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2080. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre VII. »

On croirait qu’il s’agit de l’Ionie, quand on voit les reproches amers mêlés par le poëte à son appel aux armes ; on incline pour Athènes, devant cette apothéose de la gloire que chante le poëte, et dont son cœur est plein. […] Le premier vers désigne les Spartiates par le dieu même dont ils se croyaient descendus ; le reste exprime la grandeur du danger et le dernier effort du désespoir animant la discipline. […] S’il faut en croire Aristote, c’est contre les premières usurpations de Phalaris que Stésichore cherchait à prémunir les habitants d’Himère, en leur contant la fable du Cheval qui veut se venger du cerf, et qui, pour cela, subit sans terme le frein, le cavalier et les éperons. […] Pline le Naturaliste cite les génies sublimes des poëtes Stésichore et Pindare, comme attestant par leur exemple la misère et l’effroi de l’âme humaine devant une de ces éclipses de soleil où elle croyait voir, soit le présage de quelque grand crime82, soit la mort même des astres.

2081. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Les Mémoires de Saint-Simon » pp. 423-461

ici l’on va plus sûrement ; si l’on a le don d’observation et la faculté dont j’ai parlé, on va loin, on pénètre ; et si à ce premier don d’observer se joint un talent pour le moins égal d’exprimer et de peindre, on fait des tableaux, des tableaux vivants et par conséquent vrais, qui donnent la sensation, l’illusion de la chose même, qui remettent en présence d’une nature humaine et d’une société en action qu’on croyait évanouie. […] À la fin, l’âge, le tempérament, la conformation le trahirent… Est-ce que vous croyez que M. de Luxembourg ainsi présenté dans son brillant de héros et dans ses vices est calomnié ? […]  »  Je le crois bien que ces Mémoires de Saint-Simon vous mettent hors de vous ; ils vous transportent au cœur d’un autre siècle. […] Mais il ne faut pas croire que cette production comme naturelle n’ait pas sa raison d’être, sa majesté et souvent sa grâce. […] C’est ce qu’on ne saurait trop maintenir, et Saint-Simon n’a eu que raison quand il a conclu de la sorte en se jugeant : « Ces mémoires sont de source, de la première main : leur vérité, leur authenticité ne peut être révoquée en doute, et je crois pouvoir dire qu’il n’y en a point eu jusqu’ici qui aient compris plus de différentes matières, plus approfondies, plus détaillées, ni qui forment un groupe plus instructif ni plus curieux. » La postérité, après avoir bien écouté ce qui s’est dit et se dira encore pour et contre, ne saurait, je le crois, conclure autrement.

2082. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre XII : Distribution géographique (suite) »

— De ce que les lacs et les systèmes de rivières sont séparés les uns des autres par des barrières terrestres, on croirait pouvoir conclure que les productions d’eau douce ne sauraient se répandre aisément, même dans les limites des contrées où elles vivent, et comme la mer semble être pour elles une barrière encore plus infranchissable, qu’elles ne peuvent non plus s’étendre jusqu’en des contrées éloignées. […] À l’égard des poissons, je ne crois pas que la même espèce se soit rencontrée dans les eaux douces de continents séparés et distants. […] À Sainte-Hélène on croit que les plantes et les animaux naturalisés ont totalement ou du moins presque totalement supplanté beaucoup de productions indigènes. […] Pourquoi les espèces qu’on suppose créées dans l’archipel Galapagos, et nulle autre part, portent-elles l’empreinte d’une parenté étroite avec celles que l’on croit spécialement créées en Amérique ? […] Il est donc plus aisé de croire à l’ancienne existence de vastes terres basses rattachant les unes aux autres les îles de l’Océanie, ou même dans des mers aujourd’hui complétement dépourvues de toute île, qu’à l’apparition d’autres îles encore éparses entre les archipels actuels ou dans des mers aujourd’hui vastes et vides.

2083. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « V » pp. 19-21

L'auteur n’a manqué aucun des heureux motifs indiqués et les a développés avec un talent que tous, je crois, salueront. — Par malheur, la pièce sera mal jouée à l’Odéon. […] Je ne sais combien l’on comptera de communions pascales, mais je crois que le chiffre n’aura jamais monté si haut depuis cinquante ans.

2084. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 264-267

Si l’on en croit M. […] Nous serions tentés de croire que ces preuves sont insuffisantes.

2085. (1913) Le mouvement littéraire belge d’expression française depuis 1880 pp. 6-333

Je crois bien qu’à des centaines de siècles en arrière, la nature et l’homme bâtissaient déjà les assises qui portent la nation. […] On croirait voir les personnages de Téniers et de Jordaens se détacher de la toile, gesticuler, hurler… Ah ! […] Au lieu de céder, vaincu d’avance, au destin déprimant, il croit à la force bienfaisante de l’âme, espère et lutte. […] Je ne le crois pas ; comme un vulgarisateur ? […] Le Mercure de France en a plus hospitalisé, je crois, que n’importe quel libraire bruxellois !

2086. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIIIe entretien. Littérature américaine. Une page unique d’histoire naturelle, par Audubon (2e partie) » pp. 161-239

Ils ne sont pas, à proprement parler, farouches, puisqu’ils se croient en sûreté à la distance de vingt ou trente mètres de l’homme ; néanmoins, lorsqu’ils voient quelqu’un s’avancer trop près, ils se cachent dans des trous, parmi des pierres ou des racines. […] Je laissai les pewees à leurs ébats, et regardant dans le nid, j’y aperçus leur premier œuf, si blanc et d’une telle transparence (transparence qu’il perd, je crois, bientôt après être pondu), que cette vue me fit plus de plaisir que si j’eusse trouvé un diamant d’une égale grosseur. […] Je crus que tout cela provenait simplement de ce qu’il avait éventé la trace d’un ours ou de quelque loup ; et déjà j’apprêtais mon fusil, lorsque j’entendis une voix de stentor me crier : « Halte-là, ou la mort !  […] J’ai lieu de croire que parfois, la nuit, il arrive aux parents de s’envoler et aux jeunes de prendre de la nourriture : car j’ai entendu le frou-frou d’ailes des premiers et les cris de reconnaissance des seconds, durant des nuits calmes et sereines. […] Il y avait environ vingt minutes que j’étais dans cette posture, lorsque soudain je crus que le grand arbre se déracinait et tombait sur moi.

2087. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre onzième. La littérature des décadents et des déséquilibrés ; son caractère généralement insociable. Rôle moral et social de l’art. »

— Nous ne le croyons pas. […] Etant devenue ou s’étant flattée de devenir, grâce à la tyrannie croissante du journalisme, la dispensatrice de la renommée, elle a fini par se croire supérieure à la littérature vraiment féconde, à celle qui produit au lieu d’analyser. […] C’est précisément pour faire illusion sur la stérilité du fond que les décadents poussent au dernier degré le travail de la forme : ils croient suppléer au génie par le talent qui imite les procédés du génie. […] L’erreur des apologistes de la décadence est précisément de croire que la littérature décadente ait plus de complexité, plus de richesse que l’autre, parce qu’elle a plus de raffinement, plus de sensualité et de dilettantisme intellectuel […] Et c’est par une illusion d’optique intérieure qu’un décadent se croit raffiné quand il préfère à la lumière et aux couleurs de la vie qui s’épanouit la « phosphorescence de la pourriture ».

2088. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIIe entretien. Littérature italienne. Dante. » pp. 329-408

Ainsi est faite la misérable humanité ; elle ne s’arrête jamais dans le vrai et dans le juste, elle se précipite à l’excès, et elle ne se croit libre de l’oppression que quand elle opprime à son tour. […] Nous n’avons rien dit de si cru, de si injuste ; mais continuons la citation du Siècle. […] Le Dante eut ce tort ; il crut que les siècles, infatués par la beauté de ses vers, prendraient parti contre on ne sait quels ennemis qui battaient alors le pavé de Florence. […] Ozanam croyait, comme nous, que la vérité était à plus grande dose dans le cœur que dans l’esprit. […] Voici cette interprétation filiale ; tout donne lieu de croire qu’elle est la vérité sur cette étrange composition.

2089. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Préface pour les Maximes de La Rochefoucauld, (Édition elzévirienne de P. Jannet) 1853. » pp. 404-421

Le mouvement de l’amour-propre nous est si naturel, que le plus souvent nous ne le sentons pas, et que nous croyons agir par d’autres principes. » La Rochefoucauld, de même, a dit avec plus de grandeur : « L’orgueil, comme lassé de ses artifices et de ses différentes métamorphoses, après avoir joué tout seul tous les personnages de la comédie humaine, se montre avec un visage naturel, et se découvre par sa fierté ; de sorte qu’à proprement parler, la fierté est l’éclat et la déclaration de l’orgueil. » Un des hommes qui ont le mieux connu les hommes et qui ont su le mieux démêler leur fibre secrète pour les gouverner, Napoléon, a fait un jour de La Rochefoucauld un vif et effrayant commentaire. […] On préparait le second passage du Danube ; Napoléon voit passer le général Mathieu Dumas, qui cherchait le maréchal Berthier : il l’arrête, le questionne sur plusieurs points de détail ; puis, tout d’un coup, changeant de sujet et se ressouvenant que Mathieu Dumas avait été des constitutionnels en 89 et dans l’Assemblée législative : — Général Dumas, vous étiez de ces enthousiastes (j’adoucis le mot) qui croyaient à la liberté ? […] Ils ont leur homme intérieur qu’ils croient connaître et qu’ils préconisent, et ils ne voient pas les hommes comme ils sont. […] Fénelon lui-même, Fénelon vieillissant, en sait autant que La Rochefoucauld et ne s’exprime pas autrement : Vous avez raison de dire et de croire, écrivait-il à un ami un an avant sa mort, que je demande peu de presque tous les hommes ; je tâche de leur rendre beaucoup et de n’en attendre rien. […] Rien ne serait plus sot et plus déplacé ; mais j’ai appris à connaître les hommes en vieillissant, et je crois que le meilleur est de se passer d’eux sans faire l’entendu… Cette rareté de bonnes gens est la honte du genre humain.

2090. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Correspondance de Béranger, recueillie par M. Paul Boiteau. »

Je ne me dédis en rien de ce que j’ai écrit autrefois dans ce même journal23 ; seulement ceux qui ont cru que, de ma part, c’était une manière de commencer, se sont mépris sur mon intention ; c’était une manière de finir. […] La chanson était la distraction légère et le hors-d’œuvre sur lequel il ne comptait pas, et il fondait tout son espoir de renommée sur un poëme (je ne sais quel poëme épique pastoral) qu’il corrigeait et retravaillait sans cesse : « Si l’amour-propre ne m’égare pas, je crois commencer un peu à comprendre ce que c’est que la poésie ; mais qu’il y a encore à apprendre ! » Son ami l’académicien Arnault, à qui il fait l’histoire de ces remaniements sans rien lui en communiquer toutefois, s’étonne de tant de constance et de son peu d’empressement à se faire connaître ; il l’invite à publier ses ouvrages : « Je n’en ferai rien que je ne les aie portés au point de la perfection où je sens que puis arriver ; ensuite il en sera tout ce qui plaira au sort ; mais je ne crois pas recueillir jamais le fruit des peines que je me donne. […] Au reste, dans ce moment, je suis tout à mon poëme, et je ne suis point tenté de paraître comme chansonnier. » Voilà le partage égal ; il croit avoir deux genres à sa disposition, deux cordes à son arc. […] Chaque jour même je jetterais du rez-de-chaussée des pierres à ceux qui occupent les étages supérieurs de la maison ; et, comme ils tiennent à leurs vitres, sans faire cas de la lumière, il est à croire qu’ils videraient sur moi leurs cassolettes, pour se débarrasser d’un voisin incommode. » L’image est des plus gaies ; elle est bien de l’esprit espiègle et taquin que nous connaissons.

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