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498. (1903) Articles de la Revue bleue (1903) pp. 175-627

« Je souffrirai peut-être encore, mais si dure puisse-t-elle être, je me dirai que ma souffrance n’est qu’un effet transitoire accidentel, que, cependant, les essences de la joie continuent à planer dans les espaces, plein de pitié pour leur contraste nécessaire : je suis entré dans l’Éternel. […] Qu’importe ta victoire ou ta défaite, ta souffrance ou ta joie ? […] On ressent une joie accrue en retrouvant dans sa mémoire de vieux airs qui nous ont charmé autrefois. […] Qui peut dire d’avance quelle forme prendront les enthousiasmes, les colères, les joies, les cris et les douleurs d’un poète inconnu devant une réalité inconnue, comme celle de demain ? […] * *   * Après avoir lu et relu cette lettre qui devait me causer tant de joie et aussi quelque fierté, signée qu’elle est d’un maître que tous respectent pour la beauté de son œuvre et la dignité de sa vie, je sens pourtant une tristesse se faire jour en moi.

499. (1903) Légendes du Moyen Âge pp. -291

Mais dans ce « paradis », dans cette « terre de la joie », dans ce « pays de l’éternelle jeunesse », il éprouve au bout de quelque temps la satiété de voluptés sans lutte, d’une vie sans activité et sans travail ; il ressent l’impérieuse nostalgie de la vraie vie humaine avec ses désirs rarement satisfaits, avec ses peines qui assaisonnent les joies, avec ses efforts qui donnent du prix aux résultats atteints… Ainsi ce bonheur parfait que l’âme humaine rêve toujours, elle a beau le construire librement d’après son rêve, dès qu’elle essaie de le réaliser, elle sent qu’elle ne saurait en jouir. Le sentiment qui est au fond des vieux mythes sur le séjour de la joie sans mélange s’est retrouvé — tant il est vraiment humain — dans l’âme du poète philosophe qui, de nos jours, a essayé, sans recourir à ces mythes et sans les connaître, de donner, lui aussi, un corps à notre rêve de bonheur. […] Un livre d’histoires édifiantes imprimé en « juif allemand » au xviiie  siècle, le Simchas ha-Nefesch (Joie de l’âme) contient la même histoire, sous une forme à peu près aussi concise que le résumé qu’on vient de lire. […] « Et pour mettre leurs cœurs plus en joie. » 251. […] « L’oiseau en fait grande joie. » 300.

500. (1911) Visages d’hier et d’aujourd’hui

Il avait un domicile ; mais il le quittait avec facilité, avec joie. […] Il n’en resterait absolument rien, si la joie ne s’arrêtait nulle part. […] Son visage est tout éclairé des joies sereines de l’intelligence. […] Une joie dangereuse les a prises, un zèle d’esclaves échappés. […] Les corps sont fins, nerveux, cabrés, pour la joie de franchir en hâte les divertissantes distances.

501. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Le Chevalier de Méré ou De l’honnête homme au dix-septième siècle. »

Comme, selon lui, le propre de l’ honnête homme est de n’avoir point de métier ni de profession, il pensait que la cour de France était surtout un théâtre favorable à le produire : « car elle est la plus grande et la plus belle qui nous soit connue, disait-il, et elle se montre souvent si tranquille que les meilleurs ouvriers n’ont rien à faire qu’à se reposer. » Ce parfait loisir constitue véritablement le climat propice : être capable de tout et n’avoir à s’appliquer à rien, c’est la plus belle condition pour le jeu complet des facultés aimables : « Il y a toujours eu de certains fainéants sans métier, mais qui n’étoient pas sans mérite, et qui ne songeoient qu’à bien vivre et qu’à se produire de bon air. » Et ce mot de fainéants n’a rien de défavorable dans l’acception, car « ce sont d’ordinaire, comme il les définit bien délicatement, des esprits doux et des cœurs tendres, des gens fiers et civils, hardis et modestes, qui ne sont ni avares ni ambitieux, qui ne s’empressent pas pour gouverner et pour tenir la première place auprès des rois : ils n’ont guère pour but que d’apporter la joie partout39, et leur plus grand soin ne tend qu’à mériter de l’estime et qu’à se faire aimer. » Voilà les f ainéants du chevalier. […] Je ne pouvois vivre en l’absence de cette aimable personne, et je ne l’osois aborder ; j’avois tant d’amour et de joie, tant de respect et de crainte, que quand je me voulus lever, il me prit, un tremblement comme d’un accès de fièvre. […] Que je serois heureux, disois-je en soupirant d’amour et de joie, si je me pouvois insinuer dans son cœur ! […] Et non pas une joie de plaisants et de diseurs de bons mots, comme les Boisrobert, les Marigny, les Sarasin (M. de Méré les exclut nommément), mais une joie légère et insinuante.

502. (1864) Cours familier de littérature. XVII « Ce entretien. Benvenuto Cellini (2e partie) » pp. 233-311

Je me transportai un jour à Taglia Cozzo pour y voir Ascanio, et j’y fus accueilli avec joie par toute sa famille. […] « C’est en riant encore que nous arrivâmes à Florence, où nous descendîmes chez ma sœur, que ma présence remplit de bonheur et de joie. » V Arrivé à Fontainebleau, le cardinal de Ferrare le présenta une seconde fois à François Ier. […] Quand mes ouvriers virent le bronze se vider avec aisance, ils furent remplis de joie, et ils m’obéissaient avec plus d’ardeur ; et moi, me mettant à genoux : Grand Dieu ! […] Je me mis à table avec ma bonne famille, dont la joie était revenue avec la mienne, et qui avait remplacé par de la poterie de terre tous les plats d’étain que j’avais jetés dans le feu. […] Il y a plusieurs exemples de ces guérisons subites, causées par la joie ou une passion forte.

503. (1864) Cours familier de littérature. XVII « CIIe entretien. Lettre à M. Sainte-Beuve (2e partie) » pp. 409-488

Il s’est tourné vers Dieu, d’où vient la paix et la joie. […] Et vos enfants au loin épars sur la pelouse, Et votre époux absent et sorti pour rêver, J’entre pourtant ; et Vous, belle et sans vous lever, Me dites de m’asseoir ; nous causons ; je commence À vous ouvrir mon cœur, ma nuit, mon vide immense, Ma jeunesse déjà dévorée à moitié, Et vous me répondez par des mots d’amitié ; Puis revenant à vous, Vous si noble et si pure, Vous que, dès le berceau, l’amoureuse nature Dans ses secrets desseins avait formée exprès Plus fraîche que la vigne au bord d’un antre frais, Douce comme un parfum et comme une harmonie ; Fleur qui deviez fleurir sous les pas du génie ; Nous parlons de vous-même, et du bonheur humain, Comme une ombre, d’en haut, couvrant votre chemin De vos enfants bénis que la joie environne, De l’époux votre orgueil, votre illustre couronne ; Et quand vous avez bien de vos félicités Épuisé le récit, alors vous ajoutez Triste, et tournant au ciel votre noire prunelle : « Hélas ! non, il n’est point ici-bas de mortelle « Qui se puisse avouer plus heureuse que moi ; « Mais à certains moments, et sans savoir pourquoi, « Il me prend des accès de soupirs et de larmes ; « Et plus autour de moi la vie épand ses charmes, « Et plus le monde est beau, plus le feuillage vert, « Plus le ciel bleu, l’air pur, le pré de fleurs couvert, « Plus mon époux aimant comme au premier bel âge, « Plus mes enfants joyeux et courant sous l’ombrage, « Plus la brise légère et n’osant soupirer, « Plus aussi je me sens ce besoin de pleurer. » C’est que, même au-delà des bonheurs qu’on envie, Il reste à désirer dans la plus belle vie ; C’est qu’ailleurs et plus loin notre but est marqué ; Qu’à le chercher plus bas on l’a toujours manqué ; C’est qu’ombrage, verdure et fleurs, tout cela tombe, Renaît, meurt pour renaître enfin sur une tombe ; C’est qu’après bien des jours, bien des ans révolus, Ce ciel restera bleu quand nous ne serons plus ; Que ces enfants, objets de si chères tendresses, En vivant oublieront vos pleurs et vos caresses ; Que toute joie est sombre à qui veut la sonder, Et qu’aux plus clairs endroits, et pour trop regarder Le lac d’argent, paisible, au cours insaisissable, On découvre sous l’eau de la boue et du sable. […] « Tel je fus, disiez-vous ; cette humeur inquiète, Ce trouble dévorant au cœur de tout poète, Et dont souvent s’égare une jeunesse en feu, N’a de remède ici que le retour à Dieu : Seul il donne la paix, dès qu’on rentre en la voie ; Au mal inévitable il mêle un peu de joie, Nous montre en haut l’espoir de ce qu’on a rêvé, Et sinon le bonheur, le calme est retrouvé. » Et souvent depuis lors, en mon âme moins folle, J’ai mûrement pesé cette simple parole ; Je la porte avec moi, je la couve en mon sein, Pour en faire germer quelque pieux dessein. […] Tes amis te considèrent : tu fais souvent leur joie, et il semble à ton cœur qu’il ne pourrait exister sans eux.

504. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXXe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (2e partie) » pp. 315-400

Vous savez avec quelle joie j’accueille toutes les améliorations que l’avenir nous fait entrevoir. […] Je suis content, si je vois aujourd’hui les premières folioles verdir ; je serai content quand je verrai de semaine en semaine la feuille se changer en tige, j’aurai de la joie à voir en mai le bouton, et enfin, je serai heureux quand juin me présentera la rose elle-même dans toute sa magnificence et avec tous ses parfums. […] Et puis, quelles émotions, quelle joie quand la flèche part, siffle et perce le but ! […] » J’étais plein de joie de tenir cette chère arme dans mes mains. […] — Nous sommes là devant quelque chose de divin, qui me remplit de joie et de surprise, dit Goethe.

505. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre VI » pp. 394-434

C’est le riche qui se pique, encore aujourd’hui, d’ouvrir une allée en pleine forêt, d’amener une eau courante à travers les sables en feu, de meubler une ménagerie ; aussi inhabile que les seigneurs d’autrefois, les autres, ceux de La Bruyère, le riche d’aujourd’hui, à rendre une âme contente, à remplir d’une douce joie un cœur blessé, à faire que la pauvreté soit apaisée, heureuse, et que le pauvre puisse mourir en paix. […] À tout jamais on prend congé l’un de l’autre, on ne doit plus se revoir ; alors on redouble de câlineries, de tendresses, d’adorations ; celui qui est faible, pleure tout haut, celui dont l’âme est forte pleure tout bas ; puis quand ils sont bien loin, bien loin, qu’on ne peut plus ni les voir ni les entendre, ils s’en donnent, à cœur joie, de toutes ces larmes ; mais qu’importe ? […]  » Il pouvait ajouter qu’une certaine joie aisée, agréable, piquante, vaut cent fois mieux, dans ces dissertations d’art et de goût, que toutes les formules algébriques. — Mais que fais-je, en ce moment, pourquoi donc cette dissertation à propos de mademoiselle Mars ? […] Mademoiselle Mars aimait, à en mourir de joie, les enivrements de la foule, les applaudissements du parterre, l’enthousiasme du poète, la résurrection solennelle des vieux chefs-d’œuvre sauvés par sa parole, les luttes ardentes des premières représentations, s’il fallait imposer à un public rebelle, quelque renommée à son aurore ! […] Afin que leur joie eût un long souvenir dans l’âme des pauvres gens, le roi et la reine avaient constitué une pension de douze cents livres sur la tête de chaque enfant, venu au monde le même jour que la princesse royale, et cette pension de douze cents livres, qui avait été la fortune de son enfance et de sa jeunesse, mademoiselle Mars l’a touchée jusqu’à la fin de ses jours.

506. (1853) Histoire de la littérature française sous la Restauration. Tome I

Mais le troisième jour, ô joie indicible ! […] Les tristesses et les joies, les passions et les inquiétudes de toute une société, soufflent sur eux comme ces grands vents, qui venaient agiter les cordes frémissantes des harpes ossianiques. […] Le front de l’humanité sur lequel les joies de l’orgie du dix-huitième siècle avaient passé, était redevenu sérieux ; quarante années d’expérience lui avaient donné la maturité du malheur. […] Ces impressions étaient-elles joie ou tristesse ? […] Quand un grand deuil ou une grande joie viennent visiter la maison royale qu’il aime, le poëte a des chants qui s’attristent ou se réjouissent avec elle.

507. (1836) Portraits littéraires. Tome II pp. 1-523

Ce n’était pas l’érudition qui le séduisait ; la grâce majestueuse du style n’était pour lui qu’une joie secondaire. […] Si parfois le plaisir se présente, c’est un plaisir haletant ; la fatigue est plus vive que la joie. […] Une tresse des blonds cheveux, que chaque jour sa bouche couvre de baisers, suffit à sa joie et à sa résignation. […] Le brave s’appelle Saltabadil, et la fille de joie Magdelonne. […] La joie des sens est limitée ; il n’y a d’infini, de renouvelable que les joies du cœur et les extases de l’intelligence.

508. (1927) Quelques progrès dans l’étude du cœur humain (Freud et Proust)

D’où avait pu me venir cette puissante joie ? […] Puis, dès qu’il était arrivé, sans qu’il s’en rendît compte, ses yeux brillaient d’une telle joie que M.  […] Mais parce que je la savais impossible dans une lettre adressée à moi, cette vue, non accompagnée de croyance ne me causa pas de joie. […] C’est que si souvent elle avait été témoin de leurs joies ! […] Puis, dès qu’il était arrivé, sans qu’il s’en rendît compte, ses yeux brillaient d’une telle joie que M. 

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