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518. (1888) Portraits de maîtres

La poétique de Lamartine exige la noblesse de l’expression et la mélopée continue du style. […] La pureté constante de l’expression répond à la finesse des nuances. […] Cependant la chanson n’avait point, comme d’autres genres, produit son expression définitive, donné ses fruits de génie. […] À tout moment la pensée déborde l’expression. […] Il est temps que, selon l’expression de Michelet, de nouveau « la flamme morale tombe sur la foule ardente ».

519. (1925) Comment on devient écrivain

C’est la force de la sensation qui crée la force de l’expression. […] Une page est sincère, quand elle est sentie, et c’est la qualité de l’expression qui révèle si elle est sentie. […] Le cliché, c’est l’expression qui a servi, mais pompeuse et prétentieuse, et qu’on emploie au lieu du mot propre83. […] Le talent poétique consistant surtout dans l’expression, plus un poète est original, plus il semble difficile à traduire. […] « Il s’appuie sur la doctrine des Pères, dit Gandar ; il se sert même de leurs expressions ; il les imite, il les traduit ou les paraphrase.

520. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Mémoires de l’impératrice Catherine II. Écrits par elle-même, (suite.) »

Un jour, impatientée du changement de conduite, à son égard, de Léon Nariohkine, tête légère et sans conséquence, qui, du nombre de ses intimes amis, avait tourné contre elle et lui faisait de petites trahisons au profit des Schouvaloff, quoiqu’il eût par-ci par-là des hoquets de repentir (que dites-vous de l’expression ?) […] Si j’ose me servir de cette expression, je prends la liberté d’avancer sur mon compte que j’étais un franc et loyal chevalier, dont l’esprit était plus mâle que femelle ; mais je n’étais, avec cela, rien moins qu’hommasse, et on trouvait en moi, joints à l’esprit et au caractère d’un homme, les agréments d’une femme très-aimable : qu’on me pardonne cette expression en faveur de la vérité de l’aveu que fait mon amour-propre sans se couvrir d’une fausse modestie.

521. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Bossuet. Œuvres complètes publiées d’après les imprimés et les manuscrits originaux, par M. Lachat »

C’est de cette connaissance approfondie du latin et de l’usage excellent qu’il en sut faire que découle chez Bossuet ce français neuf, plein, substantiel, dans le sens de la racine, et original : et ce n’est pas seulement dans le détail de l’expression, de la locution et du mot, que cette sève de littérature latine se fait sentir, c’est dans l’ampleur des tours, dans la forme des mouvements et des liaisons, dans le joint des phrases, et comme dans le geste. […] Bossuet dit en français tout ce qu’il veut dire, et il invente au besoin l’expression, mais en la tenant toujours dans le sens de l’analogie et de la racine dont il est maître. […] L’important, avec Bossuet, est de bien saisir la forme particulière à son esprit, à cette intelligence si vaste d’ailleurs et si complète pour l’ordonnance et pour l’expression ; je voudrais me la représenter mieux que par des aperçus, et la réfléchir dans son plein.

522. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Ernest Renan »

Il était timide, il était neuf de manières ; cet homme que nous entendons aujourd’hui s’exprimer avec tant de fermeté, de vigueur, de finesse, et sans jamais hésiter dans la nuance de son expression, avait alors à surmonter bien des hésitations de forme et des pudeurs ; il avait le front tendre, comme on le disait de Nicole. […] Le jeune écrivain n’avait rien d’un débutant ; dans la pensée ni dans l’expression, rien n’était laissé au hasard. […] Telle est l’humanité : chaque nation, chaque forme intellectuelle, religieuse, morale, laisse après elle une courte expression qui en est comme le type abrégé et expressif, et qui demeure pour représenter les millions d’hommes à jamais oubliés qui ont vécu et qui sont morts groupés autour d’elle. » Cette conscience, cette mémoire du genre humain, c’est donc comme une Arche de Noë perpétuelle dans laquelle il ne peut entrer que les chefs de file de chaque race, de chaque série.

523. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Chapitre III »

Chapitre III La clinique subjective Passer de l’examen des autres au retour sur soi-même, c’est évidemment restreindre son champ d’enquête, mais, en revanche, c’est incomparablement gagner en pénétration d’analyse et puissance d’expression. […] L’« Amour du mal », suivant la forte expression de Paulhan, se substitua peu à peu au culte rigoureux et poncif qui jusque là prônait le bien. […] » 62 La vérité physiologique y gagnera peut-être, mais l’intensité d’émotion, l’expression aiguë qui nous charment en l’introspection moins scientifique de nos poètes d’aujourd’hui seront mortes, desséchées. — Comme un tracé de sphygmographe exact et glacial.

524. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre V. L’antinomie esthétique » pp. 109-129

Si le monde tel qu’il est en lui-même nous échappe et si nous n’en saisissons que d’illogiques et incompréhensibles apparences, l’artiste ne peut ambitionner de donner de la réalité qu’une expression symbolique et il choisit forcément les symboles appropriés à sa propre sensibilité44. […] L’œuvre d’art devient un simple moyen d’expression individuelle et de jouissance individuelle ; parfois une cure d’âme, une station de psychothérapie, un exutoire de sentiments qui gênent la sensibilité, qui cherchent une issue et dont on se libère on les exprimant. […] Il en est tout autrement de l’art réaliste à la Zola qui semble plutôt l’expression esthétique d’un déterminisme social annihilant l’individu.

525. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XV. Commencement de la légende de Jésus  Idée qu’il a lui-même de son rôle surnaturel. »

La croyance que certains hommes sont des incarnations de facultés ou de « puissances » divines, était répandue ; les Samaritains possédaient vers le même temps un thaumaturge nommé Simon, qu’on identifiait avec « la grande vertu de Dieu 718. » Depuis près de deux siècles, les esprits spéculatifs du judaïsme se laissaient aller au penchant de faire des personnes distinctes avec les attributs divins ou avec certaines expressions qu’on rapportait à la divinité. […] C’est seulement dans l’évangile de Jean que Jésus se sert de l’expression de « Fils de Dieu » ou de « Fils » comme synonyme du pronom je. […] On remarquera, du reste, que, dans l’évangile de Jean, l’expression de « Verbe » ne revient pas hors du prologue, et que jamais le narrateur ne la place dans la bouche de Jésus.

526. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre II. Le cerveau chez les animaux »

Reste enfin le cerveau, expression dont on se sert souvent assez improprement pour désigner l’encéphale tout entier. […] Cependant il ne faudrait pas voir là, suivant lui, l’expression d’une loi, car, d’après ce nouveau critérium, le renard et le chien seraient placés au même rang que le mouton, et fort en arrière du phoque et de la loutre ; le singe d’ailleurs serait aussi bien partagé que l’homme et même quelquefois l’emporterait sur lui. […] Les physiologistes emploient indifféremment les expressions de volume ou de masse, quoiqu’elles ne soient pas synonymes, l’une étant relative aux dimensions et l’autre à la quantité de matière ; mais en général les organes de même espèce contiennent d’autant plus de matière qu’ils sont plus gros : le volume étant ainsi proportionnel à la masse, on peut prendre l’un pour l’autre sans inconvénient.

527. (1921) Esquisses critiques. Première série

Avant d’être un doctrinaire, il voulut être, suivant une de ses expressions, « un naturaliste des esprits ». […] Elles s’atténuent peu à peu, quand l’auteur parvient à son expression définitive. […] La forme scénique est son naturel moyen d’expression, et rarement vit-on peut-être ailleurs le don du théâtre aussi nettement caractérisé que chez lui. […] Dans une autre sorte de théâtre poétique, la poésie réside dans l’expression seule. […] Montfort s’est de la sorte attaché à la peinture de cette passion, c’est qu’il a vu en elle, sommes-nous enclins à penser, l’expression la plus intense de la vie.

528. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre II. Vérification de la loi par l’examen de la littérature française » pp. 34-154

Les théologiens, les chroniqueurs, les poètes lettrés ont souffert de ce vêtement traditionaliste, quant à la sincérité de leur expression et à la valeur même de leur vision des choses ; c’est chez eux pourtant qu’il nous faut chercher les idées directrices de l’époque ; avec discernement, avec amour. […] L’épopée nationale fut, pendant deux siècles, le « grand succès » ; chantée par les jongleurs jusque sur le champ de bataille, et lue aussi par les lettrés, elle fit battre les cœurs des héros et des rustres ; expression d’une unité grandissante, elle contribue à cette unité. […] La littérature n’y est qu’une expression d’un fait plus général, mais une expression particulièrement éloquente. […] Ce qui explique que l’expression artistique de la civilisation française est surtout littéraire. […] Quand l’expression littéraire est générale, parce que conforme à l’esprit du peuple, qu’elle s’inspire surtout de logique, et que, sociable, elle tend à l’universel, comme c’est le cas en France, la littérature devient une démonstration lumineuse, qui éclaire toute l’histoire.

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