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646. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre premier »

La reconnaissance a imaginé ce mot ; c’est pour cela qu’il est à la fois si respectable et quelque peu exagéré. […] Mais ne serait-ce point le don de sentir, d’imaginer et d’exprimer dans une mesure moindre que le génie, et dans un ordre de pensées qui ne demande ni la sensibilité la plus profonde, ni la plus grande vivacité de l’imagination, ni la raison la plus relevée ?

647. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre douzième. »

C’est tout un art imaginé pour faire passer les pensées communes qu’il n’a pas su éviter, ou dont il a cru avoir besoin comme de degrés pour nous mener à des pensées plus relevées. […] La Bruyère donne l’exemple, trop souvent imité, des théories imaginées par les écrivains pour se mettre en paix sur leurs défauts.

648. (1890) L’avenir de la science « II »

N’a-t-on pas imaginé des procédés pour moraliser l’homme, à peu près comme des fruits qu’on mûrit entre les doigts ! […] On n’imaginera plus comment un siècle a pu décerner le titre d’habile à un homme comme Talleyrand, prenant le gouvernement de l’humanité comme une simple partie d’échecs, sans avoir l’idée du but à atteindre, sans avoir même l’idée de l’humanité.

649. (1890) L’avenir de la science « XIX » p. 421

Pour moi, j’imagine que, dans cinq cents ans, l’histoire de France commencera au Jeu de Paume et que ce qui précède sera traité en arrière-plan, comme une intéressante préface, à peu près comme ces notions sur la Gaule antique, dont on fait aujourd’hui précéder nos Histoires de France. […] Des esprits grossiers ont pu s’imaginer qu’en s’interdisant la vie du corps ils se rendaient plus aptes à la vie de l’esprit.

650. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre II »

Imaginez que, d’un acte à l’autre, et sans crier gare, ce Frantz Wagner, qui n’était guère, jusqu’à présent, que le soupirant élégiaque de la Fortune — quelque chose comme une Perrette de ballade rêvant aux veaux d’or qu’elle mènera paître aux sons de sa lyre — imaginez, dis-je, que le voilà pris d’une attaque de vanité foudroyante, et qu’il perd subitement son cœur, sa tête, son bon sens, la mémoire de son passé, de ses affections, des bienfaits reçus, de son amour même.

651. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « La Grande Mademoiselle. » pp. 503-525

Un jour qu’elle était à Saint-Jean-de-Luz dans la chambre du cardinal Mazarin, et que d’une fenêtre, avec Mme de Motteville, elle considérait la beauté du paysage, Mademoiselle se mit à imaginer un projet de retraite et de solitude, et à moraliser sur la vie heureuse qu’on y pourrait mener. […] Mademoiselle imagine donc, en une prairie, près d’une forêt, en vue de la mer, une société des deux sexes, toute composée de gens aimables et parfaits, délicats et simples, qui gardent les moutons les jours de soleil et pour leur plaisir, qui se visitent le reste du temps d’un ermitage à l’autre, en chaise, en calèche, en carrosse ; qui jouent du luth et du clavecin, lisent les vers et les ouvrages nouveaux ; qui unissent les avantages de la vie civilisée et les facilités de la vie champêtre, sans oublier les vertus de la vie chrétienne ; qui, tous célibataires ou veufs, polis sans galanterie ou du moins sans amour, vivent honnêtement entre eux, et n’ont nul besoin de recourir au remède vulgaire du mariage.

652. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mademoiselle de Scudéry. » pp. 121-143

Et abordant courageusement ce chapitre de la beauté, c’est encore à elle-même qu’elle pense, lorsqu’elle dit : Encore que vous m’entendiez parler de Sapho comme de la plus merveilleuse et de la plus charmante personne de toute la Grèce, il ne faut pourtant pas vous imaginer que sa beauté soit une de ces grandes beautés en qui l’envie même ne saurait trouver aucun défaut… Elle est pourtant capable d’inspirer de plus grandes passions que les plus grandes beautés de la terre. […] Un de ces plus grands inconvénients, et qui donne le plus d’ennui, c’est que les gens du monde ne s’imaginent point qu’on puisse aborder un bel esprit de la même façon qu’une autre personne, et lui parler autrement qu’en haut style : Car enfin je vois des hommes et des femmes qui me parlent quelquefois, qui sont dans un embarras étrange, parce qu’ils se sont mis dans la fantaisie qu’il ne me faut pas dire ce qu’on dit aux autres gens.

653. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La Harpe. Anecdotes. » pp. 123-144

Ces qualités qui tiennent à la personne physique ont beaucoup plus d’influence au moral qu’on ne l’imagine. […] C’était le temps des mystifications, et on en imagina une qui parut de bonne guerre à cette vive et légère jeunesse.

654. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre sixième. La volonté — Chapitre premier. Existence de la volonté »

Là-dessus, Bastian s’imagine toucher aux « sources de la volonté151 » ; et il s’empresse de conclure que la force qui produit « les contractions musculaires » n’est autre que la force développée par les centres sensitifs, visuels ou auditifs. […] Outre les centres moteurs spéciaux, on a imaginé aussi des centres spéciaux d’inhibition.

655. (1888) La critique scientifique « La critique et l’histoire »

Et l’on aura compris que ces procédés de synthèse, l’agrégation qu’ils opèrent entre le grand artiste et ses admirateurs, le but auquel ils tendent de décrire les périodes et les nations par l’assemblage de groupes caractérisés en leur premier auteur, conduisent à imaginer en général pour l’histoire entière, politique, religieuse et militaire, une théorie nouvelle et moyenne entre celles qui ont cours dans ce siècle. […] Que cette analogie soit simplement celle qui existe entre tous les êtres animés comme pour certaines notions expérimentales rudimentaires, qu’elle soit celle de tous les êtres humains, comme pour certaines lois très simples de morale, qu’elle unisse la race, la cité, la nation, ou qu’infiniment plus marquée, elle associe un groupe d’individus pris au hasard, dans une admiration ou dans une tâche commune, c’est elle qui établit entre fauteur et les exécuteurs d’un dessein, entre fauteur et les partisans d’une œuvre, le lien qui fait participer à la réussite de l’un comme de l’autre, celui qui le conçut, mais fut impuissant à l’exécuter, et ceux qui exécutèrent, mais ne l’auraient imaginé, — celui qui la forma mais n’aurait pu faire revivre cette forme muette dans de chaudes âmes humaines, et ceux qui la prirent, l’adoptèrent, la couvèrent, la reproduisirent dans leur esprit, mais n’eussent pu la concevoir et l’exprimer.

656. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre I. Shakespeare — Son génie »

En 1804, l’auteur d’une de ces Biographies universelles idiotes où l’on trouve moyen de raconter l’histoire de Calas sans prononcer le nom de Voltaire, et que les gouvernements, sachant ce qu’ils font, patronnent et subventionnent volontiers, un nommé Delandine, sent le besoin de prendre une balance et de juger Shakespeare, et, après avoir dit que « Shakespear, qui se prononce Chekspir », avait, dans sa jeunesse, « dérobé les bêtes fauves d’un seigneur », il ajoute : « La nature avait rassemblé dans la tête de ce poëte ce qu’on peut imaginer de plus grand, avec ce que la grossièreté sans esprit peut avoir de plus bas. » Dernièrement, nous lisions cette chose écrite il y a peu de temps par un cuistre considérable, qui est vivant : « Les auteurs secondaires et les poètes inférieurs, tels que Shakespeare  », etc. […] Le poëte philosophe parce qu’il imagine.

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