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188. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre VIII. De Platon considéré comme panégyriste de Socrate. »

« Je ne ferai point un lutteur, dit-il ; la Grèce compte assez d’athlètes, et je préfère la vertu à la force ; je ne ferai point un guerrier ; ce mérite est commun : des milliers d’hommes tous les ans meurent pour leur patrie ; je ne ferai aucun de vos anciens tyrans, je briserais plutôt leurs images ; je pourrais représenter quelqu’un de vos dieux : mais vous en avez en foule dans vos temples ; et pour contempler la divinité, au défaut des statues, n’avez-vous pas les cieux ?  […] les dieux le savent, mais aucun homme ne le sait. » Tel est ce premier discours de Platon, où il a développé l’âme de Socrate ; il y règne une éloquence douce et noble, le courage de la vertu, le respect pour la divinité et pour soi-même. […] Socrate s’éveille, Criton lui annonce que c’est le lendemain qu’il est condamné à mourir : « Comme il plaira aux dieux, dit Socrate. » Alors son ami le conjure de vouloir bien se conserver lui-même ; il lui apprend qu’il a gagné les gardes, que tout est prêt, et qu’il ne tiendra qu’à lui de se dérober la nuit suivante à ses persécuteurs.

189. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre VII. Le Fils. — Gusman. »

Des dieux que nous servons connois la différence : Les tiens t’ont commandé le meurtre et la vengeance, Et le mien, quand ton bras vient de m’assassiner, M’ordonne de te plaindre et de te pardonner. […] Quand nous disons un idéal de vérité, ce n’est point une exagération ; on sait que ces vers : Des dieux que nous servons connais la différence, etc., sont les paroles mêmes de François de Guise25.

190. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre premier. Du Christianisme dans l’éloquence. »

Ils ont sans cesse le nom des dieux à la bouche : voyez l’invocation du premier aux mânes des héros de Marathon, et l’apothéose du second aux dieux dépouillés par Verrès.

191. (1882) Hommes et dieux. Études d’histoire et de littérature

L’assassin monte au Capitole et rend grâces aux Dieux. […] Les Dieux s’en vont et les Monstres arrivent. […] Va-t’en, par les dieux ! […] On eût dit qu’elle s’inspirait de ces dieux funèbres. […] Volontiers comme à ces dieux, elle leur aurait donné des têtes d’animaux.

192. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre quatorzième. »

Homère a peint ses dieux comme son temps les voyait. […] Il voyait les statues des dieux dans ces temples ; il croyait aux dieux d’Homère ; il avait respiré l’ambroisie qui s’exhale de la chevelure de Vénus. Homère et Virgile avaient trouvé les traits de leurs dieux, comme Raphaël l’ineffable beauté de ses Vierges, au fond des esprits et des cœurs de leurs contemporains. Les dieux dont se sert Fénelon ne sont qu’une machine dans une fable. […] Le jeune prince avait l’imagination accoutumée aux dieux d’Homère et de Virgile.

193. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préfaces des « Odes et Ballades » (1822-1853) — Préface de 1824 »

Ainsi l’horloge qui, au grand amusement de Voltaire, désigne au Brutus de Shakespeare l’heure où il doit frapper César, cette horloge, qui existait, comme on voit, bien avant qu’il y eût des horlogers, se retrouve, au milieu d’une brillante description des dieux mythologiques, placée par Boileau à la main du Tems. […] Rousseau envoyant (dans son Ode au comte de Luc, dont le mouvement lyrique est fort remarquable) un prophète fidèle jusque chez les dieux interroger le Sort ; et en trouvant fort ridicules les Néréides dont Camoëns obsède les compagnons de Gama, on désirerait, dans le célèbre Passage du Rhin de Boileau, voir autre chose que des naïades craintives fuir devant Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, accompagné de ses maréchaux-des-camps-et-armées. […] Et remarquons, en passant, que, si la littérature du grand siècle de Louis le Grand eût invoqué le christianisme au lieu d’adorer les dieux païens, si ses poëtes eussent été ce qu’étaient ceux des temps primitifs, des prêtres chantant les grandes choses de leur religion et de leur patrie, le triomphe des doctrines sophistiques du dernier siècle eût été beaucoup plus difficile, peut-être même impossible.

194. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Maurice Bouchor »

Ces jeunes gens qui ne croient, comme on dit, ni à Dieu ni à Diable, et qui font des vers dans le genre de ceux-ci, lesquels d’ailleurs, sont beaux, à deux taches près : Les dieux et les héros ne sont plus de ce temps ; Et, désormais fermés aux grandes espérances, Nous vivons trop nos deuils, nos plaisirs, nos souffrances, Pour sonder du regard les cieux inquiétants. […] Eh bien, c’est cette même voix qui circule et qu’on entend dans les poésies de Bouchor, de ce poète athée qui pleure son dieu, comme Hécube pleurait ses enfants perdus, et que son athéisme rend tour à tour morne ou effaré… Seulement, le tableau effrayant de Jean-Paul ne dure que l’instant d’une page, zigzag de feu terrible qui tombe dans le gouffre sans fond du néant et nous éclaire ce trou vide ! […] Ce poème du Faust moderne donne le volume d’une voix qui chantera prochainement dans un registre plus à elle, — le registre de sa propre originalité… Maurice Bouchor qui, aujourd’hui, a voulu ranimer le vieux Faust et le rajeunir, a fini par le tuer dans un épilogue qui est la revanche de l’âme contre la matière, comme tout le poème est la revanche du sentiment religieux contre l’athéisme pleurant le dieu qu’il dit n’être pas, — inconséquence vengeresse !

195. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — III. Le Poëme épique, ou l’Épopée. » pp. 275-353

Il se permit seulement quelques vers dans lesquels il avertissoit Perrault d’être sur ses gardes, & il représentoit :             Junon, Jupiter, Mars,         Apollon le dieu des beaux-arts, Les ris mêmes, les jeux, les graces & leur mère,         Et tous les dieux, enfans d’Homère,         Résolus de venger leur père. […] Il convenoit bien que les dieux & les héros de l’Iliade ne valent pas nos honnêtes gens ; mais il nioit que ce fût la faute du poëte, qui avoit dû peindre les mœurs & suivre les idées du temps. […] L’Énéide, dit-on est totalement calquée sur l’Iliade : même dessein, mêmes dieux, mêmes épisodes. […] Il a fait à la fois, d’Énée, un prince religieux & un grand homme ; un héros qui craint les dieux, mais à qui les oracles n’en imposent pas ; un héros plein de franchise & de valeur, ne sauvant sa gloire, & ne s’arrachant à Didon, qu’après l’avoir rendue triomphante de ses ennemis, & fait preuve des sentimens les plus élévés. […] Elle se moque d’un héros qui s’occupe d’amour, lorsqu’il devroit avoir la tête remplie des grandes vues que les dieux ont sur lui ; qui, dans le temps que la reconnoissance vouloit qu’il s’attachât à Carthage, prétexte leurs ordres pour aller s’établir dans tel coin de la terre plutôt que dans tel autre, & trahit une reine qui s’est livrée à lui, & l’a comblé de biens pour devenir le ravisseur d’une femme promise à un autre prince.

196. (1856) Cours familier de littérature. II « XIe entretien. Job lu dans le désert » pp. 329-408

La vertu succombant sous l’audace impunie, L’imposture en honneur, et la vertu bannie ;             L’errante liberté Aux dieux vivants du monde offerte en sacrifice ; Et la force partout fondant de l’injustice             Le règne illimité ! La valeur sans les dieux décidant les batailles ! […] Des sept pages du monde une me reste à lire : Je ne sais pas comment l’étoile y tremble aux cieux, Sous quel poids du néant la poitrine y respire, Comment le cœur palpite en approchant des Dieux ! […] … ………………………………………………………… ………………………………………………………… ………………………………………………………… ………………………………………………………… VII Le désert donne à l’homme un affranchissement Tout pareil à celui de ce fier élément ; À chaque pas qu’il fait sur sa route plus large, D’un de ses poids d’esprit l’espace le décharge ; Il soulève en marchant, à chaque station, Les serviles anneaux de l’imitation ; Il sème, en s’échappant de cette Égypte humaine, Avec chaque habitude, un débri de sa chaîne… ………………………………………………………… ………………………………………………………… Ces murs de servitude, en marbre édifiés, Ces balbeks tout remplis de dieux pétrifiés, Pagodes, minarets, panthéons, acropoles, N’y chargent pas le sol du poids de leurs coupoles ; La foi n’y parle pas les langues de Babel ; L’homme n’y porte pas, comme une autre Rachel, Cachés sous son chameau, dans les plis de sa robe, Les dieux de sa tribu que le voleur dérobe ! […] « Me croyez-vous semblable aux dieux de vos tribus ?

197. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre XI. Quelques philosophes »

Mais il clame sa pensée en images si triomphantes, il la danse au rythme de symboles si bondissants et si vertigineux qu’elle semble la fiévreuse création de quelque dieu imprévu, Bacchus barbare, ivre de sa puissance, ivre aussi de ce qu’il a bu. […] Et, autour de chaque mouvement du dieu fauve, s’émeut un éblouissement ardent ; autour de chaque mouvement de Nietzsche, Loïe Fuller de la philosophie, circule, serpentine et crépitante, une mélodie de flammes. [Maurice Maeterlinck] Constater que les dieux personnels sont morts ; détruire les temples extérieurs qui jettent sur nous une ombre malsaine ; ne laisser aux puissances divines, justice, chance, destinée, d’autre refuge que le cœur de l’homme, ou mieux la partie inconsciente et comme souterraine de notre être, « le temple enseveli » : tel est bien, malgré quelques incertitudes et quelques retours en arrière, l’effort de Maurice Maeterlinck. […] Il nous recommande encore : « N’interrogeons plus ceux qui fuyaient en silence aux premières questions, mais notre propre cœur, qui renferme en même temps la question et la réponse, et qui peut-être un jour se souviendra de celle-ci. » À plusieurs reprises, il proclame « la vaste loi qui ramène en nous, un à un, tous les dieux dont nous avions rempli le monde ».

198. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Béranger, Pierre-Jean de (1780-1857) »

Il est mort plein de jours, en possession d’une immense sympathie publique, et je ne veux, certes, contester aucune de ses vertus domestiques ; mais je nie radicalement le poète aux divers points de vue de la puissance intellectuelle, du sentiment de la nature, de la langue, du style et de l’entente spéciale du vers, dons précieux, nécessaires, que lui avaient refusés tous les dieux, y compris le dieu des bonnes gens, qui, du reste, n’est qu’une divinité de cabaret philanthropique.

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