/ 2448
816. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME GUIZOT (NEE PAULINE DE MEULAN) » pp. 214-248

On ne se dit pas seulement : « Cela est bon, cela est mauvais ; je suis amusé ou ennuyé ; » on refait, on converse en soi-même ; on revoit en action les caractères, non pas au point de vue de la scène, mais selon le détail de la réalité ; Tartufe suggère Onuphre. […] Et ici, tout en gardant la direction dans l’influence, l’esprit victorieux dut subir et ressentir une part essentielle dans le détail, en diminution d’idées absolues, en connaissance précoce du monde et maniement de la société et des hommes. […] On sent que beaucoup de ces nuages d’épouvante, que l’imagination de loin assemble à plaisir, s’évanouissent dans le détail et à mesure qu’on aborde chaque sentier. […] C’est par là qu’il la faut distinguer assez essentiellement de Mme Necker de Saussure, cet autre auteur excellent, et avec laquelle elle s’est rencontrée d’ailleurs sur tant de détails, comme Mme Necker elle-même se plaît à le faire remarquer en maint endroit de son second volume.

817. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre troisième »

Entrez dans le détail du Cid. […] On a admiré l’esprit que déploie Corneille pour varier par les détails une situation qui est toute la pièce. […] Une explication plus générale et moins tracassière, un examen approfondi des causes de certaines imperfections capitales, d’où sont nées toutes ces fautes de détail dont le goût de Voltaire triomphe trop aisément, eussent été plus dignes de lui, et l’auraient sauvé de l’accusation, d’ailleurs fort injuste, d’avoir voulu rabaisser Corneille35. […] La seule différence qu’il en fît, c’est que, dans les premiers, « ayant eu, disait-il, moins de secours du côté du sujet, il lui avait fallu plus de force devers, de raisonnement et de sentiment, pour les soutenir » ; et que, dans les autres, la richesse du sujet, l’art de la conduite, l’imagination des détails, les soutenaient assez sans qu’il y fallût autre chose.

818. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « H. Forneron » pp. 149-199

Mais par la facette de l’anecdote et le détail de mœurs et de pittoresque qui y brillaient au tournant de certaines pages, on comprenait qu’il y avait là une pointe de vie inconnue à Guizot, cette momie imposante et grave, — grave comme la mort, qui, du moins, elle, est silencieuse ! […] L’histoire de l’insurrection des Pays-Bas, racontée par Forneron sans déclamation d’aucune sorte et avec une précision de détails tirés des correspondances de Philippe II et cités en espagnol au bas des pages, établit dans les esprits la conviction de cette impossibilité. […] Philippe II échappe de toute la profondeur de sa conscience aux petits détails biographiques, et sur un homme comme lui, et pour descendre dans ce clair-obscur, ce ne serait pas trop qu’une forte étude psychologique. […] Mais, après lui, un homme qui, pour être le plus grand journaliste de son temps, n’en fut pas moins un grand historien, Granier de Cassagnac, dans son Histoire de la Révolution, donna le détail dont Chateaubriand n’avait vu que l’affreux ensemble.

819. (1856) Mémoires du duc de Saint-Simon pp. 5-63

Vingt fois pendant ces détails, involontairement je l’ai vu, en chaise de poste, sur la route de Blaye, avec un ordre du roi qui le renvoie dans ses terres. […] Nulle part on n’a vu une telle force, une telle abondance de raisons si hardies, si frappantes, si bien accompagnées de détails précis et de preuves ; tous les intérêts, toutes les passions appelées au secours, l’ambition, l’honneur, le respect de l’opinion publique, le soin de ses amis, l’intérêt de l’État, la crainte ; toutes les objections renversées, tous les expédients trouvés, appliqués, ajustés ; une inondation d’évidence et d’éloquence qui terrasse la résistance, qui noie les doutes, qui verse à flots dans le cœur la lumière et la croyance ; par-dessus tout une impétuosité généreuse, un emportement d’amitié qui fait tout « mollir et ployer sous le faix de la véhémence » ; une licence d’expressions qui, en face d’un prince du sang, se déchaîne jusqu’aux insultes, « personne ne pouvant plus souffrir dans un petit-fils de France de trente-cinq ans ce que le magistrat et la police eussent châtié il y a longtemps dans tout autre » ; étant certain « que le dénûment et la saleté de sa vie le feraient tomber plus bas que ces seigneurs péris sous les ruines de leur obscurité débordée ; que c’était à lui, dont les deux mains touchaient à ces deux si différents états, d’en choisir un pour toute sa vie, puisque après avoir perdu tant d’années et nouvellement depuis l’affaire d’Espagne, meule nouvelle qui l’avait nouvellement suraccablé, un dernier affaissement aurait scellé la pierre du sépulcre où il se serait enfermé tout vivant, duquel après nul secours humain, ni sien ni de personne, ne le pourrait tirer. » Le duc d’Orléans fut emporté par ce torrent et céda. […] Saint-Simon se figure le détail précis, les angles des formes, la nuance des couleurs, et il les note avec une netteté de peintre ou de géomètre ; je cite tout de suite, pour être précis et l’imiter ; il s’agit de la Vauguyon, demi-fou, qui un jour accula madame Pelot contre la cheminée, lui mit la tête en ses deux poings, et voulut la mettre en compote. […] Mes yeux fichés, collés sur ces bourgeois superbes, parcouraient tout ce grand banc à genoux, ou debout, et les amples replis de ces fourrures ondoyantes à chaque génuflexion longue et redoublée, qui ne finissait que par le commandement du roi par la bouche du garde des sceaux ; vil petit-gris qui voudrait contrefaire l’hermine en peinture, et ces têtes découvertes et humiliées à la hauteur de nos pieds. » Qui songe à rire de ces pédanteries latines et de ces détails de costumier ?

820. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville »

On dirait que les termes lui manquent quelquefois : « Mais si je raconte les choses en détail, je n’en finirai jamais ; il faudrait vous écrire un volume… Je ferai ? […] Veut-il, dans une lettre à une de ses cousines, lui donner une idée agréablement ironique du rôle important qu’ils remplissent aux yeux des Américains, son ami M. de Beaumont et lui, en leur qualité de chargés d’une mission du Gouvernement français pour cette grave affaire du régime des prisons ; il a une raillerie douce, insinuante, à l’usage de la bonne compagnie ; prêtez l’oreille et écoutez : « Vous savez déjà en gros, sans doute, ma chère cousine, écrit-il à Mme de Grancey, les détails de notre voyage : nous avons été parfaitement reçus dans ce pays-ci, et si bien que nous nous trouvons quelquefois dans la même position que cette duchesse (de la fabrique de Napoléon) qui, s’entendant annoncer à la porte d’un salon, croyait qu’il s’agissait d’une autre, et se retirait de côté pour se laisser passer. […] Nous ne voyons, il est vrai, ni les plumes, ni les armes, ni le tatouage des Chactas, ni bien des singularités frappantes dont le détail ne nuirait certes pas au relief et à la vie : on dirait que Chateaubriand n’est pas venu.

821. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres inédites de F. de la Mennais (suite et fin.)  »

L’abbé Brelucque et l’abbé Perrot ne partagent point, etc. » Et il entre dans le détail des personnes, tout prompt d’ailleurs, selon sa coutume, à tirer des conclusions excessives : « Quiconque voudra faire interdire le genre humain, ne manquera pas de témoins qui déposeront de sa démence. » Et c’est l’homme qui tout à l’heure va soutenir théoriquement dans un gros livre la doctrine du sens commun universel ! […] Il y aurait bien d’autres détails intéressants à en tirer pour la biographie du grand écrivain. […] Parmi les détails les moins agréables qui reviennent souvent sous sa plume, et qui se rattachent aux affaires de ménage et de finance, il en est un de pur trafic ecclésiastique qui ne laisse pas de choquer ; c’est l’article des messes, qui est chose toute simple apparemment pour le prêtre catholique, mais qui étonne toujours le chrétien ou mène seulement celui qui a lu l’Évangile et qui sait que Jésus a chassé les vendeurs du Temple.

822. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [IV] »

Mais je ne prétends point exposer en détail ce nouvel ordre de services que rendit Jomini à la cause européenne : cela, je l’avoue, me coûterait un peu. […] Sur le rapport qu’il en revint faire aussitôt à l’empereur Alexandre : « Vous êtes trop vif, lui dit le monarque ; on ne prend pas les mouches avec du vinaigre : il faudra tâcher de raccommoder cela. » Rien ne se raccommoda pourtant, et l’on sut que le premier mot de Languenau à Radetzky avait été : « Il faut enterrer ce Jomini ; sinon, on lui attribuera tout ce que nous ferons de bien. » — Le mauvais vouloir de ce côté et les tracasseries à son égard furent sans trêve et se produisirent dans les moindres détails de service et de la plus mesquine manière : pour son logement, pour l’ordonnance de cavalerie qui lui était nécessaire et qu’on ne lui donnait pas, etc. […] Entre les pièces officielles émanées d’en haut que nous possédons et la réalité du détail, il s’est passé plus de choses que n’en laisse à soupçonner l’histoire s c’est à la biographie, toutes les fois qu’il y a jour, de les recueillir et de les noter. — Et pour revenir à l’histoire, l’opinion résumée de Jomini sur Ney, qu’il connaissait si bien par son fort et par son faible, est à rechercher.

823. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Chateaubriand, Vie de Rancé »

Les pieux biographes de Rancé sont extrêmement sobres de détails à cet endroit ; tout au plus s’ils se hasardent à dire à mots couverts que tantôt une cause ou une autre, tantôt la mort de quelques personnes de considération du nombre de ses meilleurs amis, le frappaient et le rappelaient à Dieu ; mais ils se plaisent à raconter au long, d’après lui, la simple aventure suivante, comme un des moyens dont Dieu se servait pour l’attirer doucement : « Il m’arriva un jour (c’est Rancé qui parle) de joindre un berger qui conduisoit son troupeau dans la campagne, et par un temps qui l’avoit obligé de se retirer à l’abri d’un grand arbre pour se mettre à couvert de la pluie et de l’orage. […] Ce n’est pas ici le lieu d’exposer à fond et de démêler ces affaires auxquelles il faudrait apporter un grand détail pour les rendre intéressantes. […] Dom Gervaise faillit tout perdre ; Saint-Simon nous a raconté les détails longtemps secrets et vraiment étranges qui amenèrent le nouvel abbé à une démission forcée ; il fut lui-même trop employé à la Cour dans cette affaire pour qu’on puisse douter des circonstances qu’il affirme et qu’il n’a aucun intérêt, ce semble, à surcharger.

824. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. VINET. » pp. 1-32

A côté de ce charmant passage qui unit l’exactitude de chaque détail à la fraîcheur et au souffle, et que Buffon, reparlant du style, aurait écrit, j’aurais, dans le même discours, et dans le style de M. […] La propriété parfaite et si précieuse des termes, où il se complaît, accuse quelquefois trop la vigilance à chaque mot, une véracité de détail qui ne se contente pas toujours d’être claire et distincte, mais qui veut être authentique, pour me servir d’une expression qu’il aime. […] Il y a donc, sous sa régularité excellente de style et de doctrine bien des accidents piquants, divers, qui font de lui un homme plein de détails fins à peindre, et qui doivent être charmants à goûter.

825. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. EUGÈNE SUE (Jean Cavalier). » pp. 87-117

Tout en continuant de peindre les tristes réalités qu’il sait, il évitera de les forcer, de les trancher outre mesure ; sa manière, dans le détail même, y devra gagner en fusion. […] Mais la sincérité du narrateur est loin d’être avérée, et certains détails controuvés autorisent le soupçon. […] On peut voir quelques détails biographiques dans un article de M.

826. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre II. La jeunesse de Voltaire, (1694-1755) »

Voltaire débrouille lestement les faits, et nous donne un récit qui court, léger et lumineux, rejetant le détail oiseux, et dégageant les actions caractéristiques. […] Il avait vu les dernières années du grand roi ; sa vie accidentée le mit à même de consulter nombre de personnes qui avaient touché aux affaires, hanté la cour, ou que leurs pères avaient instruits de toute sorte de détails originaux et authentiques. […] Il se dirige avec aisance à travers le chaos des faits, débrouille, déblaye, noie le détail, fait saillir l’essentiel, lie les effets aux causes, note les conséquences, définit les rôles, analyse les caractères : chaque chapitre est un chef-d’œuvre de lucidité, de rapidité et d’intelligence.

/ 2448