Ils avoient tous trois un génie fort différent ; et je vais tâcher d’en faire connoître la diversité, en rendant raison des moyens que j’ai pris pour imiter leurs ouvrages. […] Rien ne refroidit tant le génie qu’un respect superstitieux pour l’original. […] On doit quelquefois négliger les mots les moins importans, pour enchérir, s’il se peut, sur les essentiels, afin de rendre par ces compensations, plutôt le génie et l’agrément général, que le détail scrupuleux des phrases, toujours languissant et sans grace. […] Ils regardent ceux qui portent ce jugement comme idolâtres d’eux-mêmes, et s’attribuant, au mépris des anciens, une force de raison et une supériorité de génie, qu’ils n’avoient pas. […] Un génie médiocre, formé sur leurs exemples, peut tenir lieu du génie excellent qu’ils ont eu sans autre secours ; et enfin la perfection des ouvrages pourroit être de notre côté, que l’avantage du mérite personnel seroit encore du leur.
L’étude de l’antiquité n’était pas pour lui une simple recherche de curiosité ; il demandait aux anciens des exemples et des leçons, des exemples de l’association intime du bien faire et du bien dire, des leçons de goût, de mesure, d’honnêteté, données avec l’autorité du génie. […] Il ne séparait pas l’antiquité chrétienne de l’antiquité profane ; le génie des Pères de l’Église trouva en lui pour la première fois un digne interprète. […] Parmi les recherches qui conduisent l’esprit humain à la découverte de la vérité, les unes donnent la gloire et l’éclat de la vie ; les autres restent obscures ; mais toutes sont immortelles, — immortelles, même quand elles ne visent qu’à être utiles et qu’elles se renferment dans le cercle étroit des amis de la vérité ; immortelles surtout quand elles ont été, comme celles de notre confrère, éclairées par le rayon du génie.
2º Ce qui prouve que le christianisme parle plus au génie que la fable, c’est qu’en général nos grands peintres ont mieux réussi dans les fonds sacrés que dans les fonds profanes. […] Le Nouveau Testament change le génie de la peinture. […] Mais tant de raisonnements sont inutiles : parcourez la galerie du Louvre, et dites encore, si vous le pouvez, que le génie du christianisme est peu favorable aux beaux-arts.
Ce n’est pas le genre en ceci qui décerne la primauté, c’est le génie. […] Nous diviserons donc, comme la nature, par générations de génie ou par époques. […] Le génie héroïque et le génie sacerdotal s’y confondent tantôt dans des récits de batailles, tantôt dans des raffinements spiritualistes de la morale et de la théologie. […] Son mauvais génie l’a transfiguré, son corps méconnaissable est devenu difforme ; mais il a conservé son héroïsme et recouvré sa vertu. […] En route, le mauvais génie qui possédait Nala sort de son corps à l’approche de sa femme.
Ses parents obtinrent pour lui la survivance de leur charge chez le roi ; mais son génie l’appelait ailleurs. […] Le génie s’étend et se resserre par tout ce qui nous environne. […] Mais c’est le caractère du vrai génie, de répandre sa fécondité sur un sujet stérile, et de varier ce qui semble uniforme. […] Il est honteux que les hommes de génie et de talent s’exposent par cette petite guerre à être la risée des sots. […] Quelque peine qu’il y eût prise, les plus grands efforts d’un homme d’esprit ne remplacent jamais le génie.
Quel étrange génie fait donc recommencer les mêmes injustices ? […] Pour un qui a du génie, mille ne sont que des barbouilleurs inutiles, souvent dangereux. […] Le génie de Corneille a créé en France ces deux genres, et c’est chez les Espagnols qu’il en a puisé l’idée. […] Cet effort de génie est tellement au-dessus des combinaisons des poètes ordinaires, qu’il les humilie et les écrase. […] Nicomède est sans doute une forte preuve du génie de Corneille, parce que c’est une grande création.
L’Académie française avait proposé pour sujet d’un prix, à décerner en 1855 « une étude critique et oratoire sur le génie de Tite-Live », ajoutant à cet énoncé un programme développé où se posaient les diverses questions relatives à l’auteur et aux circonstances de sa vie, aux sources et à l’autorité de son histoire, au caractère et à la beauté de son monument. […] Tite-Live est un historien qui a un génie d’orateur, et de cette seule qualité ou faculté prédominante M. […] J’admets volontiers (et, dans les nombreuses études critiques et biographiques auxquelles je me suis livré, j’ai eu plus d’une fois l’occasion de le pressentir et de le reconnaître) que chaque génie, chaque talent distingué a une forme, un procédé général intérieur qu’il applique ensuite à tout. […] Il a répandu sur celles qu’il prodigue dans son histoire sa propre couleur de génie, sa clarté, son émotion, son pathétique, de même qu’il a versé dans le cours continu de sa narration son abondance lactée, sa candeur éblouissante, et qu’il a su être merveilleux d’agrément et d’aménité comme un Hérodote poli. […] Il a écrit quelque part, à propos de Saint-Simon et de ses excès de passion, de fureur pittoresque et d’explosion parfois risible ou terrible dans l’intimité : « C’est à ce prix qu’est le génie ; uniquement et totalement englouti dans l’idée qui l’absorbe, il perd de vue la mesure, la décence et le respect.
Il avait un goût exquis pour les beaux-arts, l’éloquence, la poésie, la musique, la peinture… Il dessinait facilement et de génie ; il avait étudié la musique à fond, jusqu’à savoir la composition. Difficile à instruire dans les commencements par son extrême vivacité qui l’empêchait de s’assujettir aux règles, il emportait tout par la promptitude de sa pénétration et la force de son génie. […] Ce n’était nullement un génie dans le vrai sens du mot, ce n’était qu’un élève, le plus brillant des élèves ; il eût été le premier au collège dans toutes les facultés, humanités, rhétorique, philosophie, et même plus tard un des premiers en théologie, s’il avait composé avec les élèves du séminaire. […] Il n’est pas moins clair que le duc de Bourgogne cherchait, étudiait toujours, et n’avait rien trouvé de précis, n’avait rien de positivement arrêté ; que ses intentions étaient droites, pures, chrétiennes, tournées tout entières au bonheur et au soulagement des peuples, mais qu’avec tant d’instruction et le désir continuel d’en acquérir encore, il manquait de lumières supérieures, de génie politique, de ce génie qui tient surtout au caractère et à la conduite, à la décision de vue dans les crises, bien plus qu’aux règlements écrits et aux procédés mécaniques de constitution. […] Le prince qui n’adopte ces principes qu’avec réserve, n’est, selon eux, qu’un génie étroit, qui appréhende que trop de grandeur ne découvre sa petitesse, et trop de science son ignorance.
Génie lyrique. […] Le génie de Ronsard est tout lyrique. […] L’œuvre est inégale et mêlée, parce qu’une contradiction fâcheuse est au fond du génie même qui la crée. […] Il a péché aussi par impuissance ou insuffisance de génie, par négligence : il a souvent donné l’exemple d’une facture qu’il condamnait. […] Son génie est surtout lyrique : mais en maint endroit, dès qu’il s’agit des sujets graves et moraux, l’idée prend le dessus sur le sentiment, le raisonnement sur l’effusion, et le lyrisme tourne en mouvements oratoires.
Le génie d’invention, la beauté des détails, la grandeur et la bizarrerie des conceptions lui ont mérité, je ne dis pas la première ou la seconde place entre Homère et Milton, Tasse et Virgile, mais une place à part. […] Quoique le génie n’attende pas des époques pour éclore, supposons cependant que, dans un siècle effrayé par tant de catastrophes, et dans le pays même théâtre de tant de discordes, il se rencontre un homme de génie, qui, s’élevant au milieu des orages, parvienne au gouvernement de sa patrie ; qu’ensuite, exilé par des citoyens ingrats, il soit réduit à traîner une vie errante, et à mendier les secours de quelques petits souverains : il est évident que les malheurs de son siècle et ses propres infortunes feront sur lui des impressions profondes, et le disposeront à des conceptions mélancoliques ou terribles. […] Observez pourtant que le génie du défunt était autre chose : il gardait le sépulcre, et se montrait sous la forme de quelque animal, symbole de la qualité dominante du mort. […] Il arrivait quelquefois qu’un homme voyait son génie avant de mourir ; mais le cas était rare, et on ne compte guère que Dion, Socrate et Brutus qui aient eu cet avantage. Nos anges gardiens ont remplacé les génies, avec cette différence, qu’ils ne s’occupent plus de nous après la mort.
Ce fut le dernier grand succès littéraire du xviiie siècle, au moment où la société française tout entière sortait de son lac heureux et, en quelque sorte, de sa Méditerranée paisible, et s’engageait dans les détroits inconnus d’où le Génie des temps nouveaux allait, d’une main puissante, la lancer sur l’Océan. […] Il semble qu’il faille que tout talent, tout génie nouveau entre ainsi dans les sujets l’épée à la main, comme Renaud dans la forêt enchantée, et qu’il doive frapper hardiment jusqu’à ce qu’il ait rompu le charme : la conquête du vrai et du beau est à ce prix. […] On a beau reproduire textuellement la note du passé, le sens littéral n’est pas le sens profond ; celui-ci échappe si le génie ne le retrouve pas, et il ne l’obtient souvent qu’en l’arrachant : les âges d’autrefois, en s’éloignant de nous et en retombant dans leur immobilité, deviennent des sphinx ; il faut les forcer à rendre leur secret. […] Au xviiie siècle, Bernardin de Saint-Pierre, sans en avoir jamais étudié la langue, est celui qui, en quelques-unes de ses pages, en devine et en révèle le mieux le génie. […] La conclusion à tirer pour moi de cette longue suite d’essais où l’on a été tour à tour dans les extrêmes et où l’on a si rarement atteint le point précis, c’est qu’on ne transporte pas une littérature dans une autre, ni le génie d’une race et d’une langue dans le génie d’un peuple différent ; que, pour bien connaître la Grèce et les Grecs, il faut beaucoup les lire et en très peu parler, si ce n’est avec ceux qui les lisent aussi, et que, pour en tirer quelque chose dans l’usage courant et moderne, le plus sûr encore est d’avoir du talent et de l’imagination en français.