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339. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — I » pp. 39-56

L’année suivante, Villars continua de servir encore quelque temps en Allemagne sous Turenne, qui l’apprécia, et qui dit qu’il le fallait faire colonel le plus tôt possible ; puis il passa en Flandre, sous Condé, de qui il eut pareillement l’honneur d’être distingué. […] Peu après, le maréchal de Luxembourg ayant emporté l’abbaye de Piennes et gagné le champ de bataille, mais voyant la droite des ennemis se retirer sans perte, ne put s’empêcher de dire à Villars : « Je voudrais que le cheval de Chamlay eût eu les jambes cassées quand il vous apportait ce maudit ordre. » Villars ne raconte sans doute dans ses Mémoires que ce qui peut lui faire honneur, et il ne serait pas plus juste de le suivre en tout aveuglément que de s’en remettre à Saint-Simon contre lui ; mais dans tout ceci il n’est rien qui ne réponde à la suite de sa carrière et que ne confirment ses futurs succès. […] À l’un de ses retours en France, le roi l’accueillit avec bonté et « lui fit l’honneur de lui dire qu’il l’avait toujours connu pour un très brave homme, mais qu’il ne l’avait pas cru si grand négociateur. » Mme de Maintenon lui fit aussi un accueil très obligeant ; le jour même de son arrivée, elle le mena à une comédie que l’on représentait à Saint-Cyr devant le roi ; et où il n’y avait que peu d’élus (1687), Enfin Villars fut des Marly. […] Louis XIV, la première fois qu’il le revit après cet accident, « lui fit l’honneur de lui dire qu’il avait trop bonne opinion de l’étoile du marquis de Villars pour croire qu’il eût pu périr d’une chute dans les fossés de Bâle. » Dans les années de guerre qui suivirent et qui ne se terminèrent qu’à la paix de Riswick, Villars, d’abord commissaire général de la cavalerie, puis maréchal de camp, puis lieutenant-général et gouverneur de Fribourg en Brisgau, continua de se distinguer ; mais il souffrait beaucoup de l’inaction où l’on restait trop souvent avec de fortes armées, et se plaignait de ces campagnes trop peu remplies d’événements.

340. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « L’abbé de Marolles ou le curieux — I » pp. 107-125

Il y avait encore, disait-il, à voir les titres du grand cabinet, ceux du trésor de l’hôtel de Nevers, et enfin une table générale devenait indispensable pour ces derniers inventaires ; on lui demanda ce nouvel effort, et il s’y mit : « L’affection que j’ai toujours eue pour cette princesse ne m’a rien fait trouver de difficile ni d’ennuyeux, où il s’agissait de son service, et puis j’étais bien aise d’avancer toujours dans ma curiosité, pour y faire de nouvelles conquêtes quand l’occasion s’en offrait. » Depuis qu’il eut son logement en ce lieu d’honneur et d’étude, il semble qu’il ne lui manquait plus rien. […] Dans un voyage avec la princesse, en passant à Amiens, comme on présentait parmi les reliques le chef de saint Jean-Baptiste à baiser, il s’en approcha après elle et, sur son invitation, fit de même, tout en disant à demi-voix de cette tête du saint : « C’est la cinq ou sixième que j’ai l’honneur de baiser. » Il raconte avec complaisance en ses mémoires ce propos dont il est tout fier. […] Tout en envisageant ces dignités ecclésiastiques d’une manière beaucoup trop mondaine, il eut pourtant le bon sens de reconnaître ses limites et de sentir qu’il n’avait rien de la capacité ni de la vocation épiscopale : « Car pour en dire la vérité, bien que je tinsse à honneur d’avoir été proposé pour un état si sublime, si est-ce que, ne m’en trouvant pas digne, je me contentais seulement d’avoir donné sujet d’en parler. » C’était déjà, en effet, beaucoup d’honneur pour lui qu’on eût songé, un moment, à en faire un évêque.

341. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Essais de politique et de littérature. Par M. Prevost-Paradol. »

Prevost-Paradol, honneur de l’Université, n’avait point à se plaindre de ceux qui la régissent. […] On dirait que son intérêt et sa passion, son point d’honneur et son engagement sont ailleurs. […] Avoir un Credo absolu en politique, affiché et proclamé d’avance, est chose spécieuse et qui fait honneur devant bien du monde ; j’y verrais, moi, au contraire, moins de sûreté et de force que de faiblesse. […] Si l’on pouvait un moment avoir raison de la passion et du système qui s’identifient dans les intelligences élevées avec une idée exagérée de dignité et d’honneur, je ne demanderais qu’une chose aux esprits restés politiques ou destinés à le devenir : ne retombons pas dans la même faute qu’ont faite, sous la Restauration et sous le régime des dix-huit ans, les générations obstinées et excessives ; ne soyons pas, de parti pris, et au nom d’un principe, irréconciliables.

342. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « La Grèce en 1863 par M. A. Grenier. »

« Il n’y a pas, me dit un connaisseur, dans cette brave langue d’un esprit fier un mot qui ne soit vivant, brillant, brûlant de poésie. » Et encore, dans le chant troisième de Don Juan, il faudrait détacher cette suite de ravissants couplets, l’hymne en l’honneur des Iles de la Grèce, encadré dans d’autres stances d’une amère et méprisante ironie. […] Ce qu’il faut dire à son éternel honneur, c’est qu’il partit prévoyant sa fin, ne se faisant pas plus illusion alors que le premier jour sur le caractère et les défauts de ceux qu’il allait servir, s’étant tout dit sur les lenteurs et les misères de tout genre inhérentes à une telle entreprise : « Je n’ai pas de bourdonnement poétique aux oreilles, je suis trop vieux pour cela ; des idées de ce genre ne sont bonnes que pour rimer. » — « Je ne m’aveugle pas sur les difficultés, les dissensions, les défauts des Grecs eux-mêmes ; mais il y a des excuses pour eux dans l’âme de tout homme sensé. […] Rends honneur à tout, à l’antiquité, aux hauts faits du passé, aux fables elles-mêmes…, etc. » Le précepteur et professeur peut continuer longtemps sur ce ton : le spirituel élève d’Athènes, à peine débarqué, songea bien vraiment à ces recommandations de ses maîtres ! […] Tâchons, pour l’honneur du drapeau, nous qui soutenons la retraite, que ce soit le plus tard possible, et que la nouveauté-dans les lettres, — cette nouveauté en partie si légitime, — ne batte pourtant pas à plate couture la tradition.

343. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Les cinq derniers mois de la vie de Racine. (suite et fin.) »

Racine que j’ai l’honneur d’accuser la réception de votre lettre du 14 avril et que j’ai, monsieur, la douleur de vous écrire qu’au bout de quarante-cinq jours d’une patience très-exemplaire, Dieu nous l’a ôté ce matin entre 3 et 4. […] A mon retour j’aurai l’honneur de vous entretenir plus amplement. […] Je crois avoir eu l’honneur de vous mander qu’il n’avait point fait d’autre testament que pour demander sa sépulture dans le cimetière (des domestiques) de Port-Royal des Champs au pied de la fosse de M.  […] A quoi il ajoute qu’il supplie très-humblement la Mère Abbesse et les Religieuses de vouloir bien lui accorder cet honneur, quoiqu’il s’en reconnaisse, dit-il, très-indigne et par les scandales de sa vie passée et par le peu d’usage qu’il a fait de l’excellente éducation qu’il a reçue autrefois dans cette maison, et des grands exemples de piété et de pénitence qu’il y a vus, et dont il avoue n’avoir été qu’un stérile admirateur ; mais que plus il a offensé Dieu, plus il a besoin des prières d’une si sainte Communauté, qu’il supplie aussi de vouloir bien accepter une somme de 800 livres qu’il a ordonné (par le même acte olographe du 10 octobre 1698) qu’on lui donnât après sa mort.

344. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [I] »

Puis les haines, les vengeances, le point d’honneur, éternisèrent les guerres entre les familles, les tribus. […] L’idée personnelle de gloire chez les souverains comme Louis XIV dénatura bientôt ce qu’il y avait eu de légitime et d’équitable dans la pensée d’un Richelieu : ce règne superbe eut pourtant l’honneur d’offrir l’exemple du plus beau talent et de la plus haute vertu militaire dans Turenne. […] Le maréchal Ney, auquel il s’adressa ensuite, eut l’honneur le premier de le comprendre, de l’accueillir ; non seulement il lui avança des fonds pour l’impression de son livre, mais il lui offrit de l’emmener au camp de Boulogne comme volontaire, lui promettant de le faire nommer plus tard son aide de camp. […] Ayant eu moi-même l’honneur de connaître dans les dernières années le général Jomini, j’ai plus d’une fois entendu de sa bouche le récit des principaux événements qu’il avait à cœur d’éclaircir, et il le faisait presque dans les mêmes termes qu’on retrouve sous la plume du colonel Lecomte.

345. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Jean-Baptiste Rousseau »

On lui a fait honneur, et Chaulieu l’a félicité agréablement, d’avoir refusé une place dans les Fermes, que lui offrait le ministre Chamillart ; mais ce refus nous semble moins tenir à des principes d’honorable indépendance, qu’au goût qu’avait Rousseau pour la vie de Paris et les tripots littéraires. […] Dès le début, il voudrait nous faire croire qu’il est en lutte avec le génie comme avec Protée ; mais tout cet attirail convenu de regard furieux, de ministre terrible, de souffle invincible, de tête échevelée, de sainte manie, d’assaut victorieux, de joug impérieux, ne trompe pas le lecteur, et le soi-disant inspiré ressemble trop à ces faux braves qui, après s’être frotté le visage et ébouriffé la perruque, se prétendent échappés avec honneur d’une rencontre périlleuse. […] la première fois que j’eus l’honneur d’être présenté à M. de Chateaubriand, il me reprit tout d’abord sur cet article ; la première fois que j’eus l’honneur de voir M.

346. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Le maréchal Marmont, duc de Raguse. — III. (Suite et fin.) » pp. 47-63

Il porta son malheur jusqu’à la fin avec un mélange de dignité, de fierté même, de philosophie et de tristesse, de tristesse au fond, de distraction et de facilité à la surface, et toujours avec honneur. […] Quand ce cours de trois mois fut terminé, le maréchal annonça qu’il n’aurait plus l’honneur de voir aussi régulièrement le prince ; celui-ci lui fit promettre pourtant de revenir aussi souvent qu’il le pourrait. […] Mais ici la méfiance, déjà propre à cette jeune nature, se marqua à l’instant ; sa physionomie se ferma : « Mais je ne connais personne à Paris », répondit-il ; — et après une pause d’un instant : « Je n’y connais plus que la colonne de la place Vendôme. » Puis s’apercevant qu’il avait interprété trop profondément une parole toute simple, et pour corriger l’effet de cette brusque réponse, il envoya le surlendemain à M. de La Rue, qui montait en voiture, un petit billet où étaient tracés ces seuls mots : « Quand vous reverrez la Colonne, présentez-lui mes respects. » Au maréchal Marmont, comme à toutes les personnes avec qui il parlait de la France, le jeune prince exprimait l’idée qu’il ne devait, dans aucun cas, jouer un rôle d’aventure ni servir de sujet et de prétexte à des expériences politiques ; il rendait cette juste pensée avec une dignité et une hauteur déjà souveraines : « Le fils de Napoléon, disait-il, doit avoir trop de grandeur pour servir d’instrument, et, dans des événements de cette nature, je ne veux pas être une avant-garde, mais une réserve, c’est-à-dire arriver comme secours, en rappelant de grands souvenirs. » Dans une conversation avec le maréchal, et dont les sujets avaient été variés, il en vint à traiter une question abstraite ou plutôt de morale, et comparant l’homme d’honneur à l’homme de conscience, il donnait décidément la préférence à ce dernier, « parce que, disait-il, c’est toujours le mieux et le plus utile qu’il désire atteindre, tandis que l’autre peut être l’instrument aveugle d’un méchant ou d’un insensé ». […] Les restes du maréchal Marmont, arrivés à Châtillon-sur-Seine le 3 mai 1852, y ont été reçus avec tous les honneurs militaires dus à son rang, et avec des témoignages unanimes d’affection et de sympathie de la part d’une population qui ne l’avait jamais oublié ni méconnu.

347. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre III. Le Bovarysme des individus »

C’est sur de tels exemples que s’est formé le code de l’honneur. […] Le point d’honneur, tel que le fixe la coutume de chaque nation, prend sur la plupart des consciences individuelles un empire souverain et on y voit l’opinion, glus forte que la nature, déformer et façonner ce qu’il y a de plus intime dans un être, ses instincts. […] Le hara-kiri, au Japon, est une conséquence, plus paradoxale encore et plus extrême que notre duel, des exigences du point d’honneur. […] Il arrive même que des penseurs ingénieux lui fassent honneur de motifs d’admirer très spécieux, que par paradoxe ils découvrent, et que le snob n’eût point soupçonnés.

348. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Appendice à l’article sur Joseph de Maistre »

Deplace prêtait souvent sa plume aux idées et aux ouvrages de ses amis ; pour lui, il ne chercha jamais les succès d’amour-propre, et je ne saurais mieux le comparer qu’à ces militaires dévoués qui aiment à vieillir dans les honneurs obscurs de quelque légion  : c’est le major ou le lieutenant-colonel d’autrefois, cheville ouvrière du corps, et qui ne donnait pas son nom au régiment. […] En vérité l’ouvrage est à vous autant qu’à moi, et je vous dois tout, puisque sans vous jamais il n’aurait vu le jour, du moins à son honneur. » M. de Maistre revient à tout propos sur cette obligation, et d’une manière trop formelle pour qu’on n’y voie qu’un remercîment de civilité obligée. […] Je ne dis pas cependant que, dans ce genre comme dans un autre, il n’y ait beaucoup de vérité dans le proverbe : A tout seigneur tout honneur, ajoutons seulement sans esclavage.

349. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Jean-Baptiste Rousseau, et Joseph Saurin. » pp. 28-46

C’est une des horreurs les plus capables de faire honneur à l’esprit d’un poëte & de faire tort à son cœur. […] Tous les amis de Saurin tremblèrent pour lui : mais il parvint à sauver son honneur & sa fortune, graces au soin qu’il eut de gagner des personnes puissantes & qu’il sçavoit lui être contraires : de faire valoir le contraste de ses mœurs & de celles de son ennemi, de répéter qu’il n’avoit jamais fait qu’une chanson pour une de ses maîtresses. […] Mais ce poëte, retenu par un point d’honneur, demanda qu’on revît auparavant son procès.

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