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608. (1857) Cours familier de littérature. III « XIIIe entretien. Racine. — Athalie » pp. 5-80

C’est le moment où l’on dit que les poètes créent les langues. Créer est un mot impropre ; il n’est donné à personne de créer l’idiome d’une nation : c’est le travail et la gloire de tous ; mais il est vrai de dire que c’est le moment où les grands poètes et les grands écrivains façonnent la langue, lui donnent le pli, la forme, la flexibilité, la sonorité, la couleur, et l’approprient aux usages intellectuels auxquels cette langue est prédestinée par cette providence qui assigne leur mission aux peuples. […] C’est cette même coïncidence de religion achevée, de mœurs faites, de politique établie, de loisir national conquis par les armes, et de langue créée par le temps qui fait, comme nous le disions tout à l’heure, qu’un grand siècle se fait homme tout à coup dans un groupe prédestiné de grands hommes.

609. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XVIII. »

toi qui du néant as élevé toute chose à la vie, ayant créé l’homme à ton image et à ta ressemblance ! […] Tu es seul inexprimable, toi qui as créé tout ce que la parole exprime ; tu es seul impossible à connaître, toi qui as créé tout ce que perçoit l’intelligence. […] « Tu as créé toutes choses, donnant à chacune sa place, et les gouvernant toutes par ta providence.

610. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « De la dernière séance de l’Académie des sciences morales et politiques, et du discours de M. Mignet. » pp. 291-307

Par exemple, on créait exprès un journal pour mettre le siège devant la dynastie et pour la faire tomber. […] Au lieu de cela, il s’est usé à vouloir créer méthodiquement une science conjecturale, et je crois sentir chez lui, à travers la limpidité de l’expression, de la fatigue et comme de l’élévation dans le vide42.

611. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Vicq d’Azyr. — I. » pp. 279-295

La médecine, avant lui, avait des chaires, il lui créa une tribune, et les avantages de cette tribune ont paru jusqu’ici supérieurs aux inconvénients. […] Tant que la Société de médecine fut peu considérable, et qu’elle ne consista qu’en une commission de huit médecins, établie pour correspondre avec les médecins des provinces sur tout ce qui avait rapport aux maladies épidémiques et épizootiques (arrêt du Conseil du 29 avril 1776), on la laissa faire ; mais dès qu’on s’aperçut qu’elle prenait de l’extension, et que cette société, créée originairement pour s’occuper des bêtes, en venait à se mêler non moins activement de ce qui tient à la santé des hommes, la faculté de médecine de Paris prit l’alarme, et fit ce que feront toujours les vieilles corporations en face des institutions nouvelles.

612. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers. (Tome XII) » pp. 157-172

Il craint de créer des choses plus vives que nature, en les exprimant trop. […] Si je ne savais combien il aime Raphaël, je ne verrais pas trop ce que vient faire Raphaël en cet endroit : Voulait-il peindre une Vierge, ce beau génie, dit-il, cherchait dans les trésors de son imagination les traits les plus purs qu’il eût rencontrés, les épurait encore, y ajoutait sa grâce propre, qu’il puisait dans son âme, et créait l’une de ces têtes ravissantes qu’on n’oublie plus quand on les a vues.

613. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres choisies de Charles Loyson, publiées par M. Émile Grimaud »

Je viens de parcourir un recueil auquel il a fort collaboré, le Spectateur politique et littéraire, de 1818 : c’était une feuille périodique ou à peu près, créée en opposition à la Minerve, et qui bientôt tint le milieu entre elle et le Conservateur, c’est-à-dire entre les libéraux-bonapartistes du temps et les ultra-royalistes. […] On me crée une réputation dont je me passerais bien volontiers : je ne sais que faire de cela. » Cet article de Loyson, dans lequel il saluait avec joie l’avénement d’un esprit éminent, d’un talent nouveau du premier ordre, comme il le fera plus tard pour Lamartine, contenait plus d’une réserve prévoyante et se terminait par une véritable profession de foi de christianisme libéral et de libéralisme chrétien.

614. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [I] »

Frédéric, à son tour, le roi-conquérant, le roi-capitaine, ne fit du moins ses entreprises et ne livra de sa personne tant de sanglantes batailles que dans une pensée politique semblable à celle de Richelieu, et pour asseoir puissamment son État et sa nation, pour créer une Allemagne du Nord antagoniste et rivale en face du Saint-Empire. […] Il faut être consommé pour les entendre ; et il est impossible de se former le jugement sur les historiens qui ne parlent de la guerre que selon qu’elle se peint à leur imagination… — Gustave-Adolphe a créé une méthode que ses disciples ont suivie, et tous ont fait de grandes choses.

615. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « APPENDICE. — CASIMIR DELAVIGNE, page 192. » pp. 470-486

… plein de confiance dans le Dieu qui te guide, sillonne cette mer silencieuse… N’eût-il pas été créé, ce nouveau monde que tu cherches, il va sortir des flots. […] Et l’autre lui répond : Ce monde, il est créé ; rends-le meilleur, plus pur… Je ne connais rien, dans l’ordre de poésie morale, dans ce genre philosophique de l’Essai sur l’Homme de Pope, de plus beau que cet endroit, et ici il est de plus en scène, il a son effet d’action.

616. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre premier. De l’amour de la gloire »

Dans les monarchies aristocratiquement constituées, la multitude se plaît quelquefois, par un esprit dominateur, à relever celui que le hasard a délaissé ; mais ce même esprit ne lui permet pas d’abandonner ses droits sur l’existence qu’elle a créée, le peuple regarde cette existence comme l’œuvre de ses mains ; et si le sort, la superstition, la magie, une puissance, enfin, indépendante des hommes, n’entre pas dans la destinée de celui, qui dans un état monarchique doit son élévation à l’opinion du peuple, il ne conservera pas longtemps une gloire que les suffrages seuls récompensent et créent, qui puise à la même source son existence et son éclat ; le peuple ne soutiendra pas son ouvrage, et ne se prosternera pas devant une force dont il se sent le principal appui.

617. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre quatrième. Les conditions physiques des événements moraux — Chapitre III. La personne humaine et l’individu physiologique » pp. 337-356

. — Quand nous l’en séparons, nous faisons comme l’homme qui dirait, en parcourant tour à tour les divisions de la planche : « Cette planche est ici un carré, tout à l’heure elle était un losange, là-bas elle sera un triangle ; j’ai beau avancer, reculer, me rappeler le passé, prévoir l’avenir, je trouve toujours la planche invariable, identique, unique, pendant que ses divisions varient ; donc elle en diffère, elle est un être distinct et subsistant, c’est-à-dire une substance indépendante dont les losanges, le triangle, le carré, ne sont que les états successifs. » Par une illusion d’optique, cet homme crée une substance vide qui est la planche en soi. Par une illusion d’optique semblable, nous créons une substance vide qui est le moi pris en lui-même. — De même que la planche n’est que la série continue de ses divisions successives, de même le moi n’est que la trame continue de ses événements successifs.

618. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre III. Madame de Staël »

Remarquons seulement ici que Mme de Staël a créé une littérature cosmopolite, peinture des types nationaux. […] Impuissante à créer, elle excelle à noter ; et si elle a le style le moins artiste du monde, comme écrivain d’idées elle est supérieure.

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