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323. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers. Tome IXe. » pp. 138-158

Sa méthode d’exposition, si développée et si lumineuse, ne nous dérobe rien des erreurs et de leurs conséquences ; il en traite comme il avait fait précédemment pour les parties heureuses, et ne laisse rien dans l’ombre. […] Un haut sentiment de moralité militaire anime ces pages ; on sent combien l’historien souffre d’avoir à raconter ce premier désastre ; mais il l’a sondé hardiment, et il s’estime encore heureux de n’avoir à y constater, après tant de calomnies, qu’un immense malheur. L’infortuné général Dupont, dit-il de lui au moment de la trêve qu’il vient d’obtenir, jusque-là si brillant, si heureux, rentre dans sa tente, accablé de peines morales qui le rendent presque insensible aux peines physiques de deux blessures douloureuses. […] On commençait à n’être plus heureux, et, si l’un se trompait, l’autre aggravait sa faute. […] Combien je me trouverais heureux d’aller planter mes choux, si toutefois les choses doivent rester dans l’état où elles sont !

324. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Œuvres de Barnave, publiées par M. Bérenger (de la Drôme). (4 volumes.) » pp. 22-43

Il faut citer cette page heureuse par laquelle il prend place entre Vauvenargues et André Chénier, ses frères naturels, morts au même âge, qu’on aime à lui associer pour le talent et pour le cœur comme pour la destinée. […] La sympathie de nos cœurs calmait le sien ; je lui montrais notre Du Gua (c’est le nom de son frère) plus heureux que nous, heureux, si nos cœurs lui étaient connus, de toutes les traces qu’il y a laissées. […] En finissant, il n’a pas l’air de croire avec bien de la certitude à la persistance de la pensée au-delà de cette vie : Mes bonnes amies, l’espoir que vous parviendrez à une existence heureuse embellira mes derniers moments, il remplira mon cœur. […] Songez que j’ai fait un voyage éloigné, que je ne souffre pas, que si je pouvais sentir, je serais heureux et content, pourvu que vous le soyez.

325. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur Théodore Leclercq. » pp. 526-547

Le peu qu’on trouve à en dire ne sert que mieux à marquer la nature et l’originalité heureuse de son talent. […] » Le poète, quelque part, appelle heureux à bon droit celui qui, sachant occuper et charmer son loisir, Ainsi que de talents a jadis hérité D’un bien modique et sûr qui fait la liberté. […] Fillars, méchante gazette de l’endroit, homme envieux, « qui va tout doucement, et qui n’a pas de plus grand plaisir que quand il voit tomber ceux qui voulaient courir plus vite que lui » ; qui est au courant de tout ce qui fait le mal d’autrui, et qui, s’il rencontre des gens heureux, se dit : Je les attends, ce caractère est parfaitement dessiné et mis en jeu. […] Homme heureux, après tout, qui a trouvé son moment sans l’attendre ni le chercher, qui a joui de son esprit et développé son talent en ne recueillant que son plaisir. […] Il sentait, après tout, qu’il avait été heureux.

326. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « M. Fiévée. Correspondance et relations avec Bonaparte. (3 vol. in-8º. — 1837.) » pp. 217-237

Fiévée eut l’heureuse idée de se distraire en écrivant La Dot de Suzette, ou Histoire de Mme de Senneterre racontée par elle-même (an VI), un de ces petits romans qui font, en France, la réputation d’un homme grave plus vite que ne feraient vingt brochures sérieuses. […] Quoi qu’il en soit, La Dot de Suzette fut une heureuse quinzaine dans sa vie. […] Cette prison amena précisément un résultat heureux, et M.  […] À la manière dont il y jugeait Rousseau, Voltaire, Mably, Raynal, Helvétius et tutti quanti, on sentait un esprit singulièrement dégagé de toute superstition envers les grandes illustrations littéraires : « Heureux, disait-il en concluant, heureux ceux qui n’ont pas fermé les yeux sur les événements pour ne les ouvrir que sur les livres ! 

327. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « M. Necker. — I. » pp. 329-349

Necker, enrichi par d’heureuses opérations et encore jeune, ayant épousé Mlle Curchod qui avait le culte de l’esprit, eut à Paris, dès 1765, une maison qui devint presque aussitôt le rendez-vous des philosophes et des littérateurs les plus célèbres. […] Il pensait qu’il était difficile à chacun d’avoir de soi-même l’opinion qu’il en doit avoir : Les hommes qui ont une parfaite opinion d’eux-mêmes sont des heureux ridicules. […] Necker pose en principe que, « pour être heureux, il faut être un sot ». La sottise, selon lui, est comme ce premier vêtement de peau que Dieu fit à Adam et à Ève avant de les chasser du Paradis : « Cette robe de peau qui doit couvrir notre nudité, ce sont les erreurs agréables, c’est la douce confiance, c’est l’intrépide opinion de nous-mêmes ; dons heureux auxquels notre corruption a donné le nom de sottise, et que notre ingratitude cherche à méconnaître. » Et il énumère tous les trésors qui y sont renfermés. […] Malgré cette restriction qui ne vint qu’après coup, la théorie générale subsiste, et il y a décidément un proverbe qui manque : Heureux comme un sot.

328. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « M. Necker. — II. (Fin.) » pp. 350-370

Or, cette idée heureuse et réparatrice, qui remet jusqu’à un certain point l’équilibre, il ne peut la découvrir que dans une obligation de bienfaisance d’une part, de patience et de soumission de l’autre, dans un esprit général de charité mis en recommandation parmi les hommes. […] Il définissait l’idée chrétienne « la plus heureuse des persuasions et la plus sublime des pensées ». […] Necker, dans la teneur morale de sa vie, doit sembler plus d’accord avec ses doctrines religieuses que ne le fut avec les siennes le brillant et fragile auteur de tant d’écrits passionnés : mais l’idée du Génie du christianisme (je le prouverai un jour par une pièce décisive que j’ai été assez heureux pour rencontrer) fut sincère à l’origine et réellement conçue dans les larmes d’une pénitence ardente, bien que trop tôt distraite et dissipée. […] que je fus heureux ce jour-là ! […] que j’étais heureux en retournant à Versailles !

329. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre v »

ne cesse-t-il de leur répéter, en fin de compte, c’est un enrichissement d’images et de sensations :‌ Je suis heureux comme un homme à qui l’on offrirait une touffe de roses à respirer. […] Certes, il est heureux qu’à côté de lui il y ait eu Péguy, Psichari, Marcel Drouet, et les jeunes Léo Latil, Jean Rival Cazalis, enfants tout lumineux. […] Pour ma part je vous en donne ma parole d’honneur et de soldat, j’étais heureux sans calcul, heureux de me battre pour mon pays que j’aimais… Tous mes amis à qui j’ai dit au revoir, sans me douter que c’était un adieu, avaient la joie au cœur à l’idée de reprendre cette Alsace dont nous sommes pour la plupart originaires.‌ […] Et je veux vous le dire aussi, le Dieu infiniment puissant et miséricordieux, dans lequel nous croyons tous, quoique différents de religion, dans lequel votre fils croyait (il me l’a dit), a pris auprès de lui, je l’espère, l’âme droite et loyale, qui s’est sacrifiée pour le devoir, et il l’a prise pour l’immortalité… J’ai prié du fond de mon cœur hier, aujourd’hui, ce Dieu de miséricorde, de recevoir votre fils auprès de lui, et de vous réunir à lui, quand le temps sera venu pour une réunion éternelle et heureuse… Puisse cette parole d’un ministre de Dieu, non pas calmer votre douleur, mais vous apporter l’espérance, soutenir votre courage, vous aider à supporter le sacrifice.

330. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Madame de Verdelin  »

Notre confiance était la même ; les idées nouvelles, depuis plus d’un an, n’avaient pas apporté de gêne ; au contraire, nous étions plus heureux. […] Une de ses filles marquait une intelligence avancée : « Elle serait fort propre à faire une femme savante : beaucoup de facilité et de pénétration d’esprit, dit-on ; mais cela rend-il heureuse ? […] la plus heureuse, c’est celle qui donne de la bouillie à ses enfants et en est caressée, qui conduit son ménage avec application. […] L’heureux ne sait s’il est aimé, dit un poète latin ; et moi, j’ajoute : L’heureux ne sait pas aimer. […] monsieur, dit-elle, soyez heureux. » Il le fut, ou crut l’être ; et voilà tous les hommes !

331. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIIIe entretien. De la littérature de l’âme. Journal intime d’une jeune personne. Mlle de Guérin » pp. 225-319

« Pour le moment tout est au calme, le dehors et le dedans, l’âme et la maison : état heureux, mais qui laisse peu à dire, comme les règnes pacifiques. […] « Demain je prierai pour que tu sois heureux, pour papa, pour Mimi, pour Éran, pour tous ceux que j’aime. […] Je l’ai passé devant Dieu en regrets et en espérances ; tout en pleurant, je lève les yeux et vois le ciel où ma mère est heureuse sans doute, car elle a tant souffert ! […] aurons-nous besoin de rien d’ici-bas, là-haut, pour être heureux ?  […] C’est notre sort à tous, il faut être jeté en terre et pourrir dans les sillons de la mort avant d’arriver à la floraison ; mais, alors, que nous serons heureux de vivre et même d’avoir vécu !

332. (1856) Cours familier de littérature. I « Ier entretien » pp. 5-78

Je résolus de me passer de la nature imaginaire et de peindre le printemps dans les impressions, dans le cœur et dans les travaux des villageois, tel que je l’avais vu pendant mes heureuses années d’enfance, au hameau où j’avais grandi. […] Il fallait que cela fût ainsi pour qu’un solitaire qui avait traversé les foules et les bruits du monde pût se trouver plus heureux dans la société de ces morts que dans la société des vivants. […] L’homme littéraire lui-même n’est pas heureux. […] Heureux les hommes qui meurent à l’œuvre, frappés par les révolutions auxquelles ils furent mêlés ! […] je vis quelquefois heureux de vivre, quoique attaché à ce pilori du travail forcé qui ne déshonore pas, mais qui tue.

333. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — I » pp. 56-70

Sa prétention est d’avoir toujours été heureux là où il commandait, de n’avoir jamais été battu. […] Il fait en cette occasion un retour sur lui-même et sur cette prétention, qui est la sienne, d’avoir toujours été un des plus heureux et des plus fortunés hommes entre tous ceux qui aient porté les armes, ce qui est bien aussi une manière de vanité : « Et si (et pourtant), dit-il, n’ai-je pas été exempt de grandes blessures et de grandes maladies ; car j’en ai autant eu qu’homme du monde saurait avoir sans mourir, m’ayant Dieu toujours voulu donner une bride pour me faire connaître que le bien et le mal dépend de lui, quand il lui plaît ; mais encore, ce nonobstant, ce méchant naturel, âpre, fâcheux et colère, qui sent un peu et par trop le terroir de Gascogne, m’a toujours fait faire quelque trait des miens, dont je ne suis pas à me repentir. […] François Ier, à l’approche de cette guerre nouvelle, a l’idée d’établir des compagnies légionnaires, invention heureuse qui, si elle avait été maintenue, aurait procuré dès lors une bonne armée permanente. […] Dans l’invasion de la Provence par Charles-Quint (1536), il se signale par un coup de main heureux et qu’il raconte avec complaisance ; car c’est par là qu’après cette interruption pénible, lui qui ne hait rien tant que sa maison et à qui les « jours de paix sont des années », il se remet en train aux choses de guerre et qu’il rafraîchit l’idée de sa réputation que ce temps d’oisiveté et la longueur de sa blessure avaient un peu mise en oubli : « Ce n’est rien, mes compagnons, dit-il, d’acquérir la réputation et un bon nom, si on ne l’entretient et continue. » Il s’agissait d’affamer l’armée de Charles-Quint et de détruire certains moulins d’où il tirait ses farines, notamment les moulins d’Auriole entre Aix et Marseille.

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