Avec Ballanche, nous entrons dans cette génération d’hommes qui ont été ébranlés jusqu’au fond de leur imagination par le drame révolutionnaire, et qui, chacun selon sa tournure d’esprit, en garderont je ne sais quelle tendance à une forme ou à une autre de mysticisme. […] Sait-on d’où est né le drame ? […] Il a tort de vouloir y ajouter des preuves : « Les peuples qui ont une philosophie sont les seuls qui aient un drame, et l’une et l’autre ont toujours éclaté en même temps… Socrate et Sophocle, Shakespeare et Bacon, Corneille et Descartes, Schiller et Kant. » — Je veux bien, tant la multiplicité des objections possibles me lasse d’avance, et tant la fragilité, l’arbitraire, l’enfantillage des rapprochements me désarme.
Nous ne blâmons pas, bien entendu, la scène, l’intention, le drame.
S’il trouve une jeune fille des classes dirigeantes qu’il aime et dont il est aimé, mais aussi orgueilleuse que lui, l’amour entre ces deux êtres sera un drame terrible, où chacun, dès qu’il a laissé voir son amour, sent qu’il se livre, sent qu’il s’abaisse, redoute l’orgueil de l’autre, se reprend aussitôt et se ressaisit, souffre et fait souffrir tout ce que l’orgueil peut infliger de tortures à l’amour, passe tour à tour par toutes les affres de l’humiliation, de la révolte, de la « haine impuissante » et aussi de la haine satisfaite. […] Elle a étalé le drame extérieur de l’humanité, ne nous a pas renseignés sur la manière dont les acteurs, rentrés chez eux, se tiraient d’affaire.
Par une étonnante contrariété que nous avons déjà remarquée, l’Allemagne proscrit de son théâtre, à l’exemple de Shakespeare, sur lequel ses drames sont formés, les unités que la Grèce, l’Italie, et la France, ont si heureusement maintenues ; tandis que son poème épique les adopte avec la plus fatigante régularité, dans un genre qui ne les commande pas, et qui laisse une grande latitude aux voyages de l’imagination. […] Une épopée ne commence pas, comme une tragédie : le poème débute par un exorde qui annonce nettement le sujet, et le drame par une exposition de faits et de caractères qui le font seulement pressentir.
Ton égoïsme de poète te fais toujours ramener toutes choses à toi-même, et cela détourne trop souvent ton attention du drame magnifique joué par l’univers.
Trottoirs, chaussées, tout est plein, tout est couvert d’hommes et de femmes, semblant s’être répandus de leur chez soi, sur le pavé ; un jour de fête de la grande ville, oui, un million d’êtres qui paraissent avoir oublié que les Prussiens sont à trois ou quatre marches de Paris, et qui, dans la journée chaude et grisante, vont à l’aventure, poussés par la curiosité fiévreuse du grand drame historique qui se joue.
Les poètes de cette école estompaient les sentiments plutôt qu’ils ne les exaspéraient : il leur semblait que le pathétique pouvait se trouver dans les nuances, dans les émotions moins contrastées, dans les sentiments moins exceptionnels, tout aussi bien que dans le drame ; pour le rencontrer, il leur suffisait de suivre paisiblement le fil des jours.
Lors de son premier passage à Paris, elle a été voir à l’Odéon Severo Torelli, drame de François Coppée.
En vain vous vous imaginez d’abord que cet esprit aurait pu surgir avant Shakespeare : c’est que vous ne pensez pas alors à tous les détails du drame. […] Prenez le monde concret et complet, avec la vie et la conscience qu’il encadre ; considérez la nature entière, génératrice d’espèces nouvelles aux formes aussi originales et aussi neuves que le dessin de n’importe quel artiste ; attachez-vous, dans ces espèces, aux individus, plantes ou animaux, dont chacun a son caractère propre — j’allais dire sa personnalité (car un brin d’herbe ne ressemble pas plus à un autre brin d’herbe qu’un Raphaël à un Rembrandt) ; haussez-vous, par-dessus l’homme individuel, jusqu’aux sociétés qui déroulent des actions et des situations comparables à celles de n’importe quel drame : comment parler encore de possibles qui précéderaient leur propre réalisation ?
Les deux radicalismes On comprendra dès lors comment le drame intérieur, et en somme la vie du radicalisme, sont faits de l’antagonisme entre deux directions jacobines contraires, deux filles ennemies de la société-mère.
* Dans la crise suprême où se débat la France, ce qui me rend inconsolable, c’est qu’il n’existe pas de tribunal sur la terre pour juger entre les envahisseurs et les envahis, et que de cet épouvantable drame il n’y a même pas une morale à tirer.