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746. (1887) George Sand

Soyez sûre qu’elle rumine toujours quelque chose. » Elle ruminait, en effet ; c’était la forme habituelle d’une pensée active déjà. […] Imaginez, pour consacrer son bonheur, le projet que forme l’aimable Fernande. […] Son menton est charnu, mais de très belle forme. […] Car c’est un trait à noter que le silence, cette forme de l’oubli, n’a commencé pour elle qu’après sa mort. […] Garde ton culte pour la forme ; mais occupe-toi davantage du fond (qui était, pour elle, les idées et la signification précise de l’œuvre).

747. (1949) La vie littéraire. Cinquième série

C’est précisément cette forme directe et personnelle que M.  […] José-Maria de Heredia avait, sur la forme du vers français, des idées qui ne se conciliaient pas avec la loi qui veut que toute forme change incessamment. […] Maillard, comme de raison, développe les siens dans les formes consacrées ; mais il y jette son âme. […] Il ne faut pas que des noms de forme hébraïque ou latine nous trompent. […] Ce doit être par mépris pour cette forme vulgaire du discours.

748. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Mézeray. — I. » pp. 195-212

Le  Mézeray était le nom qu’il avait adopté dans sa forme première. […] L’auteur se forme sensiblement à mesure qu’il les écrit : la fin du tome premier, à partir de Philippe le Bel et surtout de Charles V et Charles VI, devient fort nourrie et fort pleine ; le second volume, qui commence à Charles VII et qui finit avec Charles IX, est constamment soutenu ; le troisième, qui comprend le seul règne de Henri III et celui de Henri IV jusqu’à la paix de Vervins, est excellent. […] Mézeray est modeste sur les erreurs ; il reconnaît qu’il a dû en commettre beaucoup : « Et vraiment il n’est pas au pouvoir d’un homme mortel de faire une course de douze siècles sans broncher. » De son style il déclare qu’il ne dira rien ; mais on voit qu’il y tient et qu’à ce début il l’a soigné : « C’est à vous, dit-il aux lecteurs désintéressés, à prononcer si j’ai écrit d’une belle manière, si j’ai découvert quelques lumières qui n’eussent pas encore été démontrées ; là où j’ai touché au but, et là où je m’en suis éloigné. » Il nous rappelle ce que nous ne devons jamais oublier quand nous nous reportons à la première époque où parurent ces ouvrages une fois en vogue, et dès longtemps vieillis : c’est que, si la matière était déjà vieille alors et semblait telle, la forme qu’il lui donnait à son heure la rendait toute nouvelle. Avant Mézeray on n’avait pas encore écrit l’histoire dans cette forme claire, parlante et agréable. […] Il aura, en se perfectionnant, de ces rapidités de récit qui sont même d’un grand écrivain ; parlant, dans l’Abrégé chronologique, des premiers succès de Conradin en Toscane : « Ces beaux commencements, dit-il, trahirent le jeune Conradin et le flattèrent pour le mener à la mort. » Il ne faut point faire, toutefois, comme Perrault, et aller jusqu’à comparer Mézeray à Thucydide ; les discours qu’il place dans la bouche de certains de ses personnages ont de la pensée sans doute, mais on a très bien remarqué que Mézeray écrit d’abondance et n’a point de phrase, c’est-à-dire de forme à lui ; il suffit que sa diction soit naturelle, sincère, expressive, sa narration pleine et bien démêlée.

749. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Madame Dacier. — II. (Fin.) » pp. 495-513

D’un autre côté, La Motte et ses sectateurs étaient perpétuellement amenés à confronter la forme et le genre de beautés d’Homère avec l’idée d’une certaine exactitude de raisonnement et de tour, d’une certaine précision ingénieuse et fine qu’ils avaient dans l’esprit et qui prévaudra au xviiie  siècle : eux aussi, ils avaient leur moule favori et leur patron. […] Son défaut principal dans cette réponse où il entre tant de bonnes raisons de détail, c’est de pencher tout entière d’un côté, de ne voir que l’Antiquité et rien de plus, de crier sur cette fin de Louis XIV à la décadence des lettres et à l’invasion de l’ignorance parce que la forme du savoir est près de changer, de croire « que c’est l’imitation seule qui a introduit le bon goût parmi nous », et de ne tenir aucun compte du génie naturel qui a mille façons de se produire dans la suite des âges et qui recommence toujours. […] La Motte en triomphe dans sa réponse : « Heureusement, disait-il en rapportant le passage, heureusement quand je récitai un de mes livres à Mme Dacier, elle ne se souvint pas de ce dernier trait. » La Motte, en effet, répondit et se donna les avantages de la forme, ce qui est si important en France. […] » Dans le cas présent, Mme Dacier le combattit en toute hâte, mais avec toute sorte de déférence dans la forme. […] Quant à ce qui est de sa personne et de son caractère dans la société, un certain abbé Cartaud de La Vilate nous la représente sous une forme grotesque et ridicule qui ne fut jamais la sienne : « J’ai ouï dire, prétend-il facétieusement, à une personne qui a longtemps vécu avec elle, que cette savante, une quenouille à son côté, lui récita l’adieu tendre d’Andromaque à Hector avec tant de passion qu’elle en perdit l’usage des sens. » Ce sont là des exagérations et des caricatures sans vérité ; il ne faudrait pas croire que Mme Dacier fût devenue en vieillissant une demoiselle de Gournay, une sorte de sibylle qui représentait avec emphase et solennité le bon vieux temps.

750. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres inédites de P. de Ronsard, recueillies et publiées par M. Prosper Blanchemain, 1 vol. petit in-8°, Paris, Auguste Aubry, 1856. Étude sur Ronsard, considéré comme imitateur d’Homère et de Pindare, par M. Eugène Gandar, ancien membre de l’École française d’Athènes, 1 vol. in-8°, Metz, 1854. — I » pp. 57-75

Les principaux de ces poètes, ceux qui avaient le plus d’avenir, se rattachaient à l’ordre d’idées et d’affections inaugurées dès le commencement du siècle par M. de Chateaubriand, et dont la Restauration favorisait le réveil ; et, pour cette autre initiation qui tient plus particulièrement à la forme poétique, ils aimaient à se réclamer d’André Chénier, non pas tant pour l’imiter directement que par instinct de fraîcheur, de renouvellement, et par amour pour cette beauté grecque dont il nous rendait les vives élégances et les grâces. […] Est-ce à dire pour cela que je conseillais d’imiter ces poètes du xvie  siècle et en particulier Ronsard, soit directement dans la forme et dans la langue, soit dans l’ordre des idées ? […] Guizot, parlant de Ronsard dans un morceau sur L’État de la poésie en France avant Corneille, et lui tenant compte des services qu’il avait rendus ou voulu rendre, a dit à peu près dans le même sens, et sous forme d’aphorisme politique : « Les hommes qui font les révolutions sont toujours méprisés par ceux qui en profitent. » Maintenant je viens exprès de relire, de parcourir encore une fois tout Ronsard en me demandant si je l’ai bien compris dans mon ancienne lecture, si je ne l’ai pas surfait, et aussi (car Monsieur Gandar m’en avertit, et c’est un avertissement bien agréable et flatteur puisqu’il implique un succès) si je n’ai pas été trop timide, et si je ne suis pas resté en deçà du vrai dans ma réclamation en sa faveur. Je sais tout ce qu’avaient d’incomplet, et jusqu’à un certain point de hâtif cet extrait et ce jugement de 1828, et je le livre aux corrections de détail de ceux qui y reviennent armés de toutes pièces et avec une application d’érudit ; mais en ce qui est d’avoir fait un acte de goût, je ne saurais m’en repentir, et l’idée que je me forme de Ronsard est encore la même, c’est-à-dire celle-ci. […] Il s’est éloigné d’eux tant qu’il a pu, « prenant style à part, sens à part, œuvre à part. » Une louange donnée pour la forme à Marot mort, à Héroet, à Scève et à Mellin de Saint-Gelais vivants, ne contredit pas cette prétention qu’il a de marcher le seul et le premier par un sentier inconnu.

751. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Ernest Renan »

Renan ; ses instruments sont analytiques, sa forme et son fond sont pour l’idéal et pour l’infini ; c’est un brahme affilé jusqu’aux dents de la science moderne et qui en use, mais qui a gardé sur son front et dans son processus quelque chose de l’empreinte originelle. […] Renan que des précautions de politesse et de prudence, des formes de circonspection respectueuse, je ne m’en inquiéterais pas autrement ; mais c’est un procédé devenu chez lui habituel et constant, qui tient d’une part à l’élévation, à l’étendue, à l’impartialité du critique, aux yeux duquel « la vérité est toute dans les nuances » ; et aussi le dilettante et l’artiste y ont leur action et leur jeu. L’incrédulité, la négation sous forme directe ont de bonne heure choqué M.  […] Cette aversion du vulgaire, du trop simple et du trop facile même dans l’honnête, de ce qui n’a ni nouveauté, ni originalité, ni profondeur, l’a conduit, dans son remarquable travail sur Channing, à tracer sous forme d’éloge le plus spirituel et le plus ironique des portraits. […] Sous une forme ou sous une autre, il est conquis à Jésus ; il l’est surtout depuis qu’il a visité cette Palestine, objet et terme désiré de son voyage, ce riant pays de Génézareth, qui ressemble à un jardin, et où le Fils de l’Homme a passé le meilleur temps de sa mission à prêcher les petits et les pauvres, les pêcheurs et les femmes au bord du lac de Tibériade ; il faut entendre comme il parle à ravir et avec charme de ce cadre frais et de ce paysage naturel des Évangiles.

752. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Anthologie grecque traduite pour la première fois en français, et de la question des anciens et des modernes, (suite et fin.) »

Après avoir parlé de la race née aux confins de la terre des monstres, dans la limoneuse vallée du Nil, et de l’autre race dite sémitique, habitante du désert et de l’antique Arabie, après les avoir définies l’une et l’autre, et les avoir montrées fléchissant de respect et de superstitieuse terreur, ou comme anéanties sous la main souveraine en face d’un ciel d’airain, il ajoute, par un vivant contraste, en leur opposant la race aryenne venue du haut berceau de l’Asie, et de laquelle est sortie à certain jour et s’est détachée la branche hellénique, le rameau d’or : « Une autre race encore s’éveille sur les hauteurs, aux premières lueurs du matin ; les yeux au ciel, elle suit pas à pas la marche de l’aurore, elle s’enivre de ce mobile et merveilleux spectacle du jour naissant ; elle mêle une note humaine à cette immense symphonie, un chant d’admiration, de reconnaissance et d’amour ; c’est la race pure des Aryas ; leur première langue est la poésie ; leurs premiers Dieux, les aspects changeants du jour, les formes multiples de la sainte lumière. […] Des lignes nettes, de purs horizons, des contours simples dans leur infinie variété, des formes à la fois sévères et gracieuses, qu’on admire sans effroi : nulle part de ces immensités qui humilient la pensée. En Grèce, il n’y a de grand que l’homme ; la nature se proportionne à sa taille et forme le fond du tableau dont il occupe toujours le premier plan. […] L’admiration, en définitive, pour être plus éclairée et moins commandée, n’y perd pas : j’aurais trop de regret, pour mon compte, à voir disparaître cette forme de critique émue, éloquente, telle que les Cicéron, les Quintilien, les Longin, nous en ont donné des modèles, et telle que M.  […] Des formes nouvelles de talents se produisent chaque jour ; toutes les règles, d’après lesquelles on s’était accoutumé à juger les choses mêmes de l’esprit, sont déjouées ; l’étonnement est devenu une habitude ; nous marchons de monstres en monstres.

753. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Réception de M. le Cte Alfred de Vigny à l’Académie française. M. Étienne. »

Ne pressons pas trop ces contrastes ; lui-même il eut le tact d’apporter du ménagement et de la forme jusque dans son opposition, et, malgré l’odieuse radiation personnelle qui aurait pu l’irriter, sa tactique bien conduite sut toujours modérer la vivacité par le sang-froid et par des habitudes de tenue. […] Ce qu’il trouvera, ce ne sera pas sans doute ce que nous savons déjà sur la façon et sur l’artifice du livre, sur ces études de l’atelier si utiles toujours, sur ces secrets de la forme qui tiennent aussi à la pensée : il est bien possible qu’il glisse sur ces choses, et il est probable qu’il en laissera de côté plusieurs ; mais sur le fond même, sur l’effet de l’ensemble, sur le rapport essentiel entre l’art et la vérité, sur le point de jonction de la poésie et de l’histoire, de l’imagination et du bon sens, c’est là qu’il y a profit de l’entendre, de saisir son impression directe, son sentiment non absorbé par les détails et non corrompu par les charmes de l’exécution ; et s’il s’agit en particulier de personnages historiques célèbres, de grands ministres ou de grands monarques que le poëte a voulu peindre, et si le bon esprit judicieux et fin dont nous parlons a vu de près quelques-uns de ces personnages mêmes, s’il a vécu dans leur familiarité, s’il sait par sa propre expérience ce que c’est que l’homme d’État véritable et quelles qualités au fond sont nécessaires à ce rôle que dans l’antiquité les Platon et les Homère n’avaient garde de dénigrer, ne pourra-t-il point en quelques paroles simples et saines redonner le ton, remettre dans le vrai, dissiper la fantasmagorie et le rêve, beaucoup plus aisément et avec plus d’autorité que ne le pourraient de purs gens de lettres entre eux ? […] Trop souvent, je le sais, la poésie dans sa forme directe, et à l’état de vers, trouve peu d’accès et a peu de chances favorables auprès d’hommes mûrs, occupés d’affaires et partis de points de vue différents. […] Il en est sorti toutefois, il s’est mêlé depuis aux émotions contemporaines par son drame touchant de Chatterton et par ses ouvrages de prose, dans lesquels il n’a cessé de représenter, sous une forme ou sous une autre, cette pensée dont il était rempli, l’idée trop fixe du désaccord et de la lutte entre l’artiste et la société. […] Une veine d’ironie pourtant, qui, au premier coup d’œil, peut sembler le contraire de l’admiration, s’est glissée dans tout ce talent pur, et serait capable d’en faire méconnaître la qualité poétique bien rare à qui ne l’a pas vu dans sa forme primitive : Moïse, Dolorida, Éloa, resteront de nobles fragments de l’art moderne, de blanches colonnes d’un temple qui n’a pas été bâti, et que, dans son incomplet même, nous saluerons toujours.

754. (1886) De la littérature comparée

Elle est l’éternelle affirmation du génie toujours mobile de l’homme, de ses recherches d’un idéal que modifient les temps et les lieux, mais qui, sous ses formes changeantes, demeure cependant l’idéal. […] N’est-ce pas grâce à la forme prestigieuse que les poètes ont su leur donner, que la plupart des idées se sont imposées à notre conscience ? […] Seule, la sympathie critique peut nous faire comprendre combien ces variations, de forme ont peu d’importance. […] Nous avons vu douze générations de penseurs se morfondre sur un problème insoluble, des sculpteurs s’acharner à donner à la pierre la forme de leurs rêves, des peintres incarner dans des corps à peine matériels leur vision intérieure, des poètes courir éperdus dans les régions surnaturelles. […] Mais leurs grandes œuvres, c’est dans la vie moderne même qu’ils les ont puisées, et pour traiter dans toute leur ampleur des sujets comme Hamlet et Faust, ils ont dû inventer de nouvelles formes d’art, des moules plus vastes que tous ceux connus avant eux.

755. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Portalis. Discours et rapports sur le Code civil, — sur le Concordat de 1801, — publiés par son petit-fils — I. » pp. 441-459

On nous dit que, par sa manière de plaider, il fit révolution au barreau, et je me figure, en effet, que ce parlement distingué, mais éloigné comme il était de la capitale, avait conservé beaucoup de ses formes antiques et surannées, de celles dont on avait vu le jeune d’Aguesseau s’affranchir en son temps en portant la parole au parquet de Paris. […] Il accueillait les idées et les formes modernes dans une certaine mesure ; il ne pensait pas que les anciens eussent d’avance tout trouvé. […] Il ne croit pas que cette promptitude soit de nécessité et de convenance dans une monarchie tempérée, où les impôts doivent toujours être, sous une forme ou sous une autre, consentis par les sujets, et où le zèle du citoyen contribuable est comme la récompense du prince qui sait respecter les lois. […] Nous saisissons, dès ce premier écrit de circonstance, la forme et le fond du discours habituel de Portalis, cet enchaînement et cette suite de maximes sages, miséricordieuses, appropriées, où respire comme un souffle du génie de Numa, aphorismes tout de réparation, tout de consolation et de santé, et qui allaient faire la plus salutaire impression sur le corps social si longtemps soumis à ces autres aphorismes de Saint-Just, concentrés et mortels comme le poison. […] Il y disait en réponse à ceux qui regardaient le serment comme une garantie : Il eût été digne de notre siècle de reconnaître que le serment est une bien faible épreuve pour des hommes polis et raffinés ; qu’il n’est nécessaire que chez des peuples grossiers à qui la fausseté ou le mensonge coûte moins que le parjure ; mais que dans nos mœurs cette auguste cérémonie n’est plus qu’une forme outrageante pour le ciel, inutile pour la société, et offensante pour ceux qu’on oblige à s’y soumettre.

756. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CIIIe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (1re partie) » pp. 5-96

Il ne faut pas chercher en lui, excepté la sagacité et la justesse d’idées, les perfections de forme de Platon, de Cicéron, d’Homère, de Virgile, de Théocrite, génies employés à fasciner les hommes par l’agrément. […] L’association des villages forme l’État, la nation. […] Or la combinaison des deux premiers éléments donne évidemment la république, et la combinaison de tous les trois donne l’aristocratie plutôt que toute autre forme. […] En se rangeant de l’un ou de l’autre côté, elle rétablit l’équilibre et empêche qu’aucune prépondérance excessive ne se forme. […] Nous avons indiqué plus haut la plupart des causes qui ruinent cette forme politique et les autres États républicains.

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