combien même y en a-t-il, comme les vers de sentiment, que toute espèce d’image affaiblirait, qui n’ont que l’expression la plus simple, et qui n’en valent que mieux ? […] Si, dans les vers dont vous me parlez, l’image se joint au sentiment et ne l’affaiblit pas, c’est le plus grand charme de la poésie ; et je préfère, ainsi que vous apparemment, ces vers-là à tous les autres : si le sentiment est de nature à exiger la plus grande simplicité dans l’expression, les vers de cette espèce n’ont rien de commun avec les vers d’image, ni par conséquent aucun terme de comparaison avec eux ; on sera plus touché des uns ou des autres, selon qu’on sera plus sensible à ce qui touche ou à ce qui étonne. […] Le voici : c’est d’abord quand ils offrent des idées heureuses ou neuves ; c’est en second lieu quand l’expression est propre et juste sans être commune. C’est là le grand mérite de Racine, la cause du charme qu’on éprouve en le lisant ; il a fort enrichi la langue, non par des expressions nouvelles, qu’il faut toujours hasarder très sobrement, mais par l’art heureux avec lequel il sait réunir ensemble des expressions connues, pour donner à son vers ou plus de force ou plus de grâce ; par la finesse avec laquelle il sait relever une expression commune, en y joignant une expression noble ; enfin par la simplicité unie partout à la noblesse, à la facilité et à l’harmonie. […] Ces efforts leur font chercher, et trouver quand ils ont du génie, les expressions les plus justes et les tours les plus heureux dont leur langue soit susceptible.
On ne sçauroit caracteriser le chef visible de l’église, introduit dans un semblable évenement par une expression plus noble et plus convenable. Cette expression laisse encore voir les traits du caractere particulier de Jules II. […] On voit dans leurs ouvrages des idées et des expressions qu’on n’a point vûës encore. […] Il est bien rare qu’il nous faille emprunter d’autrui des expressions pour rendre ce que nous avons pensé. […] La pensée et l’expression naissent presque toûjours en même-temps.
Ce vers devient nôtre en quelque façon, à cause que l’expression nouvelle que nous avons prêtée à la pensée d’autrui nous appartient. Il y a du mérite à faire un pareil larcin, parce qu’on ne sçauroit le faire bien sans peine, et sans avoir du moins le talent de l’expression. […] Le tour original qu’il donne à ses traductions, la hardiesse de ses expressions, aussi peu contraintes que si elles étoient nées avec sa pensée, montrent presque autant d’invention, qu’en montre la production d’une pensée toute nouvelle. […] Quant aux avis des personnes intelligentes, il est vrai qu’ils peuvent empêcher les peintres et les poëtes de faire des fautes ; mais comme ils ne suggerent pas les expressions ni la poësie du stile, ils ne sçauroient suppléer au génie. […] Racine n’auroit pû se soutenir, si, pour me servir de cette expression, il eut continué de marcher avec les brodequins de son dévancier.
L’expression n’est au fond que l’effort suprême de l’invention. […] Il s’agit de substituer, par des approximations successives des expressions de plus en plus explicites à ces signes qui étaient plutôt l’étiquette que le miroir de la pensée : on ne peut plus se contenter de marquer la place des choses, c’est le temps de les y mettre effectivement. […] Il faut qu’ayant l’idée d’un objet et d’un événement, il trouve d’abord non pas le mot exact, mais le mot naturel, c’est-à-dire l’expression qui jaillirait par elle-même en leur présence et par leur contact. Il y a cent expressions pour les désigner sans qu’on puisse se méprendre ; il n’y en a que deux ou trois pour les faire voir8. » 8. […] Ce chapitre, « de l’Expression », est tout entier à lire ainsi que le précédent, « de l’Action ».
Sous prétexte d’être exact dans l’expression, le Poëte a dénué ses Vers de Poésie. […] Clément, c’est que notre Langue est absolument seche, peu nombreuse en expressions, qu’elle manque de synonymes, & qu’elle a sur-tout ces défauts pour rendre les choses rustiques** ». […] On peut aller plus loin, & ce ne sera pas un paradoxe que de soutenir qu’il est très-possible de faire perdre leur trivialité aux termes le plus en usage parmi le Peuple, pourvu qu’un Ecrivain soit assez courageux pour secouer le préjugé, & assez habile pour subjuguer la Langue, en ennoblissant des expressions qui seroient basses sous la plume d’un homme ordinaire. […] Enfin Corneille, Despréaux, Racine, ont fait plus que Tibere * ; non seulement ils ont donné le droit de Bourgeoisie à des expressions ignobles dans leur temps, mais on peut dire encore qu’ils leur ont donné des Lettres de Noblesse. […] Mais supposons encore qu’il fût impossible de faire usage de certains termes ; les périphrases, les métaphores ne peuvent-elles pas suppléer au défaut de l’expression littérale ?
Or on sait qu’en psychologie un désir9 est considéré comme l’expression consciente d’une aptitude développée, et demandant à se manifester, d’une force de l’organisme contenue et apte à être mise on jeu. L’idéal est donc simplement l’expression rendue consciente par une image — des facultés mêmes qui forment le fond de l’esprit de l’artiste, et qui le définissent. […] Or, l’œuvre d’un artiste nous donne directement une partie notable de ces phénomènes ; de plus elle est l’expression non seulement de ces apparences, mais de leurs conditions profondes, des facultés et des désirs qui en forment le fond. Il est donc légitime d’essayer de tirer de l’œuvre d’art l’image de l’esprit dont elle est, soit le signe et l’expression, soit, plus directement même, une part indépendante et constituante. […] Ces dispositions sensuelles de l’intelligence auront ailleurs pour effet, d’accroître énormément les facultés d’expression de la couleur et, par suite, de ne faire concevoir les objets que représentés se fondant en certaines formes verbales, en un certain style de peinture.
Telle est l’expression, qui arrête les yeux de tout le monde sur le visage de Marie De Medicis qui vient d’accoucher. […] Il faut avoir une imagination plus féconde, et plus juste, pour imaginer et pour rencontrer les traits dont la nature se sert dans l’expression des passions, que pour inventer des figures emblêmatiques. […] Mais, diront les partisans de l’esprit, ne doit-il pas y avoir plus de merite à inventer des choses qui ne furent jamais pensées, qu’à copier la nature, ainsi que fait votre peintre, qui excelle dans l’expression des passions ? […] Toutes les expressions doivent tenir du caractere de tête qu’on donne au personnage qu’on répresente agité d’une certaine passion. Il faut donc que l’imagination de l’ouvrier supplée à tout ce qu’il y a de plus difficile à faire dans l’expression, à moins qu’il n’ait dans son attelier un modele encore plus grand comedien que baron.
Il proscrit la fantaisie, l’esprit : il exige la probité, l’oubli de soi-même, la concentration de toutes les forces de l’esprit, de toutes les ressources du métier dans l’expression du pur caractère de l’objet. […] Cependant on saisit sa pensée à travers l’insuffisance de l’expression : il faut la vérité, et il faut la vraisemblance ; la vraisemblance, c’est la vérité rendue sensible par une forme d’art. […] Voilà pour l’objet : quant à l’expression, il la veut fine, délicate, observatrice de toutes les bienséances mondaines. […] Et voilà encore qui limite le choix ou détermine l’expression des objets : il en faut extraire, ou il y faut insinuer un caractère sensible, par où ils soient doux à l’âme. […] Il ne faut pas par conséquent attacher trop de sens, ni un mauvais sens, à toutes les expressions de Boileau qui nous semblent des dérogations à la probité ordinaire de son naturalisme.
Moise, Homère, Platon, Virgile, Horace ne sont au-dessus des autres écrivains que par leurs expressions et par leurs images : il faut exprimer le vrai pour écrire naturellement, fortement, délicatement. […] C’est une expérience faite, que s’il se trouve dix personnes qui effacent d’un livre une expression ou un sentiment, l’on en fournit aisément un pareil nombre qui les réclame : ceux-ci s’écrient, pourquoi supprimer cette pensée ? […] Dans quelques-unes de ses meilleures pièces il y a des fautes inexcusables contre les mœurs, un style de déclamateur qui arrête l’action et la fait languir ; des négligences dans les vers et dans l’expression qu’on ne peut comprendre en un si grand homme. […] Le sublime ne peint que la vérité, mais en un sujet noble, il la peint tout entière, dans sa cause et dans son effet ; il est l’expression, ou l’image la plus digne de cette vérité. Les esprits médiocres ne trouvent point l’unique expression, et usent de synonymes.
Voilà pour l’expression. […] Les expressions, quelles qu’elles soient, les passions et le mouvement diminuent en raison de ce que les natures sont plus exagérées. […] L’exécution du ciseau et le dessein en sont d’une pureté merveilleuses ; mais les figures sont sans mouvement, sans action, sans expression. […] Sujet d’expression, sujet grand, où tout est froid et petit. […] Il est certain que la figure est on ne peut plus naturelle et simple de position et d’expression ; cependant un peu fade.
C’est le tort principal de la poésie, de n’avoir pas d’expression occulte, — du moins apparemment. […] La poésie est, par la beauté, l’expression humaine de la notion divine. […] La poésie est une expression individuelle de l’humanité. […] Constance de la quantité et de la qualité de l’expression esthétique. […] L’expression varie, seule, indéfiniment.