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281. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Joinville. — II. (Fin.) » pp. 513-532

Saint Louis, à peine à terre, dans sa foi en Dieu, dans sa ferveur à l’aveugle, voulait courir sus à un gros de Sarrasins qu’il voyait devant luit ; ses chevaliers et prud’hommes eurent à l’en empêcher. […] Toutefois, le désir du retour l’emportait, et l’un des plus braves chevaliers présents ne put s’empêcher de tancer injurieusement son neveu qui s’était rangé à l’avis de Joinville. […] À cette vue, les esprits les plus émancipés d’aujourd’hui ne sauraient s’empêcher de dire en tempérant leur sourire par le respect : Sancta simplicitas !

282. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — III » pp. 178-197

Nul bruit en ces lieux, aucun du moins qui empêche la pensée. […] Tout le monde connaît en Angleterre sa pièce à Mme Unwin, malade et infirme, intitulée À Marie, et quoique je vienne de dire que je ne citerai plus rien de Cowper, je ne puis m’empêcher de donner quelques strophes ou plutôt quelques versets de cette tendre et incomparable plainte, écrite avec des larmes. […] [NdA] En lisant ces vers À Marie, qui tournent sensiblement à la litanie pieuse, on ne peut s’empêcher de penser à cette autre Marie par excellence, la Vierge, celle dont il est dit dans la Divine Cornédie de Dante, par la bouche de Béatrix : « Il est au ciel une noble dame qui se plaint si fort de ces obstacles contre lesquels je t’envoie, qu’elle fléchit là-haut le jugement rigoureux. » C’est la confiance en cette Marie toute clémente et si puissante auprès de son fils qui a manqué à Cowper.

283. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le duc de Rohan — II » pp. 316-336

Il prétend, à travers tout, être resté un bon Français ; il a toujours l’air de ne prendre les armes que malgré lui, à son corps défendant, et parce qu’il ne peut en honneur s’en empêcher sans manquer à son devoir et au bien des Églises. […] Rohan, qui était d’accord de tout avec lui, mais qui n’avait pas voulu prendre les armes jusque-là, et qui même s’était prêté à un semblant de négociation avec la Cour, commence à se déclarer, « contraint de le faire, dit-il, pour montrer que ce n’était son impuissance, comme on se figurait, qui l’en avait empêché, mais bien le désir de pacifier toutes choses. » Il avait déjà parcouru bien des villes, accompagné d’un grand nombre de ministres, haranguant, disant des prières, faisant porter une Bible devant lui, fidèle à son double rôle de capitaine et de serviteur des Églises. […] Il le redira plus tard en vingt endroits : « Qui a affaire à un peuple qui ne trouve rien de difficile à entreprendre, et qui, en l’exécution, ne pourvoit à rien, se trouve bien empêché. » Il souhaite à ceux qui viendront après lui « d’avoir autant d’affeclion, de fidélité et de patience qu’il en a eu, et de rencontrer des peuples plus constants, plus zélés et moins avares. » Cette âme fière, ce capitaine énergique fait pour commander, cette nature aristocratique, ambitieuse de grands desseins et entravée à chaque pas, avait dû beaucoup souffrir.

284. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric-le-Grand Correspondance avec le prince Henri — II » pp. 375-394

Si je pense avec cela que cet enfant avait le meilleur cœur du monde, qu’il était né bienfaisant, qu’il avait de l’amitié pour moi, alors, mon cher frère, les larmes me tombent des yeux malgré moi, et je ne saurais m’empêcher de déplorer la perte de l’État et la mienne propre. […] Il ne se contentait pas d’appliquer envers la grande souveraine, femme pourtant par bien des côtés, le précepte de conduite que lui donnait crûment son frère : « Les Indiens disent qu’il faut adorer le diable pour l’empêcher de nuire. » Il y mettait plus de façon et d’art. […] On lit dans une lettre du roi ce bel éloge : « Nous avons eu ici (10 octobre 1784) M. de Bouillé, qui est un homme de mérite, parce qu’il a su allier au mérite d’un bon militaire tout le désintéressement d’un philosophe ; et, quand on est assez heureux de rencontrer des hommes pareils, il faut en tenir compte à toute l’humanité. » Le prince Henri, en recevant M. de Bouillé à Rheinsberg, ne put s’empêcher de s’exprimer devant lui, de s’épancher sur le compte du roi son frère, comme il n’avait cessé malheureusement de penser et de sentir : Il le représentait, dit M. de Bouillé dans des mémoires dont on n’a donné que des extraits57, comme impatient, envieux, inquiet, soupçonneux et même timide, ce qui paraît extraordinaire ; il lui attribuait une imagination déréglée, propre à des conceptions décousues, bien plus qu’un esprit capable de combiner des idées pour les faire judicieusement fructifier.

285. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — I » pp. 432-453

Elle reçoit chez elle des visites de Mme Necker, « triste, languissante, mais toute pleine d’espérance. » Elle y va dîner une ou deux fois, mais sur ce chapitre elle a contre eux un véritable grief qui l’empêchera d’y retourner : c’est qu’ils dînent à cette heure indue qui était alors quatre heures et demie de l’après-midi : la marquise avait l’habitude de dîner à deux heures. […] Mais il faut, pour être sage, pouvoir durer avec soi-même (car l’ennui est la source de tous les écarts), donner à la vie la consistance qu'elle a, qui est bien peu de chose ; et, si tous ces calculs ne font pas rire, ils empêchent souvent de pleurer. […] Je m’ennuie si fort à Paris, que vous devriez y revenir, ne fut-ce que pour empêcher ma démence. » Mais il ne sera pas indifférent de bien définir, en présence de Mme de Créqui, le confident qu’elle s’est donné dans ses jugements des hommes et des choses.

286. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — IV » pp. 103-122

Villars, qui se flattait que, sans sa blessure, on aurait, remporté la victoire, ne se prévalait pas trop du moins lorsqu’il écrivait au roi : « Si Dieu nous fait la grâce de perdre encore une pareille bataille, Votre Majesté peut compter que ses ennemis sont détruits. » Enfin, quoiqu’on n’ait pu empêcher Mons d’être assiégé et pris comme l’avait été Tournai, le royaume ne fut pas entamé, et l’on espéra que la leçon donnée à l’arrogance des alliés, aux Hollandais particulièrement qui avaient le plus souffert, rendrait la paix moins difficile. […] On lui avait un moment donné pour second, dans cette prévision d’une bataille prochaine, le maréchal de Berwick avec qui il vécut en bons termes, bien qu’ils fussent quelquefois d’avis différents : « Je me doutais, dit Villars, qu’il était chargé de tempérer ce qu’on appelait ma trop grande ardeur : c’est pourquoi je n’hésitais pas à proposer les projets les plus hardis, persuadé qu’on en rabattrait toujours assez. » Dans la première partie de cette campagne de 1710 il ne put, malgré sa bonne envie, secourir et sauver Douai ; dans la seconde partie il sut manœuvrer et se poster assez bien pour empêcher le siège d’Arras, et l’on en fut quitte pour perdre Béthune, Saint-Venant et Aire. […] Il en était encore très réellement empêché : il restait à cheval cinq et six heures de suite, mais il fallait l’y monter et l’en descendre.

287. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La comtesse de Boufflers (suite.) »

C’est une accusation à laquelle vous devez prendre garde de donner lieu, dans la crainte qu’elle n’obscurcisse l’éclat de votre vertu et qu’elle ne l’empêche de produire tout l’effet dont elle serait capable sans cela. […] Ce fils paraît lui avoir causé quelque peine, car elle prend soin de noter un changement avantageux qu’elle croirait, dit-elle, remarquer en lui, « si elle n’avait interdit à l’espérance aussi bien qu’à la crainte tout accès dans son cœur ; mais ces deux passions, ajoute-t-elle, amollissent trop le courage, et on les doit bannir autant qu’il est possible, lorsqu’on s’engage dans quelque entreprise importante. » Elle parle d’une « mélancolie profonde et trop justement fondée, suivie de la rougeole et d’un long état de langueur, qui l’ont concentrée en elle-même » et l’ont empêchée d’écrire. […] Le très-sage Hume nous en est la preuve : au reçu de la lettre insensée de Jean-Jacques, écrite de Wootton le 23 juin 1766, et dans laquelle celui-ci l’accusait de ne l’avoir amené en Angleterre et de ne lui avoir procuré en apparence un asile sûr que pour mieux le déshonorer, il eut un premier mouvement d’indignation et de colère ; il dérogea à sa philosophie, à son tempérament même, et sortit de son indifférence ; il ne put s’empêcher, lui aussi, de s’écrier : « Rousseau est un scélérat. » Par malheur, il eut l’idée d’écrire sur ce ton à ses amis de Paris, et non pas d’abord à Mme de Boufflers qui lui eût donné un bon conseil, mais au baron d’Holbach, le coryphée et la trompette des Encyclopédistes : la trompette sonna.

288. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La comtesse de Boufflers (suite et fin.) »

« Quoique je ne sois plus certainement qu’à quelques semaines, chère Madame, et peut-être à quelques jours de ma propre mort, je ne puis m’empêcher d’être frappé de la mort du prince de Conti, une si grande perte à tous égards. […] Je vous salue avec grande affection et respect pour la dernière fois. » Certes, la femme qui inspirait à un sage mourant de tels sentiments suprêmes d’intérêt et d’amitié n’était point une âme ordinaire ; et ce seul témoignage, qui rattache son souvenir à celui d’une des plus belles morts que la philosophie nous offre, suffirait pour empêcher son nom à elle-même de mourir. […] Plus d’un événement empêcha Mme de Boufflers d’exécuter ce projet qui allait si bien à sa curieuse et voyageuse nature.

289. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid(suite et fin.)  »

Plusieurs mois se sont écoulés depuis son premier appel au roi ; pour motiver ce nouveau recours à la justice, elle vient se plaindre que dans l’intervalle, Rodrigue, moins courtois qu’il ne le devrait, n’a cessé de la braver, de l’insulter ; et elle le dit d’une manière bien pittoresque, dont les romances nous ont déjà donné l’idée : « Je vois passer chaque jour, sans qu’on puisse l’empêcher, celui qui tua mon père, son épée à son côté, couvert de riches habits, sur son poing un épervier, monté sur son beau cheval. […] Les instants sont comptés, l’heure presse : forcée dans ses derniers retranchements, Chimène aux abois n’a plus qu’à s’exécuter et à tout dire ; « Puisque, pour t’empêcher de courir au trépas, Ta vie et ton honneur sont de faibles appas. […] Et à ce sujet, je ne puis m’empêcher de me rappeler une analyse du savant Fauriel, une leçon professée, il y a trente ans, à la Faculté des Lettres.

290. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Réminiscences, par M. Coulmann. Ancien Maître des requêtes, ancien Député. »

La funeste rhétorique a là son trépied et donne le diapason aux discussions publiques. » Ce jugement qu’il rapporte, presque en ayant l’air d’y adhérer, n’empêche pas M.  […] Cette causticité roulante n’empêchait pas la bonté du fond ; mais il fallait le savoir. […] A le juger tel qu’il se montre dans ces Souvenirs, je le vois en politique, en littérature, en art, en tout, n’ayant rien de bien tranché ni de saillant, il est pour la Charte en 1814, et cela ne l’empêche pas d’avoir des restes d’impérialisme, d’aller rendre visite dans ses voyages aux principaux membres dispersés de la famille de Napoléon.

291. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires de Malouet (suite.) »

Si ce plan est raisonnable, dans le système monarchique, je m’engage à le soutenir et à employer tous les moyens, toute mon influence, pour empêcher l’invasion de la démocratie qui s’avance sur nous. » « Ces paroles m’allaient au cœur, continua Malouet. […] Malouet eut le tort de ne pas s’y rendre, de ne pas accompagner Mirabeau, et de ne pas prendre sur lui de le piloter : une fausse délicatesse l’en empêcha. […] Il a eu un beau mot pour définir la Société de Jésus, qu’il connaissait bien : « C’est, disait-il, une épée dont la poignée est à Rome, et la pointe partout. » Ce qui ne l’empêcha pas, quand les Jésuites furent supprimés, de se faire honneur de prendre jusqu’à un certain point leur parti.

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