Et le soir vient, un calme sur l’eau. […] Fin et long, d’un doux penchement des roseaux qu’il aimait en ses vers parmi le miroir des eaux, charmant de l’exquis esseulement des choses anciennes, chaudement pâle, le sourcil légèrement crispé sur le monocle et davantage de la rumeur et de l’agitation modernes, Henri de Régnier apportait son premier recueil de poèmes, Les Lendemains. […] Et c’est vraiment quelque chose comme le représentant suprêmement épiscopal d’un Art occulte qu’il devint, le regard pris en la contemplation de la large et magique pierre violette enchassée en l’anneau sacré: Eau froide par l’ennui dans ton cadre gelée…81 Si les premiers poèmes que donna Mallarmé durant une dizaine d’année, de 1862 à 73 environ, dénoncent un poète doué extraordinairement, de qui le Verbe a des sonorités insolites et les images présentent souvent une rareté concise et logique qui lui est propre, sa personnalité princière est cependant loin d’être élucidée encore Quant aux sonorités nuancées du vers. […] Elle en procède encore « d’aimer l’horreur d’être vierge », et de hanter la solitude de palais et de parcs ou les miroirs et les eaux mortes se contemplent, où le décor, adéquat à Hérodiade elle-même, revêt une splendeur impassible de métaux et de pierres précieuses.
On l’a comparé à ces fleuves qui ayant leur lit plus serré que les autres, ont aussi leurs eaux plus profondes & portent des fardeaux plus pesants.
Celle qui leur est restée, à un certain âge, est prise, comme on prend l’eau d’un canal, à la source de leur jeunesse, et ils s’en servent pour fertiliser leurs succès en toute chose, science, art ou argent, en écartant d’eux la défiance… » Vous tournez le feuillet, vous rencontrez le récit de la fondation d’un théâtre à Paris qui résume en cent lignes le principe des grandeurs et des décadences de toutes les entreprises de ce genre sur le boulevard, depuis qu’il y a un boulevard et des boulevardiers, des décorateurs et des coulisses, et un large souffle d’humanité court sur le tout, — l’humanité du Shakespeare de la Tempête qui ne s’indigne plus, qui ne se moque plus, qui a trop vu l’envers et les dessous de l’existence pour s’attendre à rien sinon à la fourberie et à la cruauté des uns, à la faiblesse et à l’écrasement des autres. — « Excusez les fautes du copiste », c’est le dernier mot du livre, et comme le testament de celui qui l’a écrit. […] Et ces vingt pages suffisent pour donner au lecteur une sensation intense de réalité, ce frisson de la vie qui fut le don incomparable du malheureux et grand écrivain… Les salles d’un casino d’une ville d’eaux, celui d’Aix, en Savoie, s’évoquent devant vous, qui voyez les quatre tables de jeu, qui entendez le bruit des louis, « un petit bruit de source d’or, d’une source de louis roulant sur les quatre tapis ». […] Leur expression prudente et taciturne, défiante jusqu’à en être sournoise, passionnée jusqu’à en être illuminée, contraste, non moins que leurs costumes et leurs coutumes, avec les physionomies gaies et les allures libres des garnisaires français qui campent dans ces mêmes vergers, sous ces mêmes cyprès arrosés d’eaux courantes.
Plusieurs y en a d’entr’elles, qui meurent sistost qu’elles sont prinses : comme le poisson qui perd la vie aussitost que l’eau. » Nombre d’autres passages montrent au vif l’ardeur avec laquelle La Boëtie avait embrassé sa théorie : « Mais à propos, si d’adventure il naissoit aujourd’huy quelques gents, touts neufs, non accoustumez à la subjection, ny affriandez à la liberté, et qu’ils ne sceussent que c’est ny de l’une ny de l’aultre, ny à grand’peine des noms ; si on leur presentoit, ou d’estre subjects, ou vivre en liberté, à quoy s’accorderoient-ils ? […] Comme la pierre, en tombant dans l’eau, s’entoure d’un cercle médiocre, puis d’un plus grand, et d’un plus grand encore, jusqu’à un point où l’œil n’atteint plus, ainsi tombe chacune des maximes dans l’esprit du lecteur attentif : le point devient en peu d’instants une vaste circonférence. […] Ils se retirent la nuit dans des tanières où ils vivent de pain noir, d’eau et de racines ; ils épargnent aux autres hommes la peine de semer, de labourer et de recueillir pour vivre, et méritent ainsi de ne pas manquer de ce pain qu’ils ont semé301. » Ce portrait, fût-il un peu exagéré, atteste chez l’auteur ce sentiment général d’humanité que manifestent bien d’autres passages des Caractères, et qui était peu partagé à cette époque.
. — Je pars incessamment pour les eaux, et je voudrais emporter le souvenir d’une journée de vous.
Une secte s’était établie, posant en principe que le monde était une garde-robe d’habits ; « car qu’est-ce qu’on appelle terre, sinon un pourpoint bariolé de vert, et qu’est-ce que la mer, sinon un gilet couleur d’eau ?
Le soleil brûlant, l’étrange végétation de cocotiers et de palmiers, le champ de riz, le réservoir d’eau, les arbres énormes, plus vieux que l’empire Mogol, sous lesquels s’assemblent les foules villageoises, le toit de chaume de la hutte du paysan, les riches arabesques de la mosquée où l’iman prie la face tournée vers la Mecque, les tambours et les bannières, les idoles parées, le pénitent balancé dans l’air, la gracieuse jeune fille, avec sa cruche sur la tête, descendant les marches de la rivière, les figures noires, les longues barbes, les bandes jaunes des sectaires, les turbans et les robes flottantes, les lances et les masses d’armes, les éléphants avec leurs pavillons de parade, le splendide palanquin du prince, la litière fermée de la noble dame ; toutes ces choses étaient pour lui comme les objets parmi lesquels sa vie s’était passée, comme les objets qui sont sur la route entre Beaconsfield et Saint-James Street.
. — Recette véritable, par laquelle tous les hommes de France pourront apprendre à multiplier et augmenter leurs trésors, 1563 ; — et Discours admirables de la nature des eaux et des fontaines, 1580.
Dans le joli roman de Gil Blas, le docteur Sangrado, voulant initier Gil Blas à son art, lui dit : « Mon ami, toute la médecine consiste à faire saigner et boire de l’eau chaude ; d’autres étudient toute leur vie, sans jamais devenir savants ; et toi, sansavoir jamais étudié, te voilà devenu aussi savant que moi. » Mettez Voltaire à la place du docteur Sangrado, et supposez au lieu de Gil Blas un jeune aspirant au bonnet de docteur académique, auquel le patriarche adresse ce discours : « Mon ami, toute la philosophie consiste à n’avoir point de religion, et à ne consulter que son intérêt personnel. Tu passerais ta vie à étudier, que tu ne trouverais pas d’autre résultat dans les livres de nos jurisconsultes et de nos sages ; ainsi, moque-toi de tous les hommes et de tous les principes ; fais ton chemin à quelque prix que ce soit ; la bonne compagnie te regardera comme un génie supérieur, et, dès ce moment, tu peux te flatter qu’en morale et en politique, tu en sais tout autant que moi. » Toute la secte repose, en effet, sur ces deux grands pivots : le matérialisme et l’égoïsme sont à la philosophie moderne ce que la saignée et l’eau chaude étaient à la médecine du docteur Sangrado. […] Le concert et la collation sur l’eau, le faux mariage de Dorante à Poitiers, sont des narrations d’autant meilleures, qu’elles forment situation, et que ceux à qui on les fait y prennent le plus vif intérêt.
Ainsi, quand Antipater établit à Athènes que ceux qui n’auraient pas deux mille drachmes fussent exclus du droit de suffrage, il forma la meilleure aristocratie qui fût possible, parce que ce cens était si petit qu’il n’excluait que peu de gens et personne qui eût quelque considération dans la cité. » Montesquieu n’est donc point aristocrate ; mais il est hiérarchique, c’est-à-dire qu’il met la pyramide sur sa base et qu’il veut que le commandement, soit qu’il parte d’un seul, soit qu’il parte de tous, pour, ramassé par un seul, retomber sur tous, ce qui est exactement la même chose et ce qui est, dans les deux cas, le despotisme ; — tout au contraire descende du pouvoir central jusqu’à tous par les corps intermédiaires qui sont comme des canaux modérateurs de la violence et du poids des eaux : « Les lois fondamentales [la Constitution] supposent naturellement des canaux moyens [intermédiaires] par où coule la puissance ; car s’il n’a dans l’Etat que la volonté momentanée et capricieuse d’un seul, rien ne peut être fixe et par conséquent aucune loi fondamentale [il n’y a pas de Constitution] . » Ceci est le point central et comme le nœud vital de la conception politique de Montesquieu. […] La discorde y régnera comme dans un couvent de moines ; mais il n’y aura ni Saint-Barthélemy, ni massacres d’Irlande, ni Vêpres siciliennes, ni condamnation aux galères pour avoir pris de l’eau dans la mer sans payer. » On se demande pourquoi, si la discorde règne dans ce pays, il n’y aura point de guerres civiles.
Quitte le théâtre, et choisis pour régner quelque paisible province dans le pays des acrostiches779. » Ainsi se déploie l’insultante mascarade, non point étudiée et polie comme le Lutrin de Boileau, mais pompeuse et crue, poussée en avant par un souffle brutal et poétique, comme on voit un grand navire entrer dans les bourbes de la Tamise, toutes voiles ouvertes et froissant l’eau.