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166. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le colonel Ardant du Picq »

L’aristocratie prussienne est donc orgueilleuse ; elle veut la domination par la force, et dominer, toujours plus dominer, est dans ses conditions d’existence. […] Elles sont ennemies nées ; l’une sans cesse menace la juste influence, sinon l’existence de l’autre. […] … L’homme qui les a écrites me fait l’effet d’un Montesquieu militaire, qui nous donne axiomatiquement l’Esprit des Lois des armées, comme l’autre nous a donné l’Esprit des Lois des sociétés… Il n’affirme pas, il est vrai, la nécessité des démocraties pour la destruction des armées avec l’aplomb et l’autorité qu’il met à affirmer la discipline pour leur existence et pour leur force ; mais, trempé dans l’atmosphère de son temps, il en admet l’hypothèse.

167. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXI. Philosophie positive »

On dit bien avec l’aplomb de l’escamoteur : « Il n’y a plus, en philosophie, de transcendance ; il n’y a plus que de l’immanence », la transcendance, — c’est-à-dire, pour être clair, — la difficulté dans les questions par leur hauteur même, n’en existe pas moins de toute son existence indestructible, et l’esprit humain ne se tient pas pour dit qu’elle n’est plus parce que M.  […] » Et les conditions sine qua non de l’existence de l’esprit humain ne lui paraissent pas une raison assez péremptoire, à cet escamoteur, qui fait tout disparaître : mais ici, c’est le bon sens qui est escamoté ! […] Si elles ne sont pas ces petites boîtes elles-mêmes, qu’il nous les montre, ces facultés de l’âme indépendantes, ayant une existence à elles, quoique renfermées en ces petits engins.

168. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXXI. Sainte Térèse »

Quel critique enfin a signalé au public, d’une façon quelconque, l’existence d’une traduction qui met à sa portée une œuvre littéraire, comptée au premier rang dans la littérature espagnole, et qui de plus lui fait connaître une de ces prodigieuses individualités, comme on dit maintenant, d’autant plus curieuse qu’elle est inexplicable à la sagacité purement humaine de l’Histoire, mais dont, pour cette raison peut-être, l’Histoire aime peu à s’occuper. […] « Je suis en tout de la plus grande faiblesse, dit-elle, mais, appuyée à la colonne de l’Oraison, j’en partage la force. » Malade, pendant de longues années, de maladies entremêlées et terribles qui étonnent la science par la singularité des]symptômes et par l’acuité suraiguë des douleurs, Térèse, le mal vivant, le tétanos qui dure, a vécu soixante-sept ans de l’existence la plus pleine, la plus active, la plus féconde, découvrant des horizons inconnus dans le ciel de la mysticité, et sur le terrain des réalités de ce monde, fondant, visitant et dirigeant trente monastères, quatorze d’hommes et seize de filles. […] En restant dans une appréciation purement humaine et littéraire, et en écartant toutes les questions théologiques qui se rattachent à une existence prodigieuse et impossible à expliquer avec les lois physiologiques dont nous sommes si fiers, la vie de Sainte Térèse, confessée par elle, est un de ces grands fragments de l’esprit humain, qui importent à l’esprit humain tout entier.

169. (1924) Intérieurs : Baudelaire, Fromentin, Amiel

Et avec cela son Journal est le procès-verbal de l’existence d’un homme qui a oublié de vivre, qui n’a pas su vivre. […] Elle sent que tout de même sa vie est enrichie, complétée par l’existence de cet amour dangereux. […] « Jugeait-il que la dernière évolution de son existence était accomplie ? […] C’est un homme pour qui le corps n’a qu’une existence pratique, c’est-à-dire une apparence utile, et pour qui l’âme, individuelle, cosmique ou divine, représente l’existence réelle. Cette existence réelle, un philosophe professionnel s’efforce de la démontrer, de l’organiser en système.

170. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXIXe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (1re partie) » pp. 241-314

Le temps les effeuille comme leurs actes et leurs ouvrages à chaque période de leur existence, à chaque année de leur vie. […] Vous avez pour ces deux genres des dispositions naturelles, c’est là votre métier ; vous devez vous y tenir, et il vous procurera bientôt une excellente existence ; mais il y a bien des choses qui, sans se rattacher spécialement à ce qui vous occupe, doivent cependant être apprises. […] Vous aurez alors acquis de la solidité pour toute votre existence, vous vous sentirez à votre aise, et partout où vous irez, vous irez sans inquiétude. […] Chaque temps renferme tant de souffrances inexprimées, tant de mécontentements secrets, de lassitude de l’existence, et il y a pour chaque homme dans ce monde tant de relations pénibles, tant de chocs dans sa nature contre l’organisation sociale, que Werther ferait époque aujourd’hui, s’il paraissait aujourd’hui. […] « On m’a toujours vanté comme un favori de la fortune ; je ne veux pas me plaindre et je ne dirai rien contre le cours de mon existence ; mais au fond elle n’a été que peine et travail, et je peux affirmer que, pendant mes soixante et quinze ans, je n’ai pas eu quatre semaines de vrai bien-être.

171. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre IV. Le roman »

Lesage est le premier exemple d’un grand écrivain qui se fait de son talent un moyen d’existence régulier. […] Ces deux existences, la dernière surtout, répondent mieux que celle de Gil Blas aux conditions de la vie réelle, et par conséquent à celles du roman réaliste. […] Et pourtant cet ouvrage contient quelque chose de rare dans la vie, et que le roman avait rejeté depuis Mme de la Fayette comme une pure idée de roman : il y a une grande passion, une passion qui absorbe deux êtres, dévorant leurs âmes et leurs existences. […] La passion n’est pas ici quelque chose de mystérieux, de magique, qui élève l’homme au-dessus de l’humanité, qui l’affranchisse des conditions communes de l’existence : la passion, pure et souveraine, est aux prises avec les petitesses des caractères et les misères de la vie.

172. (1890) L’avenir de la science « XVI »

On se figure trop facilement que la simplicité, que nous concevons comme logiquement antérieure à la complexité, l’est aussi chronologiquement ; comme si ce qui, relativement à nos procédés analytiques, est plus simple, avait dû précéder dans l’existence le tout dont il fait partie. […] L’être était comme s’il n’était pas ; car rien n’y était distinct ; tout y était sans individualisation ni existence séparée. […] Ainsi : 1° existence confuse et simultanée des variétés dialectales ; 2° existence isolée des dialectes ; 3° fusion des dialectes en une unité plus étendue.

173. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre V. Seconde partie. Des mœurs et des opinions » pp. 114-142

Il fallait alors que la philosophie luttât contre les égarements de l’imagination, contre les séductions des sens, mais toujours en respectant le sentiment religieux, sorte d’instinct qui seul donne de la durée à l’existence de l’homme, qui seul revêt d’une sanction inviolable les lois auxquelles il doit obéir. […] Dans un pays où le bien-être social consiste en des choses de délicatesse et de goût, où l’existence intime repose sur l’honneur, où les discours légers ont tant de gravité, où les interprétations d’une conduite exempte de tout reproche peuvent être si fatales, ou les femmes sont tellement mêlées à la société, et y mêlent tellement toutes les sortes de susceptibilités, et j’oserais dire toutes les sortes de pudeur, où tous les amours-propres sont toujours éveillés et si facilement irritables ; dans un tel pays, avouons-le, la médisance devient de la calomnie, les écrits indiscrets feront des blessures profondes que nulle puissance au inonde ne pourra guérir, la censure deviendra un tribunal public dont les arrêts justes ou injustes seront trop souvent des outrages. […] Remarquez bien que, dans cette question surtout, l’existence des femmes, telle qu’elle est en France, telle qu’elle doit y subsister, est encore, en dernier résultat, le plus grand obstacle à la sympathie de l’opinion avec les mœurs. […] Or remarquez que dans cette masse d’une nation il y a un très grand nombre d’hommes, ceux qui sont sans propriété, qui n’ont jamais participé aux mœurs : ceux-là n’ont eu dès lors que des besoins qui tiennent à l’existence matérielle.

174. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre VI. La parole intérieure et la pensée. — Second problème leurs différences aux points de vue de l’essence et de l’intensité »

Aucun philosophe ne croit aujourd’hui à l’existence de pensées pures et pourtant particulières, distinctes des images qui leur sont associées, et seulement exprimées par ces images qui ne les constituent à aucun degré. […] La succession des pensées révèle son existence, leurs rapports révèlent son identité ; les pensées sont donc les signes de la pensée. […] N’est-il pas naturel que la continuité de notre existence soit faite à nos yeux bien plutôt par le retour périodique des états les plus vifs que par celui des états les plus faibles ? […] L’existence d’un langage intérieur comme compagnon et auxiliaire de toute pensée un peu développée [ch. […] L’analyse logique, la version, et, en général, tous les exercices qui obligent à réfléchir, prennent les mots comme moyen, les idées comme but ; ils forment l’esprit à aimer ses idées, à les surveiller, à les regarder en toute occasion, soit pour les ranger dans un nouvel ordre et corriger leurs défauts, soit et plus souvent pour leur restituer ce que l’habitude à chaque instant tend à leur enlever d’existence et d’existence distincte.

175. (1888) Portraits de maîtres

Chemin faisant nous n’avons pas dissimulé la part d’erreurs et de faiblesses que comportent les existences les plus admirées et les œuvres les plus accomplies. […] Pourtant c’est un des traits les plus généraux de l’existence humaine. […] Devant cette existence famélique Michelet, le penseur humain, rêve pour tous la suffisante vie. […] Le voilà qui croit au triomphe de la raison, de la justice, comme à sa propre existence. […] Cette dernière partie de son existence ne fut pas la moins remplie d’actes et d’œuvres.

176. (1887) Discours et conférences « Appendice à la précédente conférence »

Le cheik Gemmal-Eddin me paraît avoir apporté des arguments considérables à mes deux thèses fondamentales : — Pendant la première moitié de son existence, l’islamisme n’empêcha pas le mouvement scientifique de se produire en terre musulmane ; — pendant la seconde moitié de son existence, il étouffa dans son sein le mouvement scientifique, et cela pour son malheur !

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