Cette œuvre, très haute, dont je n’ai cité qu’un fragment (car on trouvera dans le livre bien d’autres chapitres semblables), ne peut se comparer, comme quelques critiques l’ont maladroitement fait, aux chansons de Richepin ou de Bruant ; elle est, en sa langue pittoresque, un réquisitoire heureux contre l’iniquité des Forts et des Puissants, une leçon à l’usage d’une société soi-disant chrétienne, dont la conscience semble dormir en toute sécurité au milieu d’un bourbier… [La Province nouvelle (juillet 1897).]
Elle a beau faire des tours de force pour justifier sa foiblesse, on n’y découvre plus que les prestiges d’une conscience qui veut s’étourdir sur ses fautes, mais qui n’en imposent point au Juge impartial qui doit les condamner.
Daru au courant des travaux littéraires de chacun : Picard, lui écrivait-il en mai 1807, fait une comédie qui me paraît une belle conception (Les Capitulations de conscience). […] quelle conscience, quelle attention donnée à ses œuvres ! […] Tandis que vous faites capituler les villes, moi je médite une comédie que j’appelle jusqu’ici Les Capitulations de conscience : ce titre est un peu long ; mais, comme il exprime bien ce que je veux peindre, je vous le livre.
Ce journal lui fait beaucoup d’honneur en ce que, sans que l’auteur vise à aucun effet ou songe à aucun lecteur futur, on y voit clairement, naïvement, l’état perplexe de sa croyance et la force de conscience qu’il lui fallut, modéré et timide comme il était, pour résister à des assauts aussi répétés que ceux qu’on lui livrait. Le siège de sa conscience, mené et suivi de très près par l’habile et persuasif du Perron, ne dura pas moins de dix ans (1600-1640) ; c’est plus long que le siège de Troie, et Casaubon n’a point capitulé. […] Non seulement il rencontra un bon et flatteur accueil auprès d’un roi qui ne craignait point de paraître savant jusqu’au pédantisme, et avec qui il conversait en français ou en latin (Casaubon ne savait pas l’anglais), non seulement il fut gratifié d’une pension et de deux prébendes à Cantorbéry et à Westminster, mais il trouva une sorte d’apaisement à ses inquiétudes morales et un point d’appui à ses tendresses de conscience dans le culte anglican qui était comme fait à sa mesure, tant pour la part de réforme introduite que pour celle d’antique tradition conservée.
Quand il a fait une chose ; il ne s’en repent pas, il ne le regrette jamais, et il est porté à s’en applaudir : « Je ne saurais assez me féliciter me disait-il un jour, du parti que j’ai pris… » Il s’agissait de ses études sur les auteurs de la Renaissance, dans lesquelles il se rendait compte à lui-même plus (qu’au public du résultat de ses nombreuses lectures, et il puisait évidemment sa satisfaction dans sa conscience plutôt que dans son succès. […] Il ne manquerait cependant à l’oisiveté du sage qu’un meilleur nom, et que méditer, parler, lire et être tranquille, s’appelât travailler. » Il se flatte aujourd’hui d’avoir à peu près réalisé ce plan qu’il s’était proposé, d’avoir vécu en sage et en philosophe, étranger à ce qu’on appelle succès, indifférent à ce qu’on appelle gloire, et de s’être uniquement « attaché, en cultivant les lettres, à mettre en jeu les ressources de son intelligence, dans l’espoir de prendre une idée de l’ensemble des choses de ce monde où il ne fera que passer, et de purifier, autant qu’il est possible, son esprit et son âme par la méditation et l’étude. » Ce sont ses propres termes, et je n’ai pas voulu affaiblir l’expression de cette satisfaction élevée ; mais il est résulté de cette conscience habituelle de sa propre sagesse et de cette confiance tranquille en soi, qu’il a été enclin à voir les autres plus fous ou plus sots qu’ils n’étaient peut-être ; il se disait, en les écoutant, en les voyant animés de passions diverses : « Est-il possible que tous ces gens-là ne soient point raisonnables et sages comme moi-même ? […] Quel qu’ait été et que soit mon goût pour Beyle, je ne puis en mon âme et conscience consentir à un tel jugement, et je ne pense pas qu’aucun de ceux qui ont connu le personnage y souscrive.
Nous avons d’ailleurs des moyens tout particuliers de l’étudier : il n’a pas eu seulement pour témoin assidu et curieux, pour révélateur impitoyable, le grand observateur Saint-Simon, le duc d’Antin a lui-même écrit des Mémoires, et a laissé comme une confession de ses faiblesses, de sa passion pour la Cour, et de tout ce qu’il a pu se dire pour ou contre dans le secret de sa conscience. […] Les Mémoires que nous lisons, et qui ne sont guère qu’un examen moral et chrétien de conscience, nous le montrent au fond meilleur à bien des égards que ne le jugeait le monde et que les observateurs sévères ne le soupçonnaient. […] Tous les succès de d’Antin à la Cour et la félicité où il nage en ces années 1709-1710 ne l’empêchent pas de revenir de loin en loin à son Journal, pour y consigner ses regrets, ses moralités, ses scrupules même de conscience : il semble qu’il ait eu, de temps en temps, besoin de s’administrer de petites leçons morales, des admonestations dont il sait bien qu’il tient trop peu de compte dans sa conduite : mais il espère toujours que, la grâce aidant, le moment viendra finalement d’en profiter.
Louis XIV, le roi du bon sens, l’appelait sa solidité ; il eût pu l’appeler sa conscience. […] Injustices contre Louis XIV d’abord, contre Mme de Maintenon ensuite, contre les Confesseurs du Roi, quels qu’ils fussent, Tellier ou La Chaise, ces premiers ministres de la conscience d’un Roi qui gouvernait avec sa conscience, et contre tant d’autres personnages, pour lesquels il avait la haine envieuse de l’ambitieux qui ne réussit pas, de l’ambitieux lié à son échelon et qui aimerait presque mieux en tomber !
Nous l’observons dès l’abord, en face, par la conscience, comme un plaisir, une idée ou tout autre fait intérieur. […] Partout ailleurs nous ne faisons que deviner la force : ici nous apercevons la force ; partout ailleurs, quand deux faits s’accompagnent, nous n’observons que les deux faits et leur concours ; ici, par une exception merveilleuse, nous découvrons encore « ce je ne sais quoi qui s’applique aux corps, pour les mouvoir, les pousser, « les attirer20 », élément ou ingrédient particulier, vraiment « inexplicable ou ineffable, lorsqu’on veut chercher des exemples et des moyens d’explications hors du fait même de la conscience. » Il n’y a point d’autre vue semblable ; et quand vous concevez d’autres forces, c’est d’après la vôtre et sur ce modèle que vous en formez la notion. […] Dites surtout si la conscience aperçoit cette application.
Il y a donc une observation intérieure de conscience aussi véridique que l’observation extérieure des sens. […] L’observation de conscience, comme l’observation sensible, peut donc, en se perfectionnant, distinguer plusieurs objets là où elle n’en remarquait qu’un seul, changer les notions vagues en notions précises, les notions incomplètes en notions complètes, les notions fausses en notions exactes. […] — Cette cause, c’est le moi et ses facultés. « Il y a dans le monde interne, il y a dans l’objet complexe saisi à chaque instant par la conscience, deux éléments distincts : l’un qui est nous, l’autre qui n’est pas nous ; l’élément qui est nous est simple dans chaque moment, identique à lui-même dans tous les moments, tandis que l’élément qui n’est pas nous est multiple dans chaque cas et variable d’un moment à l’autre. » Ce second élément se compose de nos actions et de nos opérations. « Le moi ne se reconnaît pas dans les modifications inétendues et sans forme qu’il éprouve. » — « Le monde interne renferme donc une réalité simple et identique à elle-même, qui est nous, et qui subsiste et persiste par elle-même ; et, de plus, une phénoménalité multiple et changeante, qui dépend de la réalité d’où elle émane et qu’elle modifie77. » — J’entends : vous croyez au bâton d’ambre de M. de Biran78.
En ce cas, qu’est-ce que la conscience et à quoi sert-elle ? […] Nous croyons généralement que la conscience fait partie de la série de nos actions. Nous croyons que la conscience que nous avons d’un acte est le point de départ de l’acte suivant. […] Notre conscience, en somme, s’exerce rarement. […] La conscience ôtée, tout s’abîme et c’est le néant.
Lettres sur le clergé français : — De la liberté de conscience.