Une suite de la vanité grossiere de ces héros, c’est la facilité qu’ils ont à s’offenser les uns les autres ; comme ils ne gardent aucune circonspection dans leur orgüeil, ils ne conservent aussi nulle dignité dans leur colere ; les injures sont aussi familieres dans la bouche des rois que dans celle des soldats, et Thersite ne tient pas contre Agamemnon des discours plus insolens qu’Achille même. […] On ne voit point autour des rois une foule d’officiers ni de gardes ; les enfans des souverains travaillent aux jardins et gardent les troupeaux de leur pere ; les palais ne sont point superbes ; les tables ne sont point somptueuses : Agamemnon s’habille lui-même, et Achille apprête de ses propres mains le repas qu’il donne aux ambassadeurs d’Agamemnon. […] Car il faut bien se garder de confondre l’auteur et l’ouvrage dans le même jugement, puisqu’on ne doit pas les examiner l’un et l’autre par les mêmes régles. […] Gardons-nous donc de conclure de ce qu’il étoit grand conquérant, qu’il étoit aussi bon juge de poësie : raisonnement si ridicule qu’on ne s’en croit pas capable ; mais qu’on ne laisse pas de faire sans y prendre garde ; parceque l’éclat du courage éblouit notre imagination et subjugue, pour ainsi dire, jusqu’à notre jugement. […] Il faut donc se garder d’en rassassier les lecteurs ; et la prudence veut au contraire, que les poëtes françois réduisent le poëme à des bornes plus étroites que ne faisoient les anciens, qu’ils le distribuent même en livres plus courts, afin de ménager plus souvent à l’attention, le repos dont elle a besoin, pour mieux goûter nos vers.
En un mot comme en cent, j’aurais le tort de garder un mètre, et dans ce mètre quelque césure encore, et, au bout de mes vers, des rimes. […] Parbleu, c’est le vôtre et le mien, c’est notre cœur symbolisé, c’est l’éternelle magique forêt des Ardennes, l’enchantée « Arduane Silve » où le galant garde-chasse braconne en personne, où brigande un peu Robin-des-bois, où Titania baise Bottom, où la Belle ne dort que pour mieux s’éveiller ; généralement tendre et plutôt gaie l’ombre du Bois Joli, avec telles clairières éclatantes et bellement sonores, comme ceci qui m’est dédié, dont je raffole et dont je me targue : À PAUL VERLAINE Depuis l’heure divine où j’adorai les roses, Le sommeil de mon cœur s’est à peine éveillé, Je suis resté l’enfant toujours émerveillé Qui croit à la bonté des hommes et des choses, J’ai gardé la fraîcheur de mes yeux de vingt ans. […] Siméon Pécontal : Il naîtra sur un lit de chaume, Et celle qui l’aura porté, Ce roi du céleste royaume, Gardera sa virginité ; Car, à travers sa chaste mère, Passera l’enfant radieux... […] Jamais, pour ne rester que dans un seul ordre d’idées, Saint-Vallier, Ruy Gomez, le vieux Job, ni tel père noble d’avant les Châtiments n’eussent oublié leur dignité, la dignité qu’il faut garder jalousement, après tout, dans la langue des dieux et des lettrés, jusqu’à proférer ces geintes mises de façon si malencontreuse dans la bouche de fer, dans ce que Flaubert eût appelé « le gueuloir » d’un chevalier, d’un prince du xiiie siècle : « M’avoir assassiné ce petit être là ! […] fils d’un boucher, garçon boucher lui-même, « immolant avec pompe », dit un de ses biographes, plus spirituel qu’informé probablement, des veaux, ne devant guère son instruction, après celle sommaire d’une école de village, qu’à des livres de colporteurs, tels que les légendes, contes de fées et romans de chevalerie, Shakespeare, l’aventurier, las de l’étable, fuyant au bois, tel un Corse aux maquis, devenu braconnier, ayant des rixes avec la yenmanry, se réfugiant à Londres (il gardait les chevaux à la porte des théâtres, quasi vendeur de contremarques), promu garçon de coulisses, puis figurant, — dans l’intervalle retapant de vieux drames, puis l’auteur d’Hamlet, de Henri VIII et d’Othello, et mourant enrichi à cinquante-deux ans dans son pays !
Le secret fut bien gardé. […] Quand je dis qu’il le jette, je me reprends, il saura bien en garder toujours quelque chose. […] Thiers le pensait en effet), définissons-la et circonscrivons-la dans toutes ses branches ; usons de tous nos moyens légaux : vous n’aurez pas un seul procès, et eux, ils n’auront plus qu’à faire leurs folies pour leur compte ; gardez-vous d’en douter, ils les feront. » — Cette idée, que je traduis ainsi tout net, s’énonçait en des termes très-approchants au sein même du journal.
La conception n’est pas bien haute : ce Dieu écourté, qui fait son apparition au commencement du dix-huitième siècle, n’est qu’un résidu ; la religion éteinte, il est resté au fond du creuset, et les raisonneurs du temps, n’ayant point d’invention métaphysique, l’ont gardé dans leur système pour boucher un trou. […] Aujourd’hui nous demandons des idées neuves et des sentiments nus ; nous ne nous soucions plus du vêtement, nous voulons la chose ; exordes, transitions, curiosités de style, élégances d’expression, toute la garde-robe littéraire s’en va à la friperie ; nous n’en gardons que l’indispensable ; ce n’est plus de l’ornement que nous nous inquiétons, c’est de la vérité. […] Entre autres souillons assez laides et toujours sales, il finit par garder Élisabeth Cox, si bien qu’il manqua l’épouser : heureusement il mourut à propos.
Il prescrivit au maréchal Davout de bien garder le pont de Naumbourg, et même de le franchir, s’il était possible, pour tomber sur les derrières des Prussiens, pendant qu’on les combattrait de front. […] Quelques femmes qui, d’après leur langage et leurs vêtements, paraissaient être des personnes d’un rang élevé, reçurent autour d’un grand feu ce groupe d’officiers français que, par crainte autant que par politesse, on se serait bien gardé de mal accueillir. […] « Pendant ce temps, il avait lancé sur Lisbonne son principal lieutenant, Masséna, pour aller porter à l’armée anglaise le coup mortel ; et, jugeant au frémissement du continent qu’il fallait garder des forces imposantes au Nord, il formait une vaste réunion de troupes sur l’Elbe, ne consacrait plus dès lors à l’Espagne que des forces insuffisantes, laissait Masséna sans secours perdre une partie de sa gloire, permettait que d’un lieu inconnu, Torrès-Védras, surgît une espérance pour l’Europe exaspérée, qu’il s’élevât un capitaine fatal pour lui et pour nous ; puis, n’admettant pas que la Russie, enhardie par les distances, pût opposer quelques objections à ses vues, il reportait brusquement ses pensées, ses forces, son génie, au Nord, pour y fixer la guerre par un de ces grands coups auxquels il avait habitué le monde et beaucoup trop habitué son âme ; abandonnant ainsi le certain, qu’il aurait pu atteindre sur le Tage, pour l’incertain, qu’il allait chercher entre le Dniéper et la Dwina !
Ses tragédies sont de belles déclamations en vers très imparfaits, dont la scène française n’a gardé que le nom. […] » Goethe se tut, la conversation changea, mais moi je gardai dans mon cœur ces paroles qui exprimaient mes convictions intimes. […] Son puissant front semblait encore garder des pensées.
Shakespeare, qui peut-être pleurait sa jeunesse, l’a revue, et dans sa pensée il a fait du Shakespeare disparu le Roméo immortel, comme peut-être aussi a-t-il fait sa Juliette de quelque autre poussière tombée, mais ramassée et fidèlement gardée dans le creux de son pauvre grand cœur. […] Puisque nous avons vu Lord Byron, le mari coupable, pleurant sa fille Ada, le paradis terrestre des bras d’Ada, dont le Mariage outragé, comme un Archange vengeur, lui ferma l’entrée, pourquoi Shakespeare aussi, malgré les passions qui l’entraînèrent loin de son home abandonné, n’aurait-il pas emporté et gardé l’amour de tous ceux qu’on y laisse ? […] pour avoir gardé incorruptible et ferme, comme l’a fait François Hugo, cette pure notion de Jeanne d’Arc, que les hommes auxquels il se fie le plus peut-être, que Michelet, par exemple, auquel il dédie ce volume, que Henri Martin, auquel il en dédiera peut-être un autre, ont dégradée par des explications grossières ; car il n’y a que nous, qui croyons hardiment au surnaturel, qui pouvons expliquer la surnaturelle personnalité de Jeanne d’Arc !
Thompson, fils d’un ministre, avait gardé sans doute pour ses fraîches peintures bien des réminiscences gracieuses d’enfance. […] Son front a-t-il gardé ce petit pli rêveur Que nous baisions tous deux pour l’effacer, ma sœur, Quand son âme, le soir, au jardin recueillie, Nous regardait jouer avec mélancolie ?
Farcy leur en garda à tous deux une profonde reconnaissance que nous sommes heureux de consigner ici. […] T’intimidais, Attentif à cacher l’or pur que tu gardais !
Le premier chalet et la première usine de cette colonie y portent encore le nom de ma famille qui les a fondés ; les habitants d’aujourd’hui gardent dans leurs souvenirs la reconnaissance qu’ils m’ont plusieurs fois témoignée pour les pères de leur cité qui furent mes pères. […] Ce gentilhomme du Danube déplut aux bords de la Saône ; Napoléon lui offrit le sénat : « Je désire rester simple citoyen, et ne rien engager volontairement de ce que Votre Majesté laisse de liberté à ses sujets, celle de cultiver mes terres en payant mes impôts. — Vous êtes frondeur, dit en riant amèrement Napoléon. — Non, sire, je suis impartial, et je craindrais de cesser de l’être en approchant trop souvent de Votre Majesté. » Cette délicate tournure d’éluder la servitude en éludant la faveur, n’échappa pas à Napoléon ; il sourit, mais il garda rancune à la ville qui lui montrait de telles fiertés d’esprit dans un de ses principaux habitants.
Connaissant mes revers après la révolution de 1848, elle m’écrivit pour m’offrir un asile dans le séjour solitaire que sa fidèle amitié me gardait. […] Il laissait le poil du chevreau en dehors sur la peau, afin qu’elle gardât mieux le son et que la pluie glissât dessus, comme sur la petite bête, sans l’amollir, et de plus c’était lui qui en jouait le mieux et qui essayait l’instrument en le corrigeant jusqu’à ce que l’air sortît aussi juste que la voix sort des ténèbres.