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245. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Idées et sensations : par MM. Edmond et Jules de Goncourt. »

Ils ne craignent pas la crudité quand il le faut. […] Ainsi, dans Virgile, dans la ixe Églogue, quand les deux bergers chantent en marchant, l’un d’eux propose à l’autre de s’arrêter à mi-chemin en vue du tombeau de Bianor, ou bien, s’ils craignent que la pluie n’arrive au tomber de la nuit, de poursuivre leur route vers la ville en chantant toujours : Aut, si nox pluviam ne colligat ante, Veremur… « Si nous craignons que la nuit ne rassemble la pluie… » Quel mot plus juste !

246. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « La Mare au diable, La Petite Fadette, François le Champi, par George Sand. (1846-1850.) » pp. 351-370

Avec un talent du premier ordre et tel qu’on n’en trouverait pas de supérieur en notre littérature dès l’origine, elle semble craindre que ce talent, dans son activité et dans sa puissance, ne manque de sujet, ne manque de pâture. […] Il s’aperçoit que cette petite Marie, à laquelle il n’avait jamais songé pour sa beauté, est plus fraîche qu’une rose de buisson, et il se détaille le gracieux portrait en concluant : « C’est gai, c’est sage, c’est laborieux, c’est aimant, et c’est drôle… Je ne vois pas ce qu’on pourrait souhaiter de mieux. » Dans le chapitre qui suit la « Prière du soir » et qui a pour titre « Malgré le froid », il y a un moment où j’ai craint qu’une brusquerie fâcheuse ne vînt gâter la pureté de l’ensemble : mais que voulez-vous ? […] En allant voir Champi transporté à la scène, j’avais une crainte ; je craignais l’invraisemblance, une certaine indélicatesse à cet amour filial converti en amour, même conjugal et légitime.

247. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Mme du Châtelet. Suite de Voltaire à Cirey. » pp. 266-285

On craint un danger, mais on ne sait pas bien lequel. […] Elle craint qu’il ne s’accoutume là-bas à se passer d’elle ; la liberté a de grands charmes, et les libraires hollandais aussi, ces libraires qui vous tentent de tout imprimer et de tout dire. […] Je suis un avare à qui l’on a arraché tout son bien, et qui craint à tout moment qu’on ne le jette dans la mer.

248. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La princesse des Ursins. Lettres de Mme de Maintenon et de la princesse des Ursins — II. (Suite et fin.) » pp. 421-440

On sent à tout moment qu’elle excède son cadre de surintendante de l’intérieur royal, et elle ne craint pas de paraître en sortir, de laisser voir quelque chose de l’autorité politique dont elle tient les ressorts. […] Mme de Maintenon au contraire, une fois son cercle fait, n’en sort pas ; elle s’y enferme et s’y resserre le plus qu’elle peut, et ne craint rien tant que de faire de nouvelles connaissances : chez elle, c’est à la fois tactique, méthode industrieuse pour échapper aux ennuyeux, aux importuns, et pour ne voir que ceux qu’elle préfère ; et c’est preuve aussi d’une nature exclusive, qui ne prend plus aux choses et qui a sa fatigue intérieure. […] Mme de Maintenon, à la vue de tant de maux, s’incline, s’agenouille, et, pourvu qu’il y ait repos et relâche après cet excès de souffrances, elle ne recule devant aucune extrémité : Nous ne pouvons faire la guerre, dit-elle (24 juin 1709) : il faut bien baisser la tête sous la main de Dieu, quand elle veut renverser les rois et les royaumes ; voilà, madame, ce que j’ai toujours craint… Nous avons éprouvé une suite de malheurs dont la France ne peut se relever que par une longue paix ; et la famine, qui est le dernier et le plus grand de tous, nous met aux abois.

249. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Bernardin de Saint-Pierre. — II. (Suite et fin.) » pp. 436-455

Je crains, à la fin, d’enlever le museau au mien à force de le lécher ; je n’y veux plus toucher davantage. » C’est en ces heures d’épuisement qu’il écrit : « Le travail sédentaire est une lime sourde. […] Il est allé s’établir, disait Chamfort (alors logé à l’hôtel de Vaudreuil), dans un quartier si perdu et si mal habité, que les personnes qui s’intéressent à lui craignent pour sa sûreté. — Je ne sais, répondait Bernardin, si M. de Chamfort connaît des personnes qui s’intéressent à moi. […] La comparaison de l’aigle qui ne vint qu’à la fin du discours après l’homélie philosophique, et qui, détachée aujourd’hui, produit tant d’effet, ne se trouve point particulièrement indiquée dans les extraits critiques que j’ai lus, et, si elle fut remarquée, je crains que ce n’ait été plutôt à titre d’image singulière et risquée, eu égard au goût du temps.

250. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Saint-Bonnet » pp. 1-28

Après Joseph de Maistre, après ce magnifique livre du Pape, qui semblait si impérieusement péremptoire sur la question d’infaillibilité, Saint-Bonnet a écrit un livre identique de doctrine, mais différent de raisons et de preuves, et qu’il n’a pas craint d’appeler, du nom de la question même : l’Infaillibilité. […] Je signalerai aussi le merveilleux passage où l’auteur de l’Infaillibilité applique à l’Église le mot étonnant d’Hippocrate : « Si l’homme était un, il ne mourrait pas », et enfin tous les corollaires de cet axiome qu’il a trouvé et qui eût réduit Pascal au silence : « Toute loi n’est qu’un miracle perpétuel. » Seuls, ces différents chapitres, lus à part de l’œuvre entière, donneraient une idée suffisante, à qui craindrait d’aborder un livre si grave et si gros, des sveltes facultés de l’homme qui a pu l’écrire. […] Il était de la race la plus distinguée des esprits, capable d’abstraction toute-puissante, avec la passion à côté, l’enthousiasme, toutes les grâces naïves et les noblesses de cœur qui font à un homme la plus belle aristocratie, et, malgré tout cela, c’est pourtant l’écrivain que, dans le silence dont nous nous plaignions pour lui au commencement de ce chapitre, un critique d’un talent aigu, mais épointé, ce jour-là, par le préjugé philosophique, n’a pas craint d’appeler « un marguillier ».

251. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVI. Des oraisons funèbres et des éloges dans les premiers temps de la littérature française, depuis François Ier jusqu’à la fin du règne de Henri IV. »

Cet homme hardi et brillant, fait pour éblouir le peuple, pour subjuguer les grands, pour opprimer le roi, courant à la grandeur par les factions, et à la renommée par l’avilissement de son maître ; qui s’occupait de le détrôner sans daigner le haïr ; et qui, par mépris, ne s’apercevait pas même qu’il s’en était fait craindre, vivant pouvait être coupable, mais assassiné ne parut qu’un héros. […] Mais ce qui a consacré sa réputation dans l’Europe, c’est sa bonté, c’est cette vertu qui ne permit jamais à la haine d’entrer dans son cœur, qui fit que, sans politique et sans effort, il pardonna toujours, et se serait cru malheureux de punir ; qui, avec ses amis, lui donnait la familiarité la plus douce, envers ses peuples la bienveillance la plus tendre, avec sa noblesse la plus touchante égalité ; ce sentiment si précieux qui quelquefois, dans des moments d’amertume et de malheur, lui faisait verser les larmes d’un grand homme au sein de l’amitié ; ce sentiment qui aimait à voir la cabane d’un paysan, à partager son pain, à sourire à une famille rustique qui l’entourait, ne craignit jamais que les larmes et le désespoir secret de la misère, vinssent lui reprocher des malheurs ou des fautes : voilà ce qui lui a concilié les cœurs de tous les peuples, voilà ce qui le fait bénir à Londres comme à Paris. […] Un autre s’adresse au peuple qui l’environne et le prie de suspendre ses larmes, parce qu’il ne peut résister lui-même à un spectacle si touchant, et craint d’être obligé de s’interrompre.

252. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 76-77

En effet, il ne craint pas d'y justifier des traits que l'Auteur même condamnoit dans son Ouvrage.

253. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 169-170

Ce Discours est rempli d'excellentes observations ; il annonce la connoissance, l'amour des regles, & une littérature infiniment plus saine que celle de tant de prétendus Législateurs, qui n'ont pas craint de donner leurs conceptions chimériques pour des préceptes sûrs & des moyens de succès.

254. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 262-263

Les Auteurs qui ont imité dans la suite un semblable langage, ne doivent-ils pas craindre le mépris de la Postérité ?

255. (1881) Études sur la littérature française moderne et contemporaine

Exemple : J’ai ôté le couteau à l’enfant, je crains qu’il ne se coupe. Littéralement : Je crains qu’il ne se coupe pas. — Que craignez-vous ! […] Guizot ne craint pas de le faire remarquer. […] Peu de temps auparavant, il avait craint de perdre un clou de la vraie croix déposé à l’abbaye de Saint-Denis. […] Jouissons sans scrupule de ce que nous avons fait de bien et ne craignons pas de nous en estimer davantage.

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