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117. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers (tome xviie ) » pp. 338-354

Napoléon a vu la faute ; il suit de l’œil l’écartement de Blucher ; il en ressent une vive joie, une joie croissante, « la seule qu’il lui fût encore donné d’éprouver ». […] Première faveur de la fortune, premier mouvement de joie depuis le commencement de la campagne ! […] Et s’il est arrivé que, lui sorti de la scène politique, la France n’ait point dépéri ; que cet être collectif, cet être idéal et redoutable qu’on appelait la coalition, et qui est demeuré pendant tant d’années un grand spectre dans l’imagination des gouvernants, ait été conjuré enfin par un enchanteur habile et puissant ; que la France soit redevenue elle-même tout entière sur les champs de bataille anciens et nouveaux et dans les conseils de l’Europe ; si, à cette heure même où nous écrivons, une province, une de ses pertes, est recouvrée par elle et lui est acquise, moins à titre d’accroissement que de compensation bien due, et aussi comme un gage manifeste de sa pleine et haute liberté d’action, on est sûr qu’en cela du moins le cœur de l’historien du Consulat et de l’Empire se réjouit ; que si une tristesse passe sur son front, c’est celle d’une noble envie et de n’avoir pu, à son heure, contribuer pour sa part à quelque résultat de cet ordre, selon son vœu de tous les temps ; mais la joie généreuse du citoyen et du bon Français l’emporte.

118. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Les cinq derniers mois de la vie de Racine »

L’apparence de sa guérison ne laissait pas de tromper les amis ; ils espéraient ce qu’ils désiraient : « Sa convalescence, après une assez longue maladie qui nous a fort alarmés, se confirme de jour en jour (18 décembre), et elle doit augmenter notablement par la grande joie que lui donne l’heureux retour de son fils avec M. de Bonrepaux, qui l’avait mené à La Haye et qui l’a ramené, pour le remener en Hollande après un peu de séjour qu’il est venu faire à la. […] Au lieu d’une seconde prise de voile, nous allons donc assister à un mariage chrétien, à la dernière joie de cœur de Racine. […] Je m’acquitterai du devoir de l’offrir à Dieu et en même temps tous ceux qui y ont part, afin qu’il daigne se trouver à ces noces chrétiennes et y apporter de ce bon vin que lui seul peut donner, qui met la vraie joie dans le cœur, et qui donne aux vierges une sainte fécondité en plus d’une manière : Vimim germinans virgities, comme parle un prophète. » Vous éprouvez sans doute, monsieur, qu’il n’est besoin de vous nommer l’auteur, ni de vous le désigner plus clairement. » Ainsi échangeaient de loin leurs bénédictions, ainsi s’exprimaient entre eux avec une prudence mystérieuse ces hommes de piété et de ferveur dont le commerce semblait un crime, et en qui l’esprit de parti prétendait découvrir de dangereux conspirateurs. […] La foi communique à tout ce qu’ils sentent et ce qu’ils pensent un caractère d’éternité. — La joie de la famille Racine dura peu : « Nous passâmes avant-hier l’après-dînée chez votre sœur.

119. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre III. Le théâtre est l’Église du diable » pp. 113-135

Comédie, au reste, cela voulait dire (on ne le sait pas toujours) χὼμοι bourgade, et ωδὴ chant, c’est-à-dire chant des faubourgs, le chant de la joie et de la liberté quelque peu avinée, la chanson joyeuse de la vie errante : Vie errante Est chose enivrante ! […] Des gourmands, des oisifs, des buveurs, des amis de la joie et de la bombance, tel fut le nom des premiers comédiens. […] — De la comédie et de ses plaisirs profanes, de ses licences et de sa joie, on a voulu faire un cours de bonne et pratique morale ; on a prétendu que rien ne résistait à ses enseignements… elle s’est toujours ressentie et toujours elle se ressentira de son origine errante. […] En trois heures, ni plus ni moins, vous voulez absolument tout le secret de cette âme, de cet esprit, de ce jeune cœur ; et quand enfin la charmante fille a tout dit, quand vous ne lui avez épargné aucune équivoque, quand elle s’est bien fatiguée à comprendre ou plutôt à deviner vos poètes comiques, vous la rappelez du fond du théâtre, vous voulez la revoir pour l’applaudir, vous êtes ivres de joie, et personne ne prend en pitié cette enfant, la voyant la proie et la victime de votre admiration ! […] Vous jugez de la joie de Molière occupé à écraser, un à un, sous ses deux ongles, M. 

120. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Édouard Rod »

Il sent autour de lui une affection fidèle et réchauffante… Un jour, il rencontre un de ses compagnons d’autrefois ; il s’applique à revivre, tout un soir, sa vie de bohème et de noctambule : mais cela ne lui dit plus rien, et il rentre avec joie dans son élégant foyer… Notez que nulle part il n’est question d’embarras ni de soucis d’argent, et que sa femme et lui ont l’air de se porter comme des charmes. … Et la description de toutes ces joies sonne comme un glas ! […] Il se dit : « Vivre pour les autres, oui, c’est là le but de la vie. » Il nous raconte alors l’histoire d’une vieille demoiselle qu’il a connue dans son enfance, qui a passé ses jours à se dévouer, et qui, seule, paralytique, presque pauvre, sans une joie extérieure, a vécu sereine à force de résignation, de douceur et de charité.

121. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — La synthèse »

Ce corps eut une enfance, une jeunesse, un âge mûr souvent, une vieillesse parfois ; il fut un homme, lit partie d’une famille, naquit et vécut dans une patrie, eut tels parents, tels amis, tels contemporains ; la carrière de cet être fut mêlée d’infortunes et de joies, de hasards et d’habitudes ; il subit et exerça des influences spirituelles ; il reprit l’œuvre artistique à un point donné et en porta le progrès à tel autre point ; cette entité intellectuelle dont on a désigné d’abord la configuration totale et générale, avec toutes ses acquisitions et toute son innéité, eut une évolution, fut jetée dans le compromis de résistances et d’adaptations qu’est la vie, fut fait d’originalité et d’imitation comme tout individu vivant, mêla sa tâche de redites et de trouvailles. […] Il faut pour entreprendre la restitution d’un de ces grands êtres intellectuels qui sont, dans l’ordre de la pensée et de la sensibilité pures, comme les initiateurs d’une espèce morale, qui concentrent et qui exaltent en eux toute l’émotion et la réflexion excitée dans la foule mêlée de leurs admirateurs, remonter des parties éparses de son esprit à leur enchevêtrement et leur engrenage dans le tout, replacer cet esprit ainsi particularisé dans chacune de ces facultés et dans leur association, en un corps dont il sera nécessaire de connaître les représentations graphiques et dont les habitudes ressortiront des témoignages des contemporains : ce corps même et cet esprit, il faudra le prendre dans ses origines, la famille, la race, la nation, — dans son milieu premier, le lieu de naissance et d’enfance, le climat, le paysage, le sol : il faudra le suivre dans son développement et ses relations, de son enfance à sa jeunesse, de ses amitiés à ses liaisons, de ses lectures à ses actes, tracer le cours de ses productions, connaître les joies et les amertumes de sa vie, le conduire enfin à ce déclin et ce décès qui si rarement, pour les grands artistes, sont glorieux, ou fortunés ou paisibles. L’on aura atteint au bout de ces travaux le résultat le plus haut auquel tend tout l’embranchement des sciences organiques : la connaissance d’un homme analyse et reconstitué, de ses fibres intérieures, des délicates agrégations de cellules cérébrales traversées par le jeu infiniment mouvant et complexe des ondes récurrentes, de ce centre de la trame intime de vibrations qui, phénomène physiologique pour l’observateur idéal placé au dehors et percevant son envers, est, pour ces cellules mêmes, immatérielles ou s’ignorant matière, de la pensée, des émotions, des douleurs, des joies, des souvenirs d’êtres et de choses, — jusqu’à l’aboutissement même des nerfs infiniment déliés, infiniment ramifiés, qui par des voies encore inconnues, à travers l’encéphale, le cervelet, la moelle allongée et la moelle épinière, recevant les répercussions actives de tout ce travail intérieur, conduiront aux muscles, à l’épiderme, à cette surface de l’homme colorée et conformée, — jusqu’aux êtres qui forment les antécédents de ce corps, — jusqu’à ceux qui le touchèrent ou dont les actes, par des manifestations proches ou lointaines, l’affectèrent, le réjouirent ou le contristèrent, — jusqu’aux cieux qui se reflétèrent dans ses yeux, — jusqu’au sol qu’il foula de sa marche, — jusqu’aux cités ou aux campagnes dont la terre souilla ses pieds et résorba sa chairec.

122. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [1] Rapport pp. -218

il s’esclaffe, et sa forte joie lui secoue le ventre jusqu’à faire éclater la braguette. […] Et, pour la joie de notre orgueil, il ne doit rien qu’à lui-même, c’est-à-dire qu’à nous tous, de ce qu’il y a de suprême en lui. […] Vous êtes le chant furieux d’amour et de joie. […] On conçoit la joie, ou, pour mieux dire, l’extase de ma surprise. […] Nos mains tremblèrent de joie en s’étreignant ; mais le dîner fut très bref, encore qu’y assistât, si j’ai bonne mémoire, le grand poète Mistral.

123. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe, et d’Eckermann »

alors ce fut tout autre chose ; il sentit un bonheur, un charme indicible ; rien ne l’arrêtait dans ces poésies de la vie, où une riche individualité venait se peindre sous mille formes sensibles ; il en comprenait tout ; là, rien de savant, pas d’allusions à des faits lointains et oubliés, pas de noms de divinités et de contrées que l’on ne connaît plus : il y retrouvait le cœur humain et le sien propre avec ses désirs, ses joies, ses chagrins ; il y voyait une nature allemande claire comme le jour, la réalité pure, en pleine lumière et doucement idéalisée. […] Énumérons un peu : — Riemer, bibliothécaire, philologue, helléniste : avec lui Gœthe revoit ses ouvrages au point de vue de la langue et cause de littérature ancienne ; — Meyer, peintre, historien de l’art, continuateur et disciple de Winckelmann : avec lui, Gœthe causera peinture et se plaira à ouvrir ses riches portefeuilles où il fait collection de dessins et de ce qui est parfait en tout genre ; — Zelter, musicien : celui-là est à Berlin, mais il ne cesse de correspondre avec Gœthe, et leur correspondance (non traduite) ne fait pas moins de six volumes ; Zelter tient Gœthe au courant des nouveautés musicales, des talents et des virtuoses de génie, et, entre autres élèves célèbres, il lui envoie un jour Mendelssohn, « l’aimable Félix Mendelssohn, le maître souverain du piano », à qui Gœthe devra des instants de pure joie par une belle matinée de mai 1830 ; — puis Coudray encore, un architecte, directeur général des bâtiments à la cour. […] Le poëte, pour tant de fatigues, pour tant de sacrifices, ne trouve ni joies ni récompenses, mais bien des ennuis qui paralysent son énergie. […] « Ainsi, comme le recommandait Gœthe à Eckermann et à ses pareils, les petits sujets que chaque jour vous présente, rendez-les dans leur fraîcheur, immédiatement, et il est certain que ce que vous ferez sera bon : chaque jour vous apportera une joie. […] C’était une manière de montrer le duc d’Albe insatiable de vengeance et de joies cruelles.

124. (1887) Discours et conférences « Rapport sur les prix de vertu lu dans la séance publique annuelle de l’Académie française »

Songez quel accueil sera fait à vos cinq cents francs dans ce réduit d’où est bannie depuis longtemps toute joie ! […] Enfin, un reliquat vous permet de donner mille francs à Jeanne Pécusseau, de Nantes, également enfant d’hospice, dont le dossier est un document inappréciable de ce qu’il peut y avoir de joie et d’affection dans un petit cercle de pauvres et d’humbles qui se connaissent et s’aiment entre eux. […] Ils ont été et sont encore la joie du service… Mais Jeanne Pécusseau, au milieu de cette famille de hasard, dont elle est l’aînée, et dont tous les membres furent bons, devait donner l’exemple de toutes les vertus. […] Dans son petit budget, il y avait tous les ans une réserve pour être adressée (c’était sa joie) à la bonne tante Albert, comme elle l’appelait, depuis qu’elle savait que la vieille nourrice n’était pas sa mère… Pauvre fille ! […] Ce n’a pas été pour elle la source de beaucoup de joie.

125. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Madame de La Vallière. » pp. 451-473

N’a-t-elle donc pas eu raison plus tard de dire en s’accusant, dans ses Réflexions sur la miséricorde de Dieu, que sa gloire et son ambition (il faut entendre son ambition et sa joie d’être aimée et préférée) avaient été comme des chevaux furieux qui entraînaient son âme dans le précipice ? […] voilà mon supplice. » La vue de sa fille, Mlle de Blois, l’attendrit, mais sans l’ébranler : Je vous avoue que j’ai eu de la joie de la voir jolie comme elle était ; je m’en faisais en même temps un scrupule ; je l’aime, mais elle ne me retiendra pas un seul moment ; je la vois avec plaisir, et je la quitterai sans peine : accordez cela comme il vous plaira ; mais je le sens comme je vous le dis. […] Dieu ne la quitte point, et, sans violence, il rompt ses liens. » Puis tout à coup, quand le dernier fil est usé et se rompt, quand la colombe prend son essor, il est dans la joie et le triomphe, il est dans l’admiration à son tour : Je vous envoie, écrit-il au maréchal de Bellefonds, une lettre de Mme la duchesse de La Vallière, qui vous fera voir que, par la grâce de Dieu, elle va exécuter le dessein que le Saint-Esprit lui avait mis dans le cœur. Toute la Cour est édifiée et étonnée de sa tranquillité et de sa joie, qui s’augmente à mesure que le temps approche. […] Un jour que Mme de Montespan lui demandait si, tout de bon, elle était aussi aise qu’on le disait : « Non, répondit-elle avec un tact que l’esprit emprunte au cœur, je ne suis point aise, je suis contente. » Content est bien, en effet, le mot chrétien, celui qui exprime la tranquillité, la paix, la soumission, une joie sans dissipation, quelque chose de contenu encore.

126. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXIV. »

« L’orageuse et tremblante joie d’un grand dessein, l’anxiété d’un cœur qui bouillonne indomptable sous la pensée de l’empire, il les sentit en soi, et il tint dans ses mains un prix qu’il y avait folie d’espérer. […] Sous le feu de la forge, sous la rayonnante ciselure, que d’émotion encore dans l’âme du poëte, quel charme nouveau dans sa peinture de l’enfance, dans sa plainte d’être dérangé, dans sa joie d’être inspiré par les jeux et les bruits de ses petits enfants ! […] que j’aime bien mieux ma joie et mon plaisir, Et toute ma famille, avec tout mon loisir, Que la gloire ingrate et frivole, Dussent mes vers, troublés de ces cris familiers, S’enfuir, comme devant un essaim d’écoliers, Une troupe d’oiseaux s’envole ! […] Que le jour s’achève ou renaisse, Courez en bourdonnant, comme l’abeille aux champs : Ma joie et mon bonheur, et mon âme, et mes chants, Iront où vous irez, jeunesse ! […] Aux coups de l’ouragan furieux, aux rejaillissements de l’éclair sur mon front, je palpitais de joie.

127. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Art français » pp. 243-257

Il éprouvait pour le plus jeune de nous deux une sorte d’affection paternelle ; et la solitude du Point-du-Jour s’ouvrait à notre visite avec cet aimable mot d’accueil : « Mes enfants, vous êtes la joie de ma maison !  […] Le volume laissé sur la table de nuit, il se faisait par avance une joie, sa maîtresse couchée et endormie, de se plonger dans le petit livre rouge avec recueillement, solennité, religion.

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