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594. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Ernest Renan »

Renan sa méthode, et, sans louer ni blâmer, sans exprimer de préférence, sans prétendre conclure (me souvenant que la marque d’un esprit fin est peut-être « de ne pas conclure »), j’établis ainsi la famille d’esprits dont il est et à laquelle il appartient, en regard de celle qu’il repousse, dont il se sépare, ou qu’il ne rejoint que pour lui apporter un complément et un correctif bien nécessaire. […] Renan a exprimé les griefs de tous les esprits de son ordre. […] Renan s’exprimer lui-même en l’une de ses effusions poétiques les plus touchantes.

595. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Ducis épistolaire (suite) »

Il priait à sa manière : « D’autres invoquent les dieux avant le sommeil ; pour moi, je bénis mes amis. » — Il avait pourtant des jours et des heures où il exprimait le regret de ne plus sentir en lui aucune aspiration vers l’avenir, aucun recours à la récompense du juste ; il eût désiré plus de malheurs encore qu’il ne lui en était échu, s’il avait dû y puiser et y ressaisir une espérance d’immortalité : « Vous, écrivait-il à Rousseau, vous attendez une récompense qui vous serait bien due et dont je vous envie l’espoir délicieux au prix des persécutions qui le peuvent mériter. […] Il était parvenu à réaliser le vœu qu’il exprimait avec tant de modestie : « Je tâcherai d’établir ma réputation dans votre amitié. » Avec quel transport il lui envoyait, tant qu’il le put et qu’il sut où l’atteindre, des paroles d’admiration sympathique et de tendresse : « Vous, que mon cœur poursuit dans tous les pays du monde, vous qui me tenez lieu des anges gardiens et du démon de Socrate ! […] La différence des chiffres exprime assez bien la proportion de leurs sentiments mutuels : le disciple donnait dix fois plus au maître que le maître au disciple. — Il faut dire, aussi que beaucoup de lettres de Rousseau se sont perdues.

596. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Œuvres de M. P. Lebrun, de l’Académie française. »

A vingt et un ans, retiré dans une solitude champêtre en Normandie, il exprimait pour lui et pour un ami, Achille Du Parquet, dans un Journal confidentiel, les dispositions et les facilités de son esprit, il laissait déborder l’ivresse de son âme : « Couvent de Caudebec, jeudi matin, 30 octobre 1806. […] Lebrun, est admirablement exprimée ; jugez-en plutôt : Descendez, parcourez ces longues galeries, Qui sous le Luxembourg et vers les Tuileries S’étendent, et des morts montrent de toutes parts, En long ordre, aux parois, les reliques dressées, Et des fronts sans pensées, Et des yeux sans regards. […] Une telle poésie existe de droit et se justifie à elle seule. — Poésie modérée, bien que depuis lors nous en connaissions une autre, grande, magnifique, souveraine, et que nous nous inclinions devant, et que nous l’admirions en ses sublimes endroits ; — poésie d’entre-deux, moins vive, moins imaginative, restée plus purement gauloise ou française, plus conforme à ce que nous étions et avant Malherbe et après ; — poésie qui n’es pas pour cela la poésie académique ni le lieu commun, et qui as en toi ton inspiration bien présente ; qui, à défaut d’images continues, possèdes et as pour ressources, à ton usage, le juste et ferme emploi des mots, la vigueur du tour, la fierté du mouvement ou la naïveté du jet ; poésie qui te composes de raison et de sensibilité unies, combinées, exprimées avec émotion, rendues avec harmonie ; puisses-tu, à ton degré et à ton heure, à côté de la poésie éclatante et suprême, te maintenir toujours, ne cesser jamais d’exister parmi nous, et d’être honorée chez ceux qui t’ont cultivée avec amour et candeur !

597. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Observations sur l’orthographe française, par M. Ambroise »

Et formuler (car je me fais en ce moment, par supposition, l’avocat de toutes les causes sinon mauvaises, du moins douteuses, non pas tant pour les faire prévaloir que pour montrer dans quel sens elles peuvent être défendues) : on abuse aujourd’hui de ce mot formuler, on l’emploie indifféremment pour exprimer, énoncer. […] On dira très bien de quelqu’un de dogmatique et de tranchant : « Il formule ses opinions en articles de loi. » Exprimer, enfin, ne remplace pas formuler dans certains cas où l’on appuie sur le sens. […] Royer-Collard n’exprimait pas ses jugements, il les formulait.

598. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

En convenant qu’il doit y avoir du vrai, gardons-nous pourtant de nous faire un Talleyrand plus paresseux et moins lui-même qu’il ne l’était : il me paraît, à moi, tout à fait certain que les deux Mémoires lus à l’Institut en l’an V, si plein de hautes vues finement exprimées, sont et ne peuvent être que du même esprit, j’allais dire de la même plume qui, plus de quarante ans après, dans un discours académique final, dans l’Éloge de Reinhard, traçait le triple portrait idéal du parfait ministre des affaires étrangères, du parfait directeur ou chef de division, du parfait consul : et cette plume ne peut être que celle de M. de Talleyrand, quand il se soignait et se châtiait. […] Dans toutes les parties de l’Amérique que j’ai parcourues, je n’ai pas trouvé un seul Anglais qui ne se trouvât Américain, pas un seul Français qui ne se trouvât étranger. » Après l’inclination et l’habitude, il relève l’intérêt, cet autre mobile tout-puissant, surtout dans un pays nouveau où « la grande affaire est incontestablement d’accroître sa fortune. » Et comment ne seraient-elles point encore de Talleyrand ces réflexions morales si justement conques, exprimées si nettement, sur l’égalité et la multiplicité des cultes, dont il a été témoin, sur cet esprit de religion qui, bien que sincère, est surtout un sentiment d’habitude et qui se neutralise dans ses diversités mêmes, subordonné qu’il est chez tous (sauf de rares exceptions) à l’ardeur dominante du moment, à la poursuite des moyens d’accroître promptement son bien-être ? […] Le général Bonaparte avait exprimé hautement son indignation.

599. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre V. De la littérature latine, pendant que la république romaine durait encore » pp. 135-163

Les idées, les sentiments qu’on exprimait dans ces comédies étaient, pour les spectateurs de Rome, comme une fiction de plus dans un ouvrage d’imagination ; et néanmoins Térence conservait dans ces sujets étrangers le genre de décence et de mesure qu’exige la dignité de l’homme, alors même qu’il n’y a point de femmes pour auditeurs. […] Loin d’avoir rien à retrancher à la valeur des termes, il semble, au contraire, qu’ils supposent au-delà de ce qu’ils expriment Les Romains donnent beaucoup trop de développements à leurs idées ; mais ce qui appartient aux sentiments est toujours exprimé avec concision.

600. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Pierre Loti »

Parce que les intervalles musicaux dont la suite la compose, autrement dit les rapports des nombres de vibrations des corps sonores, sont exprimés par certains chiffres plutôt que par d’autres. […] Bien que les rapports de convenance entre toutes ces différentes choses et vous-même soient trop compliqués pour être exprimés comme dans le cas de la musique, vous sentez cependant qu’ils existent… Tout cela posé, passons à votre définition à vous, Loti. […] Enfin, il fallait que l’écrivain sût exprimer ce qu’il avait vu et senti.

601. (1911) La valeur de la science « Troisième partie : La valeur objective de la science — Chapitre XI. La Science et la Réalité. »

Si quelqu’une des circonstances peut s’exprimer par un nombre, et que ce nombre ait dans les deux cas des valeurs très voisines, le sens du mot « peu différent » est relativement clair ; le principe signifie alors que le conséquent est une fonction continue de l’antécédent. […] À la première question, personne n’hésiterait à répondre, non ; mais je crois qu’on peut aller plus loin : non seulement la science ne peut nous faire connaître la nature des choses ; mais rien n’est capable de nous la faire connaître et si quelque dieu la connaissait, il ne pourrait trouver de mots pour l’exprimer. […] Tout ce qui n’est pas pensée est le pur néant ; puisque nous ne pouvons penser que la pensée et que tous les mots dont nous disposons pour parler des choses ne peuvent exprimer que des pensées ; dire qu’il y a autre chose que la pensée, c’est donc une affirmation qui ne peut avoir de sens.

602. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Éloges académiques de M. Pariset, publiés par M. Dubois (d’Amiens). (2 vol. — 1850.) » pp. 392-411

On a dit de lui qu’il était le Buffon de la médecine, et cet éloge, en le réduisant comme il convient, exprime assez bien ses qualités et ses défauts. […] Voilà l’idée vraie du genre exprimée avec modestie par un homme supérieur qui s’y est lui-même exercé. […] Quand je dis de ne pas masquer l’homme, ce n’est pas que j’aie la grossièreté de vouloir qu’on exprime tout.

603. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « De la retraite de MM. Villemain et Cousin. » pp. 146-164

Cousin n’a-t-il pas exprimé, en causant, cette noble envie de reprendre tout simplement son cours, de se remettre en communication directe avec cette jeunesse qui ne le connaissait plus que par ses écrits, de la ramener sur bien des points où on l’égarait ! […] Guizot songe toujours à la politique d’à côté : Si j’appliquais aujourd’hui à ces études historiques de 1820, dit-il dans sa préface de 1851, tous les enseignements que, depuis cette époque, la vie politique m’a donnés, je modifierais peut-être quelques-unes des idées qui y sont exprimées sur quelques-unes des conditions et des formes du gouvernement représentatif. […] Aussi joindrons-nous en partie nos vœux à ceux qu’a exprimés M. 

604. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre V. Le génie et la folie »

Il a exprimé lui-même sa doctrine en ces termes : « Les dispositions d’esprit qui font qu’un homme se distingue des autres hommes par l’originalité de ses pensées et de ses conceptions, par son excentricité ou l’énergie de ses facultés affectives, par la transcendance de ses facultés intellectuelles, prennent leur source dans les mêmes conditions organiques que les divers troubles moraux, dont la folie et l’idiotie sont l’expression la plus complète. » Telle est la doctrine développée par M.  […] En second lieu, il est à remarquer que le mot de génie exprime des faits d’une nature très différente, et tout à fait hétérogènes. […] Il n’y a rien de si facile que de se faire illusion sur l’importance de certaines idées, lorsqu’elles sont exprimées avec une certaine émotion et dans des conditions extraordinaires.

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