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547. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Lettres inédites de Michel de Montaigne, et de quelques autres personnages du XVIe siècle »

Quel contingent la Cour, la familiarité des grands et des princes, apporta-t-elle à l’expérience de Montaigne ? […] Dès son arrivée, il se déchiffra donc fidèlement et se détailla tel qu’il était ou croyait être à MM. de Bordeaux, « sans mémoire, sans vigilance, sans expérience et sans vigueur, sans haine aussi, sans ambition, sans avarice et sans violence. » C’était en grande partie en souvenir de son respectable père et en reconnaissance des services autrefois rendus par lui à la ville, qu’ils l’avaient élu.

548. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite et fin.) »

Louis XIV, en annonçant au prince de Vaudemont la nomination de Catinat, disait de lui : « C’est un homme sage que son expérience et son mérite ont élevé à la place où il est, et dont vous aurez autant de sujet d’être content que vous l’avez été jusqu’à présent du comte de Tessé. ». […] Dès qu’il s’agissait du Piémont et de la frontière d’Italie, le souvenir de ses anciens succès, de son expérience et de sa spécialité en pareil sujet, ramenait à lui ; on lui demandait des mémoires détaillés, et il se faisait un plaisir de les donner.

549. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « UN DERNIER MOT sur BENJAMIN CONSTANT. » pp. 275-299

Quant à moi, qui suis loin d’un tel bonheur, je veux profiter du moins des bénéfices de l’expérience en même temps que des amertumes, et je ne me croirai jamais réduit à un point de vue exclusif, comme on m’en accuse, parce que je m’appliquerai de mon mieux à voir réellement les choses et les hommes tels qu’ils sont. […] La raison, éclairée par l’expérience, avertie par les revers, a beau dire, elle a beau faire l’éloquente et la souveraine à de certains moments solennels, elle n’a plus à ses ordres la volonté.

550. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « DU ROMAN INTIME ou MADEMOISELLE DE LIRON » pp. 22-41

Il est des douleurs tellement irrémédiables à la fois et fécondes, que, malgré la fragilité de notre nature et le démenti de l’expérience, nous nous obstinons à les concevoir éternelles ; faibles, inconstants, médiocres nous-mêmes, nous vouons héroïquement au sacrifice les êtres qui ont inspiré de grandes préférences et causé de grandes infortunes ; nous nous les imaginons comme fixés désormais sur cette terre dans la situation sublime où l’élan d’une noble passion les a portés. — Mais nous n’en étions qu’au départ de Rome. […] Quant à la circonstance de récidive et à l’objection d’avoir déjà eu un amant, je ne m’en embarrasse pas davantage, ou plutôt je ne craindrai pas d’avouer que c’est un des points les mieux observés, selon moi, et les plus conformes à l’expérience un peu fine du cœur.

551. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série «  Paul Bourget  »

Paul Bourget nous explique pourquoi l’héroïne du Deuxième Amour se refuse à une nouvelle expérience, ou de quel amour de pur adolescent Hubert Liauran aime Mme de Sauves, et comment, par un renversement délicieux des rôles, Thérèse le traite comme si c’était lui qui se donnait (Cruelle énigme), ou comment, dans Crime d’amour, la franchise et l’innocence d’Hélène Chazel tournent contre elle et ne font qu’irriter la défiance d’Armand de Querne, ou par quelle logique sentimentale Hélène en vient à se souiller pour se venger de l’homme qui ne l’a pas crue et pour qu’il la croie enfin… ; toutes ces pages — et combien d’autres   sont des exemplaires accomplis de psychologie vivante. […] Le Deuxième Amour, c’est l’histoire d’une femme qui, s’étant trompée, ne se croit pas le droit de recommencer l’expérience amoureuse.

552. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Victor Duruy » pp. 67-94

Il était lui-même, par sa foi philosophique et sa conception de la cité, un Français de la Révolution, mais muni d’expérience historique, et de prudence et d’obstination romaines : quelque chose comme un idéologue pratique (je vous prie de donner au premier de ces deux mots son plus beau sens). […] Dans son Résumé général de l’Histoire des Romains, morceau d’une gravité, d’une majesté toute romaines, et d’une plénitude et d’une fermeté de pensée et de forme qui égalent Victor Duruy aux plus grands, après avoir confessé que la philosophie de l’histoire, cette prophétie du passé, ne permet pas les prévisions certaines, il ajoute : « Non, l’histoire ne peut annoncer quel sera le jour de demain ; mais elle est le dépôt de l’expérience universelle ; elle invite la politique à y prendre des leçons, et elle montre le lien qui rattache le présent au passé, le châtiment à la faute.

553. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires et correspondance de Mallet du Pan, recueillis et mis en ordre par M. A. Sayous. (2 vol. in-8º, Amyot et Cherbuliez, 1851.) — I. » pp. 471-493

Il avait vu en petit dans cet étroit et contentieux ménage de Genève ce que peuvent être les révolutions politiques, et quel cercle les passions humaines y parcourent ; il avait fait comme un physicien ses expériences sur de petites doses, mais avec un coup d’œil sûr et avec une précision qui ne se laissait pas abuser deux fois. […] Dès le début, on sent l’homme désabusé qu’un devoir ramène sur la scène bien plus que l’illusion ou l’espérance : Lorsqu’on a atteint quarante ans, et qu’on n’est pas absolument dépourvu de jugement, on ne croit pas plus à l’empire de l’expérience qu’à celui de la raison : leurs instructions sont perdues pour les gouvernements comme pour les peuples ; et l’on est heureux de compter cent hommes sur une génération à qui les vicissitudes humaines apprennent quelque chose.

554. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Mémoires du cardinal de Retz. (Collection Michaud et Poujoulat, édition Champollion.) 1837 » pp. 40-61

Elles apprendraient l’expérience, si jamais l’expérience s’apprenait par les livres.

555. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Œuvres de Louis XIV. (6 vol. in-8º. — 1808.) » pp. 313-333

Il croit que le bon sens, mis à l’épreuve de la pratique et de l’expérience, est le meilleur conseiller et le plus sûr guide : et il est tenté quelquefois de tenir pour inutiles les conseils écrits, à commencer par ceux qu’il donne à son fils ; mais aussitôt il se ravise, et il estime qu’il est profitable à tout bon esprit d’être mis en garde à l’avance et prémuni contre les erreurs. […] De dire quand il faut s’en défier ou s’y abandonner, personne ne le peut ; ni livres, ni règles, ni expérience ne l’enseignent ; une certaine justesse et une certaine hardiesse d’esprit les font toujours trouver, sans comparaison plus libres en celui qui ne doit de compte de ses actions à personne.

556. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — I. » pp. 41-62

L’auteur annonçait qu’il n’attachait point à ces observations et à ces expériences une importance plus grande qu’elles n’en méritaient : « C’est le fruit de l’oisiveté de la campagne. […] Au milieu des hardiesses et des irrévérences des Lettres persanes, un esprit de prudence se laisse entrevoir par la plume d’Usbek ; en agitant si bien les questions et en les perçant quelquefois à jour, Usbek (et c’est une contradiction peut-être à laquelle n’a pas échappé Montesquieu) veut continuer de rester fidèle aux lois de son pays, de sa religion : « Il est vrai, dit-il, que, par une bizarrerie qui vient plutôt de la nature que de l’esprit des hommes, il est quelquefois nécessaire de changer certaines lois : mais le cas est rare ; et, lorsqu’il arrive, il n’y faut toucher que d’une main tremblante. » Rica lui-même, l’homme badin et léger, remarquant que dans les tribunaux de justice, pour rendre la sentence, on prend les voix à la majeure (à la majorité), ajoute par manière d’épigramme : « Mais on dit qu’on a reconnu par expérience qu’il vaudrait mieux les recueillir à la mineure : et cela est assez naturel, car il y a très peu d’esprits justes, et tout le monde convient qu’il y en a une infinité de faux. » C’est assez pour montrer que cet esprit qui a dicté les Lettres persanes ne poussera jamais les choses à l’extrémité du côté des réformes et des révolutions populaires.

557. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « M. Necker. — I. » pp. 329-349

Necker y rappelait en style peu pratique quelques vérités d’expérience ; on a remarqué depuis qu’il y parlait de la propriété et des propriétaires un peu légèrement, et qu’il y présentait ceux qui vivent de leur travail ou les prolétaires comme étant toujours la proie des premiers : « Ce sont, disait-il, des lions et des animaux sans défense qui vivent ensemble ; on ne peut augmenter la part de ceux-ci qu’en trompant la vigilance des autres et en ne leur laissant pas le temps de s’élancer. » M.  […] Par exemple, le sot n’acquiert jamais d’expérience ; il vivrait deux cents ans, que la nature serait pour lui toujours jeune et pleine de fraîcheur ; il ne lie pas ses idées ; il va et court à travers tout, le dernier jour comme le premier ; il est jusqu’à la fin dans l’imprévu et dans le bonheur de l’enfance.

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