois sa perspicacité ingénieuse donna le change à son intelligence exigeante ; et, portant en lui tant de ressources avec tant de besoins, il jugea souvent plus commode d’inventer que de découvrir. […] Ce style, qu’au premier abord on serait tenté de juger trop soigné, n’est pourtant pas exempt d’incorrections ; mais il faut bien distinguer : les incorrections ici ne proviennent plus d’oubli ni de négligence, comme chez M. 

/ 2456