/ 2227
403. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XII : Pourquoi l’éclectisme a-t-il réussi ? »

Dans cet état final, qui est celui d’un beau corps bien habillé et bien embaumé, on peut se demander pourquoi il a réussi. […] Dans cette servitude des esprits et des corps, c’était un honneur, une vertu, un refuge et une révolte que de rêver95. […] Pour comble, l’un exalta les planètes, êtres intelligents doués de la vie aromale, celui-ci l’escadron des anges swédenborgiens, celui-là la circumnavigation des âmes à travers les astres, un autre le passage des pères dans le corps des fils, un autre le culte officiel de l’humanité abstraite, et « l’évocation cérébrale des morts chéris. » Sauf les deux premiers siècles de notre ère, jamais le bourdonnement des songes métaphysiques ne fut si fort et si continu ; jamais on n’eut plus d’inclination pour croire non sa raison, mais son cœur ; jamais on n’eut tant de goût pour le style abstrait et sublime qui fait de la raison la dupe du cœur. […] L’analyse systématique et universelle, inconnue à Voltaire, a changé la foule éparse des événements en un corps de lois fixes, et M. 

404. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Les legs de l’exposition philosophie de la danse »

Un corps de femme qui semble ainsi presque affranchi des lois ordinaires de la pesanteur n’apparaît plus comme un instrument de volupté. […] Le tutu et la jupe forment un nuage blanc, comme celui dont s’enveloppait la pudique Junon, où disparaissent le ventre et la croupe, toute la partie massive et brutale de ce « corps féminin qui tant est tendre, poly, souëf, si prétieux ».

405. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre IV »

Les marins en sont restés à la lieue, à la brasse, au mille, au nœud, et plusieurs corps de métier, notamment les imprimeurs, pratiquent uniquement le système duodécimal, soit sous les noms de point, ligne, pouce et pied, soit au moyen d’un vocabulaire spécial. […] La vénerie et le blason possèdent des langues entièrement pures et d’une beauté parfaite ; mais il m’a semblé plus curieux de choisir comme type de vocabulaire entièrement français celui d’une science plus humble, mais plus connue, celui de l’ensemble des corps de métier nécessaires à la construction d’une maison.

406. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — I. Takisé, Le taureau de la vieille »

Si tu ne nous fais de suite griller « ces graines de sésame, nous allons te tuer « et nous jetterons ton corps dans la fosse « des cabinets. » Takisé, effrayée par cette menace, s’approche du feu pour faire griller les graines de sésame dans un canari, et, à mesure qu’elle en surveillait la torréfaction, son corps fondait comme beurre au soleil et se transformait en une graisse fluide qui donna naissance à un grand fleuve.

407. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — VI »

 » Ils n’admettent pas que le corps social soit un composé d’organes distincts et spéciaux, tous également naturels et nécessaires, chacun d’eux adapté par sa structure particulière à un emploi défini et restreint, chacun d’eux spontanément produit, formé, entretenu, renouvelé et stimulé par l’initiative, par les affinités réciproques, par le libre jeu de ses cellules.‌ […]  » Ainsi s’est fait, à la longue, un corps social développé à faux et à demi-factice, dont les proportions ne sont plus normales et dont l’économie interne subit les troubles qu’on a décrits, avortements et déformations, étranglements et engorgements, appauvrissement vital et arrêt de croissance, çà et là, l’atrophie aggravée par l’hypertrophie, inflammations partielles, irritation générale, malaise permanent et sourd.‌

408. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — II » pp. 57-80

Catinat, chargé de former et de commander un corps d’armée en état de tenir tête au prince Louis de Bade sur cette frontière, et qui d’ailleurs ne fut instruit par sa cour de l’alliance avec la Bavière qu’au dernier moment et lorsqu’elle fut déclarée, se trouva trop faible dès le début pour s’opposer au siège de Landau, qui était alors à la France, et se résigna tout d’abord à la perte de cette place. […] Je sais que vous n’avez pas un corps de troupes suffisant pour présenter la bataille au prince de Bade, s’il est en plaine devant vous ; mais vous n’êtes point assez faible pour lui laisser prendre Landau sans y mettre quelque obstacle, ce qui se peut par plusieurs moyens différents… (Et après un aperçu de ces moyens :) Tout ce que je vous mande n’est que pour vous donner différentes vues, et vous mettre en état de faire un plan qui ne peut être autre que de secourir Landau en cas que je vous envoie suffisamment de troupes… Mais, supposé que je ne le puisse pas faire et que je sois obligé d’abandonner cette place à sa propre défense, ne pourriez-vousc, en ce cas, faire quelque entreprise qui puisse donner lieu à une diversion, ou du moins empêcher le mauvais effet que produirait l’inaction dans laquelle vous demeureriez ? […] Je me persuade qu’avec le corps de troupes que vous avez, lorsqu’il sera renforcé par celui-ci, vous serez en état par vous-même de vous avancer, sans craindre que l’armée des ennemis puisse vous en empêcher… Catinat recevait en même temps une lettre du roi qui lui disait, après les motifs déduits : Tout cela bien examiné et discuté, je ne vois pas de meilleur parti à prendre que de soutenir et de renforcer le marquis de Villars, afin de le mettre en état d’entreprendre seul ce qu’il jugera à propos pour faciliter sa jonction avec l’électeur de Bavière. […] On ne suivit pas exactement la méthode de l’art dans l’attaque, et, sentant de la mollesse dans les assiégés, Villars passa sur quelques règles que le corps du génie a coutume d’observer. […] La pensée politique dominait ce monarque ; il sentait l’importance de garder l’électeur de Bavière pour allié au centre de l’empire, et il voulait à tout prix lui prouver qu’il ne négligeait rien pour occuper les forces du prince Louis de Bade, et pour faire pénétrer un corps d’armée jusqu’à lui.

409. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Journal et Mémoires, de Mathieu Marais, publiés, par M. De Lescure  »

Tout le Parlement y a été en corps, M. le premier président à la tête, et tous les présidents à mortier. […] Il est vrai que, pour bien faire, votre imprimeur devrait être en ce pays-ci : il faudrait avoir deux corps, l’un à Paris pour y ramasser ces matériaux, et l’autre en Hollande pour y faire imprimer l’ouvrage que l’on en composerait… » J’ai eu souvent, je l’avoue, une idée analogue. […] Marais le dit encore en un autre endroit assez agréablement ; c’est dans une lettre au président Bouhier (10 novembre 1725) : « Je vous renverrai incessamment la longue et éternelle lettre de l’abbé Le Clerc ; non est in tanto corpore mica salis (pas un grain de sel dans un si grand corps). […] Les objections de Bayle sont disséminées ; on est libre avec lui, comme avec Montaigne, de ne pas les ramasser et, selon l’heureuse expression de Marais, de ne pas « mettre en corps cette armée-là. » Bayle fait la part des nécessités de la société, des infirmités des hommes, et de ce qu’il faut accorder aux impressions machinales qu’excitent les passions. […] L’esprit lui aussi, — l’esprit des livres — s’en va en poussière comme le corps.

410. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Journal et Mémoires, de Mathieu Marais, publiés, par M. De Lescure »

Un mémoire affreux contre Mme de Tencin, où il dit que c’est un monstre que l’on doit chasser de l’État ; que, si jamais il meurt, ce sera elle qui le tuera, parce qu’elle l’en a souvent menacé ; qu’elle doit encore tuer un homme qu’il nomme ; qu’il l’a surprise lui faisant infidélité avec Fontenelle, son vieil amant, et qu’elle a commerce avec d’Argental, son propre neveu ; qu’elle est capable de toutes sortes de mauvaises actions ; qu’il en avertit M. le Duc ; qu’il ne lui doit rien, quoiqu’elle ait un billet de 50,000 francs de lui, et le reste… » Mme de Tencin, décrétée de prise de corps et menée d’abord au Châtelet, puis à la Bastille, fut innocentée par jugement et déchargée de l’accusation. […] Et puis, le corps des avocats dont il faisait partie, et qui était « fort glorieux », se souciait peu alors que ses membres fissent des visites de sollicitation, quand même elles ne devaient pas aboutir à un refus. […] On lui dit : « Si vous avez fait les Lettres persanes, il y en a une contre le corps de l’Académie et ses membres. […] J’accepte, monsieur, cette nomination, qui me vaut une élection dans les formes, et comme la plus grande joie que j’aurais serait d’être d’un corps dont vous êtes, j’en suis dès que vous m’avez nommé, et cet in petto me plaît plus que la chose même… Vos lettres ne manqueront pas de faire du bruit ; mon nom sera mêlé avec le vôtre ; on dira que vous m’avez jugé digne d’être un jour académicien : n’en est-ce pas plus cent fois que je ne mérite ? […] Et puisque j’en suis moi-même à aller ainsi à la picorée dans les auteurs, voici une assez belle pensée de lui sur les Grecs ; elle lui est échappée en parlant du Dialogue sur la Musique des Anciens, de l’abbé de Chateauneuf : « Nous ne sommes pas si vifs ni si chauds que les Grecs ; je m’imagine qu’ils avaient l’âme d’une âme au lieu d’un corps. » Ce n’est pas mal pour un Gaulois.

411. (1875) Premiers lundis. Tome III «  À propos, des. Bibliothèques populaires  »

Mais Michelet, homme vivant, mais Renan, de quel droit, vous, personnages publics, corps de l’État, fussiez-vous l’ancien Sénat dit conservateur, de quel droit venez-vous-leur imprimer une tache au front ? […] Mais je vous demanderais, messieurs, si nous étions ici une Académie en même temps qu’un Sénat, si nous étions un corps littéraire, ayant qualité pour examiner de près ces choses, de quel droit vous empêcheriez de lire Mlle de la Quintinie, quand vous aurez permis de lire, même avec estampille, la Sibylle de M.  […] élu du suffrage universel, il est député et membre du Corps qui dans la Constitution est corrélatif au vôtre ; et vous allez, en raison même de ses livres, lui imprimer une note qui le ferait réélire cent fois pour une s’il ne devait pas être réélu sans cela ! […] Le Sénat est et ne peut être qu’un corps modéré, il ne peut être un corps réactionnaire.

412. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre II. Littérature bourgeoise — Chapitre III. Littérature didactique et morale »

Cependant d’autres dits, d’autres débats, d’autres États du siècle ou du monde, ont un caractère vraiment moral, et forment entre la poésie lyrique et la poésie narrative un corps considérable de poésie didactique. […] Leur religion les faisait jeûner et ouvrir leur bourse à l’Église ou aux pauvres, elle ne leur inspirait pas de réfléchir sur la Trinité ou sur le mode d’union de l’âme au corps. […] Un des lieux communs de cette morale chrétienne, c’est le Débat du corps et de l’âme, qu’on trouve en latin et en français dès le premier tiers du xiie siècle : on peut y rattacher une belle Apostrophe au Corps 88, qui est comme un réquisitoire vigoureux et souvent éloquent contre le corps, instrument de l’avilissement et de la damnation de l’âme ; cette pièce peut donner une idée du genre.

413. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Ferdinand Fabre  »

Dès l’enfance on le prend, on l’isole du grand troupeau humain, on plie son corps et son âme aux pratiques religieuses. […] Il est prêtre enfin, c’est-à-dire (pesez bien les mots et tâchez d’en concevoir tout le sens : ils sont étranges et stupéfiants) ministre et représentant de Dieu sur la terre, choisi et consacré par lui pour distribuer ses grâces aux autres hommes par les sacrements, investi du pouvoir exorbitant de changer du pain et du vin au corps et au sang de Dieu lui-même. […] Il donne tout, il se dépouille à chaque instant, il vit de rien ; qu’est-ce que le corps, cette guenille de péché ? […] C’est que ni leur éducation ni leurs préoccupations habituelles ne sont bien propres à leur faire connaître le train du monde ; puis, leur confiance en Dieu est absolue, et elle ne peut être absolue que si elle est folle, si elle trouve le miracle chose naturelle  Une dernière marque enfin, c’est que cette charité sans bornes est pourtant une charité catholique, pour qui les hommes sont frères moins par une communauté de destinée et une solidarité d’intérêt que parce qu’ils ont été rachetés tous par le Christ ; et cette charité n’a point pour véritable but le soulagement de la souffrance, mais elle poursuit, par le bien qu’elle fait aux corps, la conversion des âmes. […] On a dit que sa passion du pouvoir n’avait guère les allures d’une passion ecclésiastique ; qu’elle était trop fougueuse, imprudente et emportée ; qu’il n’est pas vraisemblable qu’un vicaire général laisse dehors, la nuit, devant la porte fermée de la cathédrale, sous le vent et la pluie, le cercueil d’un évêque : l’esprit de corps est si puissant dans le clergé qu’il est infiniment rare que les haines particulières s’y manifestent par des actes capables de compromettre le clergé tout entier, de scandaliser les fidèles et de réjouir les impies ; et comme ici la publicité de la vengeance s’aggrave d’une sorte de sacrilège, on peut hardiment contester la vérité de cet épisode si lugubrement dramatique.

/ 2227