La littérature française, c’est l’idéal de la vie humaine, dans tous les pays et dans tous les temps ou plutôt c’est la réalité dont on a retranché les traits grossiers et superflus, pour nous en rendre la connaissance à la fois utile et innocente. L’art français, dans la plus grande étendue du sens qui appartient à ce mot, c’est l’ensemble des procédés les plus propres à exprimer cet idéal sous des formes durables. Deux ordres de vérités constituent cet idéal : les vérités simples ou philosophiques qui constatent ce qui se fait, et les vérités morales, ou du devoir, qui établissent ce qu’il faut faire. […] N’est-elle pas, de toutes les langues modernes, celle qui se rapproche le plus de cet idéal d’une langue algébrique rêvé autrefois par de grands esprits, pour unir entre elles toutes les intelligences cultivées dans tous les pays ? […] L’objet de cette histoire étant l’esprit français, défini, autant qu’il a été en nous, par tout ce qu’il n’est pas et n’a pas pu être, considéré comme l’idéal de la vie pratique comparé à l’esprit ancien, distingué de l’esprit des autres nations modernes, montré dans le génie même et les conditions de la langue française, il reste à savoir qui nous éclairera et nous guidera dans cette étude.
La signification réelle et idéale du Trésor des Nibelungs y est traitée à fond ; ensuite, dans un chapitre intitulé « Transformation du contenu idéal de la légende du Trésor des Nibelungs en la légende du Saint Gral », Wagner montre la connexité des deux. […] Ainsi, vous vous voyez — peut-être pour la première fois de votre vie d’artistes, — appelés à vouer vos forces à un but idéal d’art, c’est-à-dire à montrer au public allemand ce dont l’Allemand est capable en son art, et en même temps à montrer aux étrangers, desquels nous avons vécu jusqu’à présent, une chose qu’ils ne pourront pas imiter. […] J’attends donc votre décision pour pouvoir vous compter parmi ceux qui, en s’obligeant volontairement pour la réalisation d’un idéal artistique nouveau, veulent se réunir à une association de la plus précieuse signification. […] Parsifal, c’est nos désirs, nos vouloirs, nos regrets, nos vouloirs éteints, l’homme réel : et, par le tout divin langage des musiques (à notre faiblesse facilité par le symbole des gestes et des mots), c’est, vécue, la vie qu’il faut vivre, — expliquée, l’explication, — une formule inventée au très vieil idéal. » 32.
Non seulement la littérature naturaliste est déterminée par la science, mais elle n’en est que le prolongement, elle s’identifie avec elle ; elle est de la science elle-même, si j’en crois cette phrase : « Nous continuons, je le répète, la besogne du physiologiste et du médecin, qui ont continué celle du physicien et du chimiste… Dès lors nous entrons dans la science. » Et cela, à mesure que l’idéal, qui « nous vient de nos premières ignorances », recule et décroît. […] Autant Zola avait aimé la vie, autant ils la bafouaient comme une broyeuse d’idéal. […] Elle a nettement préféré aux documents humains l’idéal détaché de tout organisme ; elle a tenté de rompre ses liens avec le monde, attirée par les sommets spirituels. […] Pour moi le monde religieux, divin, idéal, quoique latent uniquement dans l’humanité, a une existence aussi réelle que la chimie ou tout autre ordre de phénomènes ; et la gloire des savants consiste en cela qu’ils ouvrent les voies à une théologie plus splendide, à des chants plus divins que la théologie et les chants du passé15. […] Que ce soit par lui-même ou par d’autres, ce que nous désirons, après tout, c’est voir son œuvre acharnée de réaliste s’épanouir, se multiplier, éclore partout, envahir, submerger le monde encore pourri de faux idéal écraser comme sous un prodigieux marteau les fadaises, les rÉdites et les conventions au milieu desquelles nous nous débattons.
C’est là l’idéal de l’explication. […] Quand on personnifie l’idéal, qu’on en fait un être vivant et conscient, la tendance à l’idéal devient le sentiment religieux. […] C’est un simple concept de l’esprit, un idéal qu’il se forme. […] Donner une forme à l’idéal esthétique, c’est l’œuvre de l’art. […] Mais il n’est pas un art s’il proscrit l’idéal.
C’est une seconde, et grave, et profonde atteinte à l’idéal classique, la première étant, nous l’avons vu, l’abandon de la tradition. […] Ou, en d’autres termes, aussi longtemps que l’idéal classique a dominé sur l’esprit français, et que, comme on l’a vu, notre littérature, tout en étant « sociale », est demeurée « nationale » nous n’avons pas subi l’influence-anglaise, mais quand l’idéal classique a commencé de se déformer, l’influence anglaise a passé aussitôt par la brèche, qua data porta, et elle est devenue souveraine. […] Entre 1730 et 1750 la pensée anglaise a tout justement agi sur nos François par ce qu’il y avait en elle de moins analogue, de plus contraire, de plus hostile même à l’idéal classique. […] Il ne se pouvait guère d’idée plus contraire à l’humanisme, puisqu’elle en est la contradiction même, ni qui portât en conséquence une plus grave, une dernière et mortelle atteinte à l’idéal classique. […] Rien d’humain n’est éternel, et quelque effort qu’il fasse pour fixer son objet sous l’aspect de l’éternité, tout idéal d’art participe de la caducité de l’espèce.
On dirait qu’il cherche des couleurs pour sa palette épuisée et un nouvel idéal, afin de remplacer l’idéal perdu. […] C’est une foi qui tient du rêve, un regard éperdu et sombre jeté sur les gouffres de l’infini, l’espoir d’y trouver cet idéal qu’on a poursuivi ici-bas, sans que la distinction entre l’idéal humain et l’idéal divin soit clairement marquée. […] Si la réalité est au fond, l’idéal est venu dorer d’un de ses rayons la réalité. […] Raoul de Chalys, le héros du livre avec Sibylle, est entre le réel et l’idéal. […] Victor Hugo a brodé sur cet évêque réel un évêque idéal, ce qui est le droit des peintres et des poètes.
S’il nous fallait pourtant nous prononcer, nous dirions qu’à part la forme idéale, harmonieuse, unique, où un art divin s’emparant d’un sentiment humain le transporte, l’élève sans le briser, et le peint en quelque sorte dans les cieux, comme Raphaël peignait au Vatican, comme Lamartine a fait pour Elvire, à part ce cas incomparable et glorieux, toutes les formes intermédiaires nuisent plus ou moins, selon qu’elles s’éloignent du pur et naïf détail des choses éprouvées. […] Elle est un peu grasse, s’il faut le dire, ce qui n’est pas méprisable assurément, mais ce qui nuit quelque peu à l’idéal. […] Quoi qu’il en soit, la nuit de la visite et du départ d’Ernest, Mlle de Liron, pâle, en robe blanche, à demi pâmée d’effroi, ses grands cheveux noirs, que son peigne avait abandonnés, retombant sur son visage, et ses yeux éclatant de la vivacité de mille émotions, Mlle de Liron, en ce moment, était au comble de sa beauté et atteignait à l’idéal ; c’est ainsi qu’Ernest la vit, et qu’elle se grava dans son cœur. […] » Ernest est parfait, mais il n’est pas idéal ; mais, après cette amère et religieuse douleur d’une amie morte pour lui, morte entre ses bras, après cette sanctifiante agonie au sortir de laquelle l’amant serait allé autrefois se jeter dans un cloître et prier éternellement pour l’âme de l’amante, lui, il rentre par degrés dans le monde ; il trouve moyen, avec le temps, d’obéir à l’ordre de celle qui est revenue à l’aimer comme une mère ; il finit par se marier et par être raisonnablement heureux.
Du moins, même chez les meilleurs, ce qu’on appelle le progrès de la vie est bien inférieur à ce premier idéal que réalisa un moment la jeunesse. […] Elle en est dès longtemps à ce qu’elle nomme ses fredaines de raisonnement : « L’universalité m’occupe, la belle chimère de l’utile (s’il faut l’appeler chimère) me plaît et m’enivre. » Elle juge en philosophe sa dévotion d’hier, et se l’explique : « C’est toujours par elle que commence quelqu’un qui à un cœur sensible joint un esprit réfléchi. » Son idéal d’amitié pourtant, avec la pieuse et indulgente Sophie, ne reçut point de ralentissement de ce côté-là. […] Quel fut, entre tous, le préféré, le premier mortel qui rencontra, qui traversa, ne fût-ce qu’un instant, l’idéal encore intact d’un si noble cœur ? […] Quelques légèretés qu’on raconta de lui s’y ajoutèrent pour compromettre l’idéal.
L’homme idéal, celui qui viendra à la fin des temps, comme il saura et concevra également toutes choses, n’aura sans doute presque plus de personnalité intellectuelle ; et il n’aura que des passions, des vices et des travers fort atténués. […] A l’idéal ainsi conçu il compare les œuvres des écrivains et les exalte ou les malmène selon qu’elles s’en rapprochent plus ou moins. Au reste, il isole ces œuvres, néglige le plus souvent la personne même des écrivains ; ou, s’il en parle, c’est pour leur attribuer, au nom du libre arbitre, le mérite ou le déshonneur d’avoir servi ou trahi l’idéal littéraire dont il a posé au commencement la définition. […] Bourget finit par atteindre tout au fond des âmes qu’il étudie, c’est toujours (quelque forme qu’il revête et de quelques nuances qu’il s’enrichisse en affleurant à la surface) le sentiment de la nécessité des choses — ou de la disproportion entre l’idéal et la réalité, entre notre rêve et notre destinée.
« C’est une étrange entreprise que de faire rire les honnêtes gens. » « Faire rire » (on dédoubla, pour le tragique) « faire pleurer les spectateurs », voilà l’idéal soufflé chaque jour aux écrivains de théâtre. […] Du théâtre pour rire et pleurer les inaccessibles idéaux sont le guignol et la guillotine. […] Peut-être serons-nous plus heureux, sachant nous élever au-dessus de l’idéal objectif des Barberous de théâtre. […] Jamais une cité réelle n’approcha davantage de l’idéale république de Platon.
Rousseau lui-même, quoique ce soit là une beauté dans son genre et taillée sur le patron de son idéal, sent bien le défaut. […] Elle voudrait faire du misanthrope vieilli et infirme un Saint-Preux véritable, un Saint-Preux idéal, tout âme et tout esprit, toute flamme. […] Son amour était celui de l’idéale beauté, du fantôme auquel lui-même prêtait, vie et flamme : c’était ce fantôme seul, tiré de son sein, et formé d’un ardent nuage, qu’il aimait, qu’il embrassait sans cesse, à qui il donnait chaque matin ses baisers de feu, sur qui il plaçait, en les rassemblant, ses rares souvenirs de bonheur ; et quand il se présenta une femme réelle qui eut l’orgueil de lui montrer l’objet terrestre de son idéal et de lui dire : Je suis Julie, il ne daigna point la reconnaître ; il lui en voulut presque d’avoir espéré se substituer à l’objet du divin songe.